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lundi 25 novembre 2024

Ce monde est disparu (16)

John Koch, Conversation le soir, 1954, esquisse et toile finale.
Vente Sotheby's 20.11.2024, 30k$.

Vous ne connaissez peut-être pas John Koch. On n’entend jamais parler de lui en Europe. L'Encyclopédie en français ne le connait pas. Il a pourtant passé 5 ans à paris.

C’était un peintre américain sans le moindre intérêt pour les mouvements de peinture de son temps (1909-1978). Il gagnait très bien sa vie en réalisant des portraits classiques de familles bourgeoises classiques dans des appartements bourgeois (souvent le sien, une vingtaine de pièces au 10ème étage d’un immeuble prestigieux de Manhattan).  

Chaque objet, sur ses toiles, est soigneusement éclairé, chaque personnage consciencieusement mis en scène, chaque reflet, chaque forme parfaitement placés pour faire joli et accueillant. Bref des tableaux confortables, douillets et sans mystère, ce qu’on aime dans la peinture classique, le plaisir des yeux sans arrière-pensée. 


Le Metropolitan museum de New York possède 5 très beaux Koch, qu’il reproduit à peine, pour raison de copyright, car le pauvre Koch, mort en 1978, devra attendre 2049, voire 2072, pour devenir un peintre incontestable. Pour l’instant il n’est qu’un faiseur de timbres-poste. Il attend discrètement dans les réserves du musée, qui se garde bien de l’exposer.

Heureusement, dans le monde merveilleux du libéralisme économique, l’argent permet de violer n’importe quelle réglementation, et pour allécher le client les salles de vente reproduisent somptueusement les œuvres d’art dans leurs catalogues en ligne (seulement pour une durée limitée avant la vente, bien entendu). 


Koch s'achète surtout chez Sotheby’s à New York (mais aussi Christie's, Bonhams ou Doyle), entre 10 et 30 000$, avec de rares pointes à 300 000$, et un record à presque 700 000$. Ainsi cette belle Conversation nocturne de 1954 en illustration plus haut, accompagnée d’un dessin préparatoire, vient de disparaitre contre 30 000$ (presque autant en euros).


Ci-dessous, quelques reproductions de bonne qualité (illégales encore pendant 25 ans) d’œuvres de Koch passées en ventes publiques dans les 10 à 15 dernières années. Vous noterez que sa peinture, quoique plus subtile, n’est pas si éloignée de celle d’Edward Hopper, mais un Hopper dont la principale préoccupation métaphysique aurait été le choix de la couleur des rideaux. Il faut bien que les gens heureux s’expriment aussi.

 

dimanche 30 juin 2024

Serra et ses disparitions

Clara-Clara, sculpture de Richard Serra, exposée sur Google Earth en 2024 (et ici à Paris en été 2008).


Tout, ou presque, disparait un jour. C’est un phénomène naturel. Les plus perspicaces des philosophes l’ont remarqué. Hier encore c’était le tour du grand sculpteur étasunien Richard Serra. Les médias en ont parlé à la mesure de sa renommée.
Ce qui est en revanche moins naturel, c’est que certaines de ses œuvres, et non des moindres compte tenu de leurs dimensions, ont aussi disparu, avec les années. Pourtant quand on expose une sculpture de Serra on ne risque pas de la perdre de vue, on est souvent obligé d’abattre des murs, de faire des travaux de terrassement, parfois de consolider les fondations.

Comme Kapoor, Serra était de ces artistes visiblement hantés par l’insignifiance de la condition humaine et qui ne soulagent leur affliction que dans la démesure de leurs créations. Un excès d’humilité, en quelque sorte.
Sur le plan technique, pour un Serra de bonne facture, il faut imaginer une monumentale plaque d’un acier imitation rouille, plus ou moins courbe et en équilibre sur la tranche, débordant l’espace d’une galerie d’art ou trônant au centre d’un lieu public. Les critiques et experts appellent cette période des formes géantes, majeure dans l’œuvre et dans l’esprit de Serra, sa période minimaliste. C’est leur sens de l’humour.

Toujours impressionnantes, les dimensions sont en principe mentionnées dans les revues et catalogues, mais rarement le poids, pour ne pas décourager le client, ou alors en hasardant des valeurs fantaisistes, comme le fait parfois Wikipedia qui ne garantit pas toujours l'exactitude des sources. 

Le calcul est pourtant simple. 
Prenons le cas de Clara-Clara, deux longues plaques d’acier recourbées et posées en miroir l’une en regard de l’autre, comme des parenthèses inversées. Chacune mesurait environ 36 mètres par 4, et 4,5 centimètres d’épaisseur (mais vous trouverez aussi 33m - 3,70m - 5,1cm ou d’autres valeurs encore). Connaissant la densité de l’acier, environ 8 grammes le centimètre cube, vous aviez déjà la réponse avant de la lire, 3600 par 400 par 4,5 par 2 par 8 : Clara-Clara devait peser 104 tonnes, à la louche. Une autre œuvre fameuse, Tilted Arc, moitié moins grande mais plus épaisse - 6,4cm - pesait ainsi 70 tonnes (valeurs confirmées par le Journal des Arts avec respectivement 108 et 73 tonnes).  

Mesurait… pesait, on en parle au passé, parce qu’il y a longtemps qu'on ne les a plus vues. La disparition de leur concepteur a été l’occasion pour les médias de ressortir des placards certains de ces pesants fantômes. 
Il n’y a rien de très mystérieux dans ces occultations. Quand il prend le pouvoir, l’élu qui souhaite lui aussi laisser une trace de son passage, marquer le territoire qui lui appartient désormais, commande alors avec l’argent public une œuvre monumentale à un artiste que ses conseillers favorisent. Assourdis par la fanfare des lendemains qui chantent, personne ne prête attention aux aspects logistiques du geste culturel. Et arrive le jour où on installe le monument.

En 1981, c’était Tilted Arc, à New York, un mur de métal long de 37 mètres et haut de 3,70 érigé au milieu d’une place populeuse au cœur de Manhattan, Federal Plaza. Après 8 ans de laborieux procès, notamment contre le 1er amendement (la liberté d’expression de l’artiste), 8 ans d’outrages pour l’œuvre, devenue dépôt d’ordures, urinoir géant et mur de graffitis, les riverains et usagers de la place en obtenaient l’enlèvement. Serra a toujours refusé qu’elle soit installée ailleurs que sur Federal Plaza. Il déclarait pour sa défense (ses paroles ont sans doute dépassé sa pensée) "L’œuvre doit faire prendre conscience au passant de lui-même et de son mouvement à travers la place […] La fonction de l’art n’est pas de plaire […] L’art n’est pas destiné au peuple."
Découpé en 3 tranches en 1989, le sandwich de 73 tonnes est aujourd’hui dans un site de stockage de la très sérieuse et officielle Administration des services généraux, peut-être à Alexandria près de Washington.

En 1983, c’était Clara-Clara, à Paris. Commandée pour le parvis du musée par le Centre Pompidou, on réalisa qu’elle était trop lourde et qu’elle constituerait un obstacle et un risque pour la circulation sur la moitié de l’espace piétonnier. On la posa alors dans le jardin des Tuileries, place de la Concorde. Dans ce lieu fréquenté, elle ne fut pas toujours respectée par les mouettes, les passants, et les polémistes parisiens, comme tout monument public. Elle résista 2 ans. En 1985 la Mairie de Paris l’achetait et la remisait square de Choisy où elle dérangeait autant et ne fut pas moins déshonorée que ne l’était Tilted Arc au même moment à Manhattan.
Depuis 1990 - excepté un retour aux Tuileries en 2008-2009 - Clara-Clara est entreposée dans une réserve du fonds municipal d’art contemporain de la ville de Paris à Ivry-sur-Seine, en un sandwich de 6 tranches de 12 mètres (notre illustration).  

En 1987 débutait la disparition la plus cocasse. Le musée d’art moderne Reina Sofia de Madrid fraichement créé exposait Equal-Parallel-Guernica-Bengasi commandé à Serra par le ministère de la Culture. L’œuvre n’en fait rien paraitre mais son nom est, dit-on, une revendication politique courageuse. Dès 1988, pour satisfaire un besoin d'espace, les 2 murs et les 2 cubes qui la constituaient étaient confiés à une entreprise de stockage.  
17 ans plus tard, en 2005, un inventaire des collections rappelait au musée lui-même l’existence de l’œuvre. Entretemps l’entreprise de gardiennage avait fait faillite, en raison notamment, prétendent les calomniateurs, des impayés de l’administration espagnole, dont le musée Reina Sofia. Aujourd'hui encore personne ne sait ce qu’est devenue l’œuvre, sauf ceux qui l’ont peut-être vendue ou achetée au poids du métal.
En pénitence le musée en commandait alors une réplique, que Serra fit réaliser par une fonderie en Allemagne. Magnanime, il livra ce double pour la moitié du prix de l’original (hors frais de fabrication).
Réalisée en 2008, l’œuvre est néanmoins exposée antidatée de 1986 au musée Reina Sofia, parce que le concept, le plan de fabrication, datent de 1986, la réplique matérielle n’en étant qu’une incarnation passagère, remplaçable, une abstraction de 38 tonnes.

On aura compris à ces exemples que les créations de Serra sont souvent embarrassantes. La dalle du parvis de La Défense, près de Paris, qui supporte un musée à ciel ouvert de sculptures contemporaines de dimensions pourtant respectables, à renoncé à héberger les 25 tonnes de Slat de Serra, et l’a reléguée en contrebas derrière la Grande Arche, où seuls les employés de bureau des tours qui la bordent au nord, les automobilistes égarés ou les locataires du cimetière de Neuilly, peuvent la contempler. 

Et on ne peut pas se débarrasser facilement d'une œuvre de Serra, pour des motifs moraux et politiques, bien sûr, mais aussi pour d’évidentes raisons matérielles. Les tranches d’acier plantées par Serra un peu partout sur la planète, à Toronto, à Bilbao, à Doha, dans le désert Qatari où il a refait le 2001 de Kubrick, ou à Glenstone, resteront pendant des siècles, voire des millénaires, pour d'incertains archéologues du futur, des traces énigmatiques d'une civilisation dématérialisée et agonisante.

***

Anecdote : La dernière sculpture monumentale de Serra passée aux enchères l’a été chez Christie’s en 2013 contre 4,3 millions de dollars. Christie’s la décrivait "presque existentielle, une déclaration sur notre place dans le monde et notre relation avec les choses" et en taisait pudiquement le poids, qu’on peut estimer à 17 tonnes (elle n’était pas présente en salle des ventes), ce qui ne la fait après tout qu’à 253$ le kilo. 250 fois le prix de l’acier brut, mais 20 fois moins que le meilleur caviar, et plus durable.

Ressources : Internet foisonne d’articles, d’analyses approfondies, de photos, de vidéos sur Serra. Chacun(e) les trouvera dans ses réseaux préférés. Signalons une petite vidéo en anglais de 9 minutes sur la destinée de Shift, un mur de Serra oublié dans un champ de pommes de terre canadien depuis 50 ans.


vendredi 18 août 2023

Ce monde est disparu (7)


C’est la New York des années 1900 à 1950, en noir et blanc, qui disparaissait ce 18 aout 2023. 
Rassurons-nous, une partie seulement de New York, un centième peut-être. C’est toujours comme cela dans les ventes de multiples, gravures ou photos, on soumet un exemplaire aux enchères, quand il en a été tiré beaucoup plus, une centaine pour les gravures de Martin Lewis, par exemple.  

C’était une vente sans exposition publique (online only), mais d’opulentes reproductions "super zoom", comme dit Christie’s, étaient publiées afin que le client vérifie l’état et la qualité des tirages. Et super zoom, ça représente sur l'écran 5 fois la grandeur naturelle de l’objet !

Il y avait des estampes d'Edward Hopper, d’Armin Landeck, des photos de Rosenblum, Stieglitz, Stettner... et surtout 9 superbes gravures de Martin Lewis, en principe non copiables sur le site mais aimablement offertes ici même en illustrations de haute qualité pour 3 d’entre elles.

Et il y avait surtout, parmi les 9 Lewis, une des plus belles gravures jamais imaginées, ce chef-d’œuvre réalisé en 1930 à la pointe sèche, "Tree, Manhattan" (ill. en haut). Il y en aurait eu 91 tirages, dont celui-ci, qui est disparu contre une aumône de 6000$ (c'est à dire 75 000 fois moins que cet épouvantable tableau attribué à Léonard où Jésus pris de boisson tente de deviner l'avenir dans une boule de cristal)
Étonnant, non ?

Illustrations :
En haut : Lewis, Martin - Tree, Manhattan 1930 (Arbre, Manhattan), 32,5cm, 91 exemplaires, 6000$ [3655pix, 5.3Mo] 
Ci-dessous : Lewis, Martin - Two A.M 1932 (2h du matin), 37,7cm, 44 exemplaires, 21 000$ [3611pix 4.3Mo]
En bas : Lewis, Martin - Glow of the city 1929 (Lueurs de la ville), 36,5cm, 100  exemplaires, 33 000$ [2856px, 3.9Mo].

lundi 29 mai 2023

Ce monde est disparu (3)


Jean-Léon Gérôme, peintre habituellement très académique, pourfendeur et empêcheur de ses collègues impressionnistes, oubliait quelquefois le kitch, le pompeux, la rentabilité. C’était le cas dans les esquisses qu’il n’envisageait pas de vendre, comme cette étude d’ibis rouges (il l'a tout de même signée) d’où émane un charme un peu surréaliste, et qui vient de disparaitre, le 24 mai peu après 10 heures, chez Sotheby’s à New York, plutôt discrètement. On pense inévitablement aux immenses planches ornithologiques d’Audubon qui fascinèrent l’Europe et l’Amérique dans les années 1830, quand Gérôme était adolescent.

Deux jours et quelques minutes plus tard, au même endroit, disparaissait un autre animal que la décence nous interdit d’afficher ici, mais que la rigueur scientifique nous oblige à signaler. Estimé 4000 dollars par les experts de la chose, il s’en allait contre 280 000, 70 fois l’estimation (et 6 fois le prix des ibis), c’est dire la passion qu’il aura soulevée !
Il s'appelait Pompon, jouet adoré qui désennuyait dit-on la reine Marie-Antoinette d’Autriche, portraituré ici par un peintre dont on ne connait par chance à peu près rien, Jacques Barthélémy Delamarre, académicien en 1777. On ne regrettera pas sa disparition (nous parlons du tableau du  toutou)
Une reproduction d'une haute précision anatomique - à vos risques et périls, tout trouble consécutif et séquelle ne feront l’objet d’aucun dédommagement - est visible ici. Les informations techniques sur l’objet sont détaillées là.

samedi 13 mai 2023

Ce monde est disparu (1)


Avant-propos 

C’est entendu, tout doit disparaitre, toutes choses auxquelles on s’était habitués, des plus grandes aux plus petites, de la reine d’Angleterre au climat raisonnable de la planète, nous rappelle la science dans ce petit article sur le "point de non retour".
Et chaque jour des mondes qu’on ne connaissait pas - il y en a eu tellement de peints ou de dessinés - apparaissent et s’évanouissent en quelques heures. Cela se passe dans les salles de vente aux enchères, par centaines. 

À peine découverts on sait qu’on ne les reverra jamais. Ils iront s’abimer dans les réserves ordinairement invisibles de quelque musée obsédé de sa collection, s’enterrer hors taxes au fond du coffre-fort d’un port franc au cœur de la Confédération helvétique, parfois se voiler lentement de poussière et de fumée de cigare dans le salon privé d’une famille bourgeoise. 

Ce court moment d’existence publique est un prodige. Les salles de ventes ne les exposent dans leurs locaux, n’en publient les catalogues papier, ne les présentent en ligne sur internet, qu’afin de vanter le produit et d’encourager ce miracle des marchands qu’est la fixation du prix par le plus offrant, sans régulation ni retenue.
Après quoi, en quelques jours, ces mondes retrouveront le silence et l'obscurité, où les belles reproductions ne sont généralement pas maintenues.

Voilà quelques années nous conseillions ici-même aux amateurs d’art abstrait, tellement frustrés sur internet à cause de l’absurdité toujours croissante des principes des droits d’auteur, de hanter les sites de vente aux enchères, d’en copier les images (par tous les moyens) et de se constituer ainsi des pinacothèques personnalisées, uniques (mais qu’ils ne pourraient jamais rendre publiques, ou seulement 70 ans après la mort des auteurs !)

Aussi inaugurons-nous aujourd’hui, afin de prolonger un peu la vie de ces mondes éphémères (au moins ceux du domaine public), une rubrique "Ce monde est disparu" où nous publierons régulièrement de belles reproductions de ces mondes passés en vente publique et bientôt invisibles.

Quant au titre de cette rubrique, entre la 8ème de 1935 et la 9ème édition du dictionnaire de l’Académie française, l’usage rare mais subtil (oiseux diront certains) de l’auxiliaire être avec le verbe disparaitre a disparu. On ne peut plus constater qu’une chose est disparue mais seulement affirmer qu’elle a commis l'acte de disparaitre (Victor Hugo dans "Oceano Nox" distinguait les deux emplois). Cependant l'édition du Dictionnaire, actuellement suspendue autour des mots somme, somnifère, somnolence, n’est pas complète. Sera-t-elle un jour achevée ou les immortels seront-ils tous disparus avant la fin de la fatidique lettre Z ?

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Jan Siberechts était un peintre flamand durant la seconde moitié du 17ème siècle, d’abord à Anvers, puis en Angleterre pendant les 30 dernières années de sa vie. Toujours original et minutieux (dans les arbres notamment) il avait un fort faible pour les personnages passant un gué, qui font peut-être la moitié de sa production (4 à Anvers, 3 (?) à Lille, à Cleveland, à Denver…)

Le 24 mai 2023 un peu avant 17 heures chez Christie’s à New York (23 heures à Paris), ce paysage de voyageurs, ce curieux escalier que descend un eau paresseuse sous l’arche d’un pont et cette fin d’après-midi automnale disparaitront.

vendredi 10 mars 2023

Mais où sont les 9 Vermeer manquants ?

37 moins 28 font 9 pour la plupart des calculatrices sur internet, même pour la fameuse "intelligence artificielle ChatGPT"(*) qui pourtant aligne les erreurs monumentales (nous y reviendrons un jour, en attendant regardez cette excellente étude par Defakator)
Or l’exposition à guichet fermé consacrée à Vermeer actuellement à Amsterdam déclare montrer 28 tableaux attribués à Vermeer, sur un total de 37 dit-on. 4 ou 5 d’entre eux, s’ils sont réellement de sa main, ont certainement été peints dans un état que la morale ou la clémence nous empêche de préciser ici, mais acceptons ce nombre magique de 37

Mais alors, où se trouvent les 9 absents ?

Eh bien la réponse est simple, trop simple peut-être ! Ils ne peuvent pas être aujourd’hui dans les salles si convoitées du Rijksmuseum d’Amsterdam parce qu’ils sont actuellement exposés ici-même, dans Ce Glob, en très haute qualité, dans des conditions d’exposition autrement plus agréables, et sans aucun risque d’infection pandémique, sous l’œil d'ailleurs bienveillant de l’Organisation Mondiale de la Santé. 
Et si cette offre exceptionnelle ne suffisait pas, les plus perspicaces auront constaté qu’un Vermeer volé il y a 33 ans dans le musée Isabella-Stewart-Gardner à Boston (avec 12 autres œuvres dont la seule marine de Rembrandt), et jamais retrouvé depuis, est également dans notre exposition. Reconnaissons qu’il n’est pas dans un état très présentable après 33 ans d’occultation dans de douteuses conditions.

Alors parlez-en autour de vous, levez haut votre pouce quand vous vous trouvez en groupe, dans la rue ou les transports en commun, abonnez-vous à Ce Glob en toute confiance, vous n’y trouverez que des exclusivités présentées dans le respect des idées les plus progressistes et des dernières rectifications de l’orthographe.

Liste des tableaux exposés ici et provenance de nos aimables prêteurs (les dimensions des images - autour de 5000 pixels - et leur poids variant de 6 à 12 mégaoctets, certains affichages peuvent être un peu lents) :

1 - Art de la peinture (Vienne Kunst Historisches museum) 10,8Mo
2 - Astrologue (ou Astronome, Louvre) 8,1Mo
3 - Femme assoupie (Metropolitan New York) 8Mo
4 - Leçon de musique (Windsor castle, collection royale) 11,8Mo
5 - Portrait de jeune femme (Metropolitan New York) 5,8Mo
6 - Femme au pichet d'eau ou aiguière (Metropolitan New York) 8,7Mo
7 - 2 hommes et une femme au verre de vin et au sourire niais (HAU museum, Brunswick) 6,6Mo
8 - Joueuse de guitare (Kenwood house, collection royale) 3Mo
9 - Le concert (Mafia bostonienne depuis le 18.03.1990) 1,5Mo






(*) Verbatim d'une conversation tendue avec le robot ChatGPT.
Âmes sensibles, surtout ne lisez pas, vous allez être confrontées à votre propre avenir !

Moi : combien font 37 moins 28 ? 
ChatGPT : 37 moins 28 équivaut à 9
Moi : Merci 
ChatGPT : De rien, n'hésitez pas si vous avez d'autres questions ! 
Moi : Alors je vais me permettre, combien font 28 plus 9 ? 
ChatGPT : 28 plus 9 équivaut à 37. 
Moi : Bravo !
ChatGPT : Merci beaucoup ! N'hésitez pas si vous avez d'autres questions.

samedi 11 février 2023

Autoportraits… et oreillers

On accuse bien vite de narcissisme les peintres qui se sont abandonnés sans retenue à l’autoportrait, Rembrandt, Schiele, Van Gogh, Spilliaert, Dürer… C’est parce qu’on ne tient pas suffisamment compte des conditions de réalisation des œuvres. On nous fait croire que l’artiste reçoit l’inspiration d’un mystérieux souffle intérieur, ou divin. En réalité ce sont principalement les circonstances extérieures, les aléas de leur bonne ou mauvaise fortune qui les déterminent. Le peintre qui souhaite se confronter aux subtilités de l’art du portrait mais n’a pas les moyens de payer des modèles, a toujours sous la main, justement, un modèle disponible, obéissant et gratuit : lui-même.

Illustrons le rôle prépondérant des contingences dans la création artistique par cet exemple célèbre de "l’autoportrait aux oreillers" d’Albrecht Dürer, dessin à la plume recto verso jalousement conservé par le Metropolitan museum of art de New York. 

Vous objecterez que parmi les peintres nommés plus haut Dürer n’est pas le meilleur des exemples. Riche et d’une famille fortunée, ce n’est pas le manque de modèles qui le poussait à se peindre lui-même, parfois déguisé en prophète, toujours embelli, mais la haute idée qu’il se faisait de sa personne, de ses talents et de la source de sa fortune (il aurait été le premier à intenter à Venise un procès contre le plagiat de ses gravures, quand elles avaient un énorme succès dans toute l’Europe et l’avaient beaucoup enrichi. En cela il était effectivement prophète). 

Mais notre exemple reste valable si la date de 1493 manuscrite en haut du verso est à peu près exacte (le monogramme AD, sur le recto, serait d’une autre encre que le dessin et certains experts le datent en réalité de 91 ou 92). Dürer, âgé de 20 à 22 ans, recommandé par son orfèvre de père, voyageait alors en Europe centrale pour parfaire sa formation, et rencontrait peintres, graveurs et imprimeurs importants.

Ainsi, à l’examen de la séquence des dessins sur cette feuille de jeunesse, pourrait-on imaginer les conditions probables de sa réalisation.
Albrecht s’ennuie dans la chambre d’auberge ou de l’éditeur qui l’héberge. Il a le temps de s'exercer avant le repas. Il prépare un godet d’encre et quelques plumes.
La lumière est à gauche, devant lui, posé sur la table un peu à gauche, un miroir. Il dessine d’abord en quelques traits rapides son visage qu’il a déjà représenté maintes fois. Sans doute lui a-t-on déjà commandé le traditionnel autoportrait destiné à la riche héritière qu’il épousera dès son retour. Il envisage de se montrer tenant un symbolique pied de chardon (ce sera l’autoportrait au chardon de 1493 aujourd’hui au Louvre). Il repousse le miroir inutile, et place à hauteur des yeux sa main gauche dont les doigts simulent la tenue du chardon. Il s’applique. 
La maitresse de maison, ou l’aubergiste, tarde à l'appeler pour le souper. Il reste de la place sur la feuille, et rien de passionnant à dessiner dans cette chambre austère. À droite, sur le lit défait par une sieste, quelques coussins ou oreillers fripés feront l’affaire. Et Albrecht se prend au plaisir de maitriser ces jeux de plis et de replis.
Après le souper il retournera la feuille et la remplira d’oreillers alignés qu’il aura soigneusement froissés. L’encre à peine sèche il s’endormira satisfait.

Ce qu’on lit sur les intentions de l’artiste, sur les profonds concepts qu’incarneraient ces dessins d’oreillers entre réalité et rêve, étrange et imaginaire, visages déformés et cornes de satyre, n'est qu'élucubrations, balivernes, et n’a pas plus de valeur que les 18,84 euros (16,01 dès le deuxième acheté) de cette mise en abyme commerciale imprimée sur un coussin.

lundi 10 janvier 2022

Et l’art contemporain, dans tout ça ?

MSCHF Product Studio Inc (prononcez MiSCHieF, signifiant SoTTiSeS ou eSPièGLeRie), une jeune entreprise de New York, se dit collectif d’artistes activistes, et crée des évènements culturels, disons des canulars, à base d’objets d’art ou de produits de l’industrie.

Sa méthode est de profiter de la notoriété d’un artiste ou d’une marque fameuse en détournant de manière insolente et tapageuse un de leurs produits, et en le vendant plus cher que l’original. Le bourgeois jobard est convaincu d’acheter de l’art et se risque à un placement avant-gardiste.

Ainsi en 2019 MiSCHieF vendait des baskets de la marque Nike « customisées Jesus Shoes », avec en imprimé des références à la Bible, de l’eau du Jourdain dans les semelles et un crucifix suspendu aux lacets, 6 fois le prix d’achat, soit 1250$. 
La marque ne dit rien, mais elle portait plainte en 2020 quand MiSCHieF récidivait, cette fois avec les « Satan Shoes », garnies d’un pentagramme et du sang d’un rappeur à la mode. La quantité limitée, 666 à 1000$, disparaissait en quelques minutes sur internet.
Le juge en exigea la récupération auprès des clients, et leur remboursement. MiSCHieF y consentit avec le sourire. Elle savait que personne, après avoir acheté un objet maintenant renommé, revalorisé par un scandale mondain et devenu œuvre d'art, ne les retournerait.


En 2020 MiSCHieF achetait 30.000$ un multiple de la série Spots de Damien Hirst (la centaine d'employés de l’atelier Hirst en a produit des milliers), en découpait soigneusement les 88 ronds colorés, les écoulait promptement sur internet à 480$ pièce, et vendait le reste (illustration ci-contre) 172.000$ aux enchères.

Fin 2021 elle achetait contre 20.000$ un dessin d’Andy Warhol, Fairies, en faisait 999 facsimilés pratiquement indétectables dit-elle, les mélangeait et vendait en un instant les 1000 à 250$ la pièce. Outrée, la Fondation Warhol va sans doute réagir.

Si les principes moraux libertaires dont MiSCHieF enjolive ses actions, remise en cause de l’idée d’authenticité, rupture de la chaine de confiance, réappropriation (mot magique), paraissent flous et bien sympathiques, on rappellera néanmoins qu’ils ont été invoqués par quantité d’artistes depuis bientôt 100 ans sans que l’objet de leur anathème, le marché de l’art, n’en ait jamais ressenti le moindre frisson. Au contraire, rajeuni, revigoré, il repart à chaque fois de plus belle. La rhétorique est réchauffée et banale, en stigmatisant le marché, elle l'alimente, et profite largement et en toute conscience des travers qu’elle dénonce (sauf Banksy, peut-être)

Reste qu'il est rigolo de railler l'art établi et de voir comme il est simple de découper les pois colorés de Damien Hirst et de revendre l’œuvre en pièces détachées, « éparpillée par petits bouts façon puzzle » comme disait Bernard Blier.

lundi 25 octobre 2021

Tableaux singuliers (15)

Détail du paysage de fond sur une toile de Julien Dupré réunissant par ailleurs une paysanne, des vaches et des moutons, vendue 112 500$ en 2019 chez Sotheby’s.

Quelle passion insolite a pu entrainer un artiste brillant à ne peindre, durant 30 ans dans son atelier parisien, sur plus de 250 toiles d’un à deux mètres carrés, que de robustes paysannes normandes ou picardes au travail, coiffées d’un foulard souvent rouge, et qui brandissent des fourchées de foin d’un geste théâtral ou s’occupent de vaches, et rien d’autre ?
D’aucuns répondront « la même passion qui pousse à ne représenter que des femmes désœuvrées dans des intérieurs hollandais mal éclairés. » 

Certes, mais on ne peut s’empêcher de penser que c’est pour cela que Julien Dupré, ouvert aux questions sociales, ami de Zola, peintre naturaliste apprécié et récompensé entre 1870 et 1910, fut vite oublié, sinon de quelques riches collectionneurs américains producteurs de hamburgers, et d’une galerie New-Yorkaise nostalgique de la peinture académique mièvre et française des années 1840 à 1920.

Ladite galerie, Rehs, vient de mettre en ligne un catalogue raisonné illustré de l’œuvre de Julien Dupré déjà riche, outre les fermières, de plus de 200 vaches, mais aussi de moutons et de canards.
Plus qu’un simple catalogue, c’est un site dédié à Dupré avec chronologie, bibliographie, extraits de correspondance, et un long essai où l’on apprend que cet enthousiasme pour les paysannes et les laitières était assez opportuniste. Dans les années 1880, l’engouement du public pour les scènes rurales de Jean-François Millet avait suscité une mode tenace et le motif se vendait bien.

Pendant plus de 30 ans les paysannes de Dupré ne s’arrêteront que deux ou trois fois de travailler, par exemple quelques minutes à l’apparition dans le ciel d’une montgolfière, moment si rare que Dupré le dépeignit sur une toile de 5 mètres carrés.

Julien Dupré, Paysage avec barrières, non daté, en vente ou en réserves ou déjà vendu, chez Sotheby’s (catalogue Rehs n° L1002).
 
De même, on ne trouvera pas chez Dupré de paysage seul, vide, qui ne serait pas animé de paysans et de bétail, en dehors d’esquisses préparatoires vite brossées sur le motif sur de petits panneaux, instantanés dont les couleurs servaient de modèle pour les toiles d’atelier.

Pourtant la barrière en illustration ci-dessus, destinée à guider le bétail sur le terrain accidenté peut-être vers un embarcadère, semble avoir singulièrement plu au peintre pour qu'il en ait fait cette toile de 80 centimètres, achevée et vaguement énigmatique. D’après le catalogue elle serait actuellement (mais non trouvée sur leur site) à Londres chez Sotheby’s, qui vend régulièrement des Dupré.

Elle fait penser, par la simplicité de sa présence, aux réalisations épurées du suédois Laurits Andersen Ring, ou de l’américain Andrew Wyeth

À noter : d’après Rehs vous pourrez voir, s’ils ne sont pas relégués en réserves, des tableaux de Dupré en France notamment à Carcassone, Cognac, Dunkerque, Grenoble, Le Mans, Lille, Narbonne, Paris Orsay, Reims et Rouen. Renseignez-vous.

mercredi 22 septembre 2021

Améliorons les chefs-d'œuvre (20)

Vers la fin du 18ème siècle, et au début du suivant, David (Jacques-Louis) était le plus grand peintre de France, au moins relativement à la surface peinte exposée. Militant forcené du retour au modèle antique, celui de l’empire romain, adepte d'un classicisme monumental, il était à son tour un modèle pour nombre de peintres formés dans son atelier. 

À peu près au même moment et au même endroit, Antoine de Lavoisier faisait perfectionner la balance de précision et quelques outils de mesure et, par des expériences minutieuses sur des gaz et d’autres corps, démontrait qu’ils étaient tous décomposables en éléments simples dans des proportions déterminées et constantes. C’est la loi de conservation de la masse des éléments après transformation, et la véritable invention de la chimie scientifique. 

David, membre de l’Académie royale de peinture et sculpture, soucieux de diffuser ses idéaux, qu’il pensait progressistes, mais aussi de bien vivre de sa peinture, faisait parfois des portraits mondains de l’aristocratie et de la bourgeoisie, pour se reposer de ses grandes tartines moralisatrices et pseudo-historiques. 
C’est ainsi qu’il rencontra les Lavoisier et en fit un beau portrait en 1788. Lavoisier, alors fermier général, conseiller ministériel, régisseur des poudres, était un scientifique fameux. Il finançait ses expériences et son train de vie en contrôlant et percevant les impôts à Paris pour Louis 16.

Au centre du portrait (voir ci-dessous), debout et en pleine lumière, dans une grande robe blanche ornée de rubans rouges et coiffée d’un extravagant chapeau noir à plume orné de fleurs et d’un gros nœud vermillon, madame Lavoisier regarde rêveusement vers le spectateur. Elle s’appuie négligemment sur l’épaule de son mari assis en partie dans son ombre, vêtu d’un habit à boutons dorés et d’une grande écharpe rouge, et qui la regarde presque affectueusement, surpris à écrire, sur un bureau de style au décor de bronze doré. 
Au fond, une grande bibliothèque est remplie de gros dossiers reliés.


À droite sur le bureau, la trace d’un globe et de feuilles de papier déroulées qui renseignaient peut-être sur l’identité du couple... 
Arrêtons la plaisanterie ! Vous ne retrouvez pas tous ces détails sur l’illustration. Pas de chapeau rouge, pas de bibliothèque, pas de boutons dorés… C'est normal, ils n’y sont plus. 
Ils ont été repeints par David, recouverts par une grande nappe rouge, un mur gris, des rubans bleus, des appareils scientifiques en verre.
Le Metropolitan museum of art héberge le tableau à New York depuis 40 ans, et ne s’en est aperçu qu'en 2019 en cherchant à remplacer le vernis vieillissant. Insoupçonnée depuis deux siècles, la dissimulation était presque parfaite, l’intégration des retouches faite avec des ingrédients chimiques couvrants et stables.

Signé en 1788, le tableau devait être présenté au Salon de 1789. Mais exposer le portrait d’un collecteur d’impôt représentant le pouvoir royal, et régisseur des poudres, sujet explosif en été 1789, n’était peut-être pas opportun. Il fut décidé de ne pas le montrer. 

On ne sait pas réellement à quel moment le fermier général et sa femme, coiffée et décorée à la mode, furent métamorphosés en un savant émérite couvé par une muse bienveillante. L’étude du Metropolitan museum « suppose prudemment », sans certitude, qu’au paiement du tableau, en décembre 1788, les modifications étaient déjà effectuées. Le « blanchiment » aurait alors répondu à une demande de Lavoisier, plus qu'à un repentir du peintre. 
C’est plausible ; en 1788, moins d’un an avant les États généraux qui deviendront Assemblée constituante, la contestation d'un pouvoir royal quasi absolu enflait un peu partout dans les corps de l’État, et de mauvaises récoltes mal gérées avaient provoqué de nombreuses révoltes populaires. 
Mais il est plausible aussi, et peut-être plus réaliste, que la transformation ait été faite entre 1790 et 1793, ce qui justifierait mieux son absence au Salon de 1789. 

Pendant ces quatre années, Lavoisier poursuivra ses expériences et collaborera activement aux comités de finances du gouvernement et à la création du système métrique. 
David, zélé politique, travaillera à la suppression de toutes les Académies et élucubrera des projets de tableaux de plus en plus vastes (le Serment du Jeu de paume devait faire 70 mètres carrés). Patriote convaincu, député en 1792, il sera nommé en 1793 président de la section des interrogatoires du Comité de sûreté générale. Il n’aura alors plus beaucoup de temps à consacrer à la peinture, organisera la propagande révolutionnaire et les grandioses fêtes de l’Être suprême où l’on brulait notamment des effigies de l’Athéisme, et validera les listes de comparution devant le tribunal de la Terreur. 

Dans ces longues listes d'accusés, on trouvait les noms de certains de ses amis, comme l'ancien fermier général Antoine (de) Lavoisier dont le corps sera séparé en deux parties inégales le 8 mai 1794. Il n'est pas prouvé que l'expérience aurait été faite afin de vérifier, en vertu du principe de conservation, que la masse additionnée des deux parties valait exactement le poids du savant avant décollation.

Dans le volume 5 de ses réflexions sur l’évolution (La foire aux dinosaures), le paléontologue Stephen Jay Gould place Lavoisier « parmi les 6 plus grands génies de tous les temps », et il cite, dans le chapitre 24 qu’il lui consacre, la dernière lettre à son cousin : « J’ai eu une assez longue vie, qui fut par-dessus tout heureuse, et je pense qu’on se rappellera de moi avec quelques regrets, et peut-être laisserai-je une certaine réputation derrière moi. Que demander de plus ? Les événements dans lesquels je me trouve impliqué vont probablement m’épargner les troubles du grand âge. Je vais mourir en pleine possession de mes facultés. »

Le tableau du couple Lavoisier amélioré par David restera chez les descendants jusqu’en 1924, quand il entrera dans la famille Rockefeller, puis au Metropolitan museum of art en 1977.

jeudi 21 janvier 2021

Inactualité du triptyque de Moulins

Le Coronavirus, organisme dérisoire d’à peine un dix-millième de millimètre, s’est invité durablement dans l’espèce humaine. Effrayée, elle a jugé vital de cesser toute activité culturelle, excepté la diffusion audiovisuelle de niaiseries fabriquées en série.
On ne sait pas encore si les vaccins concoctés avec empressement arrêteront la contagion, mais les musées, qui ont subi en 2020 une perte de 75% des visiteurs, sont vraisemblablement partis pour une année 2021 équivalente, au dire des experts de l’Organisation mondiale de la santé
Alors un blog qui se vante de divaguer autour des évènements culturels se trouve malgré tout fort dépourvu quand ces évènements n'existent plus.
 
Revenons donc aux choses inactuelles. 
 
Voilà plus de 5 ans, Ce Glob pleurait les misérables conditions d'exposition du magnifique triptyque logé dans la sacristie de la cathédrale de Moulins, peint vers 1500 par celui qu’on nomme le Maitre de Moulins, venu de Flandres, et dont l’identité généralement acceptée serait Jean Hey. Pour mémoire cette lamentation se trouve là.
En 5 ans, cette triste situation aura-t-elle évolué ? A-t-on maintenant des reproductions acceptables de cette Vierge entourée d’anges et de donateurs ? La sacristie aura-t-elle été cambriolée ?

Répondons sans hésiter : non, non et non !
  
Le triptyque bigarré du maitre de Moulins dans une de ses meilleures (hélas) reproductions sur internet, sur le site de la paroisse Notre-Dame-du-Bourbonnais. Ils ont sans doute un peu forcé sur les couleurs, notamment les rouges, comme s'ils avaient passé les panneaux dans une station de lavage automobile en cochant toutes les options, shampoing haute pression et lustrage à la cire.

On a bien frémi en lisant dans La Montagne du 29 janvier 2018 que le triptyque, alors dans un « lieu vieillot, sombre et mal aéré », faisait l’objet d’un projet de « mise en valeur » déjà très ancien (mais très compliqué) qui devait se concrétiser dans l’année même, suite à des réflexions, des rencontres et même des réunions !
Il était estimé entre 300 000 euros, en faisant le minimum - améliorer et sécuriser l’accès, et rafraichir le triptyque - et 2 millions si on bouleversait les lieux dans un geste moderne de « vulgarisation du triptyque » avec audioguides. Tout cela était prometteur.

Ensuite il ne s'est rien passé.

En juillet 2020, on constatait, dans un documentaire de promotion touristique de l’Allier, de Moulins et des galettes de pomme de terre, que les conditions de visite ne s'étaient pas améliorées.
En aout 2020, sur le réseau Twitter, on remarquait qu’entre deux périodes de confinement un amateur, qui avait bravé le virus pour aller admirer le triptyque, en était encore réduit à photographier des cartes postales pour prouver son audace aux amis restés cloitrés.

Quant aux images sur internet, la plupart des rares œuvres du maitre de Moulins se trouvant en France, au Louvre et au musée d’Autun, les reproductions en sont toujours lamentables.

On essaiera de se consoler en guettant furtivement de beaux mais frustrants détails du triptyque dans la vidéo promotionnelle moulinoise, à partir de la 3ème minute et pendant 90 secondes (n’oubliez pas de la paramétrer en qualité « 1080p HD »), et en visitant les sites internet des musées de New York et de Chicago qui exposent respectivement un et trois tableaux du maitre, et qui les proposent naturellement en haute définition et libres de droits.  

Enfin, à propos d'un plausible cambriolage, on notera que la sacristie de la cathédrale de Moulins présente des points communs avec les lieux mal sécurisés qui furent le théâtre des récents larcins des Frans Hals, Van Gogh, Salvator Rosa et quelques autres, mais que le format malaisément transportable des panneaux du triptyque le protège encore un peu.