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mercredi 4 octobre 2023

La vie des cimetières (108)

On aura beau truffer d'interdictions absurdes les règlements des cimetières (comme celle de photographier), ou lorgner de coups d’œil suspicieux le taphophile solitaire qui s’y promène, il restera toujours une longue liste de raisons honnêtes de fréquenter assidument ces lieux de repos éternel, comme disent les poètes inspirés. 


On compte parmi ces raisons respectables le besoin de se rendre auprès du peu qui subsiste de tangible de personnalités qui ont eu un jour leur nom dans les médias ou les livres d’histoire. Et il ne reste généralement d'accessible et palpable qu'un nom gravé sur une tombe.

L’internet fournit force ressources à ceux qui en sont atteints, et il n’est pas de site taphophile sérieux qui n’offre une fonction de localisation des personnalités enterrées. 


☠️  Cimetières de France et d’ailleurs, le site monumental et foisonnant de Philippe Landru, propose une liste classée dans l'ordre alphabétique, mais l'inventaire pour chaque lettre n'est plus alphabétique, si bien qu’il est plus efficace d’utiliser le dialogue Rechercher dans le site en haut à droite de la page.

Le résumé biographique illustré des personnalités est généralement remarquable.  


☠️  Pas un jour sans une tombe, le site biscornu et vaguement commerçant de Bertrand Beyern propose une recherche par "Personnages célèbres" à peu près incompréhensible ou réservée aux amateurs de la bicyclette sportive.

Sa rubrique "Où reposent-ils", propice à la flânerie, présente une carte de France désignant près de 400 cimetières visités par l’auteur, chacun faisant l’objet d’une promenade illustrée et commentée autour de personnalités inhumées. 400 cimetières sur 43 000 - en ne comptant que les français - le projet est sisyphéen !    

Beyern est l’auteur de quelques ouvrages sur le sujet, notamment d’un livre léger et très agréable, Carnet de dalles, rempli d’épitaphes, d’anecdotes et d’impressions de visite chez des locataires renommés. Il a également écrit un Guide des tombes d’hommes célèbres dont on suppose que s’y sont invitées quelques femmes célèbres (elles meurent aussi). 


☠️  Les passionnés des lieux de sépulture des personnalités de haute extraction - sinon royales - et de leurs tribulations aristocratiques opteront pour le riche et instructif site de Marie-Christine Pénin. Une véritable et magistrale encyclopédie illustrée ! Il se nomme Tombes et sépultures des personnalités qui ont fait notre monde (en tout cas le monde de l’auteure).


☠️  L'encyclopédie Wikipedia connait 1649 personnalités et leur emplacement approximatif (le numéro de la division ou le casier du columbarium) au cimetière du Père-Lachaise. Elle est nettement moins informée sur les autres cimetières parisiens.


☠️  Finissons par le site indispensable, multinational, le planétaire Find a Grave "trouver une tombe", à dominante anglo-saxonne, mais par endroits traduit en français. Il vous attirera vers les tombes de William Shakespeare (il en connait 196) ou de Walt Disney (pas plus de 36), mais saura aussi trouver celle - unique - d'Alexandre Vialatte.


***

Illustrons cette chronique taphophile et confraternelle par quelques tombes dont le nom de l’hôte n’est pas toujours lisible ou évident à déchiffrer. La première nous rappellera cette inscription promotionnelle, au Père-Lachaise, citée (ou peut-être imaginée) par Robert Sabatier dans son Dictionnaire de la mort "Ci-gît M. X… qui fut bon père et bon époux. Sa veuve inconsolable continue son commerce…" suivie de l’adresse précise dudit commerce. 



mardi 4 octobre 2022

Promenade à Detroit

André Kertész, Homing ship, photographie, New York 1944 (Detroit institute of Arts).

Notre civilisation, fière de ses avancées, réalise qu’elles la conduisent inévitablement vers l’abime. Alors elle commence à réagir par de petites mesures sur les conséquences plutôt que sur la cause. Il semble bien que nous devrons désormais, habitants sans privilèges de l’Europe de l’ouest, renoncer à aller visiter ces musées du Nouveau Monde qui nous auront fait rêver, Chicago, New York, Boston, Philadelphie, Detroit… 
Qu’à cela ne tienne ! C’est le rôle des rêves de ne jamais se réaliser. Tant que nous avons un reste d’électricité et un logiciel de navigation (et aussi des tas de serveurs informatiques dans des paradis fiscaux). Les musées américains sont éloignés mais leurs sites sur internet sont prodigues. 

Le Detroit Institute of Arts, un des 10 premiers musées des États-Unis par l’ampleur de ses collections, en partage une grande partie dans de belles reproductions copiables et aux dimensions honorables (2048 pixels).  

Constituée depuis les années 1880 par les magnats et bienfaiteurs de l’humanité, de la presse et de l’automobile que furent les Dodge, Firestone ou Ford, la collection était estimée plus de 8 milliards de dollars en 2014, lorsque la ville de Detroit qui la gérait, en faillite après l’abandon de ces mêmes bienfaiteurs de l’humanité, menaça d’en mettre une partie à l’encan, la plus vendable, Brueghel, Rembrandt, Van Gogh, Matisse. Des solutions de financement furent finalement trouvées, mais l’administration du musée était toujours instable quand survinrent la pandémie de 2020, puis la crise économique. Depuis, nous n’avons plus de nouvelles (pour être honnête, nous n’avons pas cherché à en avoir, afin de maintenir cet optimisme qui fait la marque de fabrique de Ce Glob).  

S’il faut croire l’encyclopédie Wikipedia en anglais, l’évènement marquant de la vie du musée advint le 24 février 2006, quand un garnement colla son chewing-gum sur un grand tableau de 2 mètres d’Helen Frankenthaler. Après 4 mois d’acharnement la toile restaurée par le laboratoire de conservation du musée était comme neuve. On aura frôlé la catastrophe. Par chance le scandale a été oublié car c’était également le jour où les Detroit Pistons ont vaincu les Chicago Bulls.

Pratique : 
La visite des collections se fait par pages de 8 à 9 vignettes, ce qui est assez laborieux, par exemple quand la recherche des mots "de La Tour" annonce 5417 pages. Par chance les premiers affichés seront les résultats qui comportent les 3 mots recherchés (pour trouver une expression exacte, entourez-la de guillemets doubles).
Il faudra également renoncer à déambuler comme dans les salles d’un musée. Pas de consultation de l’ensemble du catalogue en vignettes ; ici, il faut savoir ce que l’on veut. Mais la fonction de recherche est assez généreuse si on saisit des mots anglais suffisamment généraux comme painting, watercolor, etching, pastel, sculpture, french, et si on utilise les filtres fournis, par collection et par date.

Notez enfin qu'il n'est pas rare, après un peu d'attente, de recevoir temporairement et aléatoirement, au lieu de la page demandée, une page "Pardon our dust", qui signifie "pardonnez notre poussière" ou prosaïquement "Site en travaux, revenez dans un temps indéterminé".


Karel Dujardin, détail de la Sainte famille de retour d'Égypte, 1662 (Detroit institute of Arts).
 
Voilà une litanie de liens qui allécheront alphabétiquement le chaland :

Bouguereau, ouvrons avec les mièvres Cueilleuses de noisettes, car il parait que c’est, comme la Joconde au Louvre, de loin le tableau favori des visiteurs du musée (nous ne commenterons pas). Breton, Jules, un curieux incendie dans une meule de blé. Bronzino, 3 belles choses. Pieter Brueghel l’ancien, la fameuse Danse de mariage et de nombreux détails (voir les flèches en haut à gauche dans la fenêtre de zoom). Butinoneâmes sensibles, évitez ce lien - le Massacre des innocents. Caravage, Marthe et Marie-Madeleine. Church F.E, la côte de Syrie. Jan de CockLoth et ses filles. Karel Dujardin, Retour d’Egypte. Fussli, le célèbre Cauchemar. Orazio Gentileschi, Femme au violon. Henri Gervex, Café à Paris. Ghiglia - La rose artificielle (il y a un piège dans le titre). Hammershøi, encore une femme dans un intérieur. M.J. Heade, un Paysage de mer. Holbein, un portrait de femme. André Kertész, beaucoup de belles photos dont la magnifique Homing ship

Pause détente, avec le Salvator Mundi présumé de Léonard de Vinci. Pour qui regretterait la disparition du tableau à 450 millions de dollars dans le désert saoudien, Detroit en possède un clone très ressemblant, aussi inexpressif, attribué un temps à Léonard, puis à son "fils adoptif" Salaï, puis à Giampetrino. Mais où s'arrêteront-ils ?

Reprenons avec Alfred Leslie, une violoniste. Detroit possède peut être l'intégrale des gravures de Martin Lewis, et nombre de dessins préparatoires. Nous en parlions en 2009, mais la plupart des liens sont morts. En voici quelques autres : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7. Liotard, portrait au pastel de Marie-RoseThomas Moran, une Venise à la Turner. Rembrandt Peale, un homme lisant à la chandelle. Jan Provost, un délicieux Jugement dernier. De Rauhauser une longue série de photos, dont Car wreck. W.T. Richards et sa Long Branch Beach. Jacob van Ruisdael, le célèbre Cimetière juif. Gilbert Stuart, les beaux portraits de la famille Todd. Un Ter Borch rare, l'homme lisant. Une extraordinaire scène goyesque avant Goya d'Adriaen van de Venne, Quaet slagh ou Angry blows (?) Un étrange portrait d'homme par Velázquez. Une mer calme de Simon de Vlieger. Un intérieur de Vrel. De Richard Wilson, un paysage avec un moine blanc difficile à distinguer. Enfin, les spectaculaires Bottes marines d'Andrew Wyeth.

mercredi 2 mars 2022

La poésie à l’huile



Confrontés à l’aggravation des conséquences catastrophiques du dérèglement climatique, annoncée hier par le Groupe international d'experts sur l'évolution du climat, les dirigeants de la planète, qui ne voient pas plus loin qu'une échéance électorale, resteront hébétés et inertes.
Mais s'il s'agit pour nos maitres de faire oublier leurs erreurs et relancer la sainte croissance économique anémiée par leur politique sanitaire, les vieilles habitudes reviennent, et on entonne sans hésiter le refrain impérialiste, contre le peuple ukrainien pour commencer.
Immédiatement les marchés se réjouissent, le prix de l’or grimpe vers le record absolu qu’il avait atteint au début de la pandémie, et le pire de tout, le plus laid et le plus raté des triptyques du peintre Francis Bacon s'achète 51 millions de dollars chez Christie’s.

Oui, ça fait beaucoup, la coupe est pleine. Il est temps de revenir aux fondamentaux, à la poésie, et pas n’importe quelle poésie, pas la poésie au beurre ou à la graisse, non, la poésie à l’huile ! C’est le grand expert Éric Turquin qui le dit. 

Nous avons déjà présenté, voici un mois, les Fraises des bois de Chardin, tableau légendaire qui sera proposé aux enchères le 23 mars prochain chez Artcurial. Dans sa courte vidéo promotionnelle, M. Turquin nous apprend que l’encyclopédiste Denis Diderot adorait la peinture de son contemporain Chardin, mais reconnaissait ne pas comprendre sa magie. Or M. Turquin sait pourquoi et nous le dit, osant même, dans l’exaltation, une métaphore culinaire « tout simplement parce que Chardin c’est un immense poète à l’huile ». On ne saurait faire plus imagé. 

Et vous pourrez dès maintenant en déguster toute la poésie en très haute définition sur le site d’Artcurial, découvrir sur les radiographies les repentirs du peintre, et vérifier les voyages du tableau sur les étiquettes collées au dos du cadre (notre illustration).

Évidemment tout cela sera superflu si vous allez sur place, à l’hôtel des ventes, à Paris 9 rue Drouot, salle 9, les lundi 7 ou mardi 8 mars, entre 11h et 18h précisément, ou à l'extrême limite chez Artcurial au 7, rond-point des Champs-Élysées, Paris 8ème, du vendredi 18 au mardi 22 mars, entre 10h et 18h (sauf dimanche matin).

samedi 25 décembre 2021

« Petit pan de mur jaune »

À l’exception d’opérations de prestige, le financement des musées a depuis tant d’années disparu des préoccupations des pouvoirs que leurs administrateurs, désignés par les mêmes pouvoirs, s’épuisent à la recherche de moyens pour les maintenir à flot.
Symptôme de cet abandon, tous les dirigeants de la planète en chœur ont interdit l’accès des musées, même déserts, aux personnes non vaccinées contre le coronavirus, même porteuses d’une preuve de test négatif (comme c’est le cas en Suisse et bientôt en France) pendant que les foules, vaccinées ou non, s’entassent joyeusement dans les transports en commun sans le moindre laissez-passer.

Toutes les méthodes ont été expérimentées par ces gestionnaires désappointés, de l’interdiction de photographier dans leur musée, au circuit de visite obligeant le transit par la boutique de souvenirs, jusqu’à la médiatisation outrancière d’expositions misérables, parfois financées par des mécénats douteux.
On ne s’étonne donc plus de voir les responsables de musée les plus dynamiques se laisser abuser par n’importe quel truc soi-disant infaillible venu d’on ne sait où et censé améliorer la situation de leur établissement.

Une de ces idées miracles, qui commence à faire des ravages dans la présentation des œuvres et sur le confort des visiteurs, concerne les cartels, ces étiquettes explicatives traditionnellement placées près des objets exposés, si possible à hauteur des yeux.
Ces cartels ont tendance, depuis quelque temps, à tomber au sol, au pied de l’œuvre et aux pieds des visiteurs, sans l’aide de courants d’air, ni de la gravitation.

Le musée y gagne de la place sur les murs, et peut resserrer les tableaux et ainsi satisfaire une autre tendance moderne, illusion de transparence, qui est de montrer un maximum des réserves du musée. Surenchère louable quand elles recèlent des trésors (qui devraient plutôt être partagés avec les musées moins dotés), mais débauche vite épuisante quand les cimaises se couvrent de rogatons.

Et les plus zélés des conservateurs en profitent pour muer la petite étiquette discrète, qui situait brièvement l’artiste dans l’espace et le temps, en une véritable encyclopédie. On y retrouve alors toute l’histoire du tableau, du peintre, du musée et de la région, en petits caractères et en 500 mots. 

Ici encore l’exubérance est honorable, mais tous les désagréments en ont-ils été évalués ?

En effet après 45 ans, une large proportion de l’espèce humaine qui fréquente assidument les musées éprouve des difficultés à voir de près et corrige cette altération naturelle par des lunettes adaptées mais qui ne permettent plus de voir vers le bas des petits caractères trop éloignés. Pour lire les cartels au sol, il n’y a plus alors que la génuflexion ou l’accroupissement. 
Toute à l’admiration des cimaises à hauteur de ses yeux, la personne suivante, affectée probablement de la même pathologie, ne verra pas l’obstacle. Il en résultera une scène burlesque qui dérangera le silence recueilli des lieux, déclenchera peut-être l’alarme et alertera les gardiens qui soupçonneront des déprédations.



 
Et puisqu’il faut bien parler de rentabilité, on reproche encore souvent au touriste qui prend 30 secondes pour photographier un tableau de spolier l’esthète, qui attend après lui, d’un temps de contemplation jugé d’une valeur supérieure ; on s’impatiente également, derrière un touriste qui tripote nerveusement l’audioguide et stationne plusieurs minutes devant un tableau sans s’apercevoir que la voix nasillarde qu’il écoute distraitement ne commente pas la même œuvre ; alors que dira-t-on de l’amateur qui passera et repassera entre les visiteurs et les tableaux, et s’arrêtera bien 5 minutes devant chacun pour en lire consciencieusement le cartel ?

Dans l’exemple tout à fait réel de l'illustration ci-dessus, au musée des beaux-arts d’une ville moyenne du centre de la France dont tous les étages, après 5 ans de travaux, ont vu l’ensemble des cartels ainsi gonflés d’information et cloués au sol, l’amateur pointilleux du paragraphe précédent demandera plus d'une demi-heure pour lire les étiquettes et regarder les œuvres de ce coin de mur.
Ceci dit, ça n’est peut-être pas un problème dans un musée de province. Il étaient déjà peu fréquentés avant la crise sanitaire. 

Enfin passons vite sur les questions de lumière. Il faut bien éclairer les pieds des touristes qui passeront désormais une partie de leur visite à regarder leurs chaussures, et régler finement la chose pour que le faisceau lumineux n’y projette pas leur propre ombre et n’interfère pas trop avec l’éclairage destiné aux tableaux.

Comme dit le proverbe congolais, les bonnes idées ne sont pas toujours les meilleures
Peut-être verrons-nous parfois, au pied d'un tableau, dans une salle reculée d’un musée désert, quelque vieillard ratatiné qui n’aura pas pu se relever d’une génuflexion, à l’image de l’écrivain Bergotte venu mourir devant le petit pan de mur jaune d’un tableau de Vermeer, dans le roman de Marcel Proust.

lundi 22 novembre 2021

Loin de Vienne

Un des Lorenzo Lotto du Kunsthistorisches Museum de Vienne. 
D'accord, tout le monde parait s'y ennuyer solidement, la pose sans bouger devait être longue et éprouvante, mais quel bleu !


« Il faut aimer la peinture Flamande et académique jusqu'au XVIIIième. Le musée est triste, les salles immenses ! […] Le prix élevé n'est pas mérité. Il faisait tellement beau dehors que nous sommes ressortis très vite. »
Un commentaire en septembre 2021 sur TripAdvisor, site international du voyageur cultivé qui pratique la numération romaine.

Le Kunsthistorisches Museum (KHM) abrite, au cœur de Vienne, en Autriche, la galerie de peinture ancienne la plus riche d’Europe (au mètre carré), et, par bonheur, une des moins visitées : 600 000 par an d’après Wikipedia. Imaginez des salles 15 fois moins peuplées que celles du Louvre !
Il expose pourtant les tableaux les plus connus des peintres les plus fameux du 15ème au 18ème siècle. Bien entendu depuis presque 2 ans les nombreuses restrictions des nations au droit de voyager limitent sérieusement les visites sur place. Reste le voyage immobile.  

Le site internet du musée remonte hélas presque à l’époque de la collection, pas autant que celui du Louvre néanmoins puisque des reproductions libres de droits et d’assez bonne qualité (jusqu’à 3000 pixels) de 25 000 œuvres, dont 2500 tableaux, sont disponibles.

Mais le site est peu fait pour la flânerie. Il faut savoir à l'avance ce qu’on y cherchera afin de filtrer et réduire le nombre de résultats.
Car comme le site de l’Art Institute de Chicago, celui du KHM affiche chaque page suivante d’une recherche en rechargeant l’ensemble des précédentes, si bien que, vers la page 20, il commence à dérailler et présenter des œuvres en double, triple, puis vers la page 30, tout bascule et les écrans se répètent, tous identiques. Alors on renonce, réalisant que tel Sisyphe on n’atteindra jamais les dernières œuvres de la requête. 

Pour confondre les incrédules et inciter les autres à aller y réviser, avec prudence dans les recherches néanmoins, les chefs-d’œuvre du passé, voici un florilège dans un ordre vaguement alphabétique. Ne tardez pas trop à les récolter, tous ces liens pourraient vite devenir caducs, le site est vétuste et l’hiver n’est pas loin.

Passons sur le joyau du musée, les 11 Brueghel père, déjà évoqués lors de la grande rétrospective de 2018 à Vienne et toujours visibles en gigapixels sur un site dédié miraculeux. Seul le Suicide de Saül, alors en restauration, manquait. Le voici aujourd’hui (ci-dessous), lisible et grandiose (mais pas en gigapixels).

Le 12ème Brueghel du musée, le suicide de Saül, enfin visible et limpide.
 

La visite commence, installez-vous, et un peu de silence s’il vous plait…

D’Altdorfer, cette résurrection volcanique parmi d’autres, d’Antonello de messine, sainte Dominique, de Baldung Grien, la Mort et sa salière, quelques beaux Jacopo Bassano, des Bellotto en pagaille, évidemment des vues de Vienne, le plus léché des Bronzino, le 12ème des Brueghel, le suicide de Saül, encore un suicide, celui de Cléopâtre par Cagnacci où la pleureuse au fond semble être le même personnage qui s’est déplacé pendant la pose comme dans un tableau animé, les 3 plus beaux Caravage, les Corrège les plus fumeux ou fantaisistes, des portraits incomparables de Cranach, un triptyque de Gérard David mal reproduit, deux superbes Del Mazo décidément très inspirés de Velazquez, des Dürer mémorables, des Francken comme s’il en pleuvait, 2 merveilles méconnues de Geertgen (Gérard) de saint Jean, peut-être le plus beau tableau de Gentileschi (Orazio, le père évidemment), 4 ou 5 Giorgione des plus réussis, de beaux Guardi, Holbein le jeune, 4 rares Wolf Huber mal reproduits, une scène plus rare encore et singulière, de Jacobus Mancadan dont il faudra un jour parler, un sobre portrait par Juan de Flandes, le plus fameux des Jordaens qui éclate lui aussi de retenue et de discrétion, parmi les Lorenzo Lotto le plus beau certainement (voir illustration), une salle d’interrogatoire accueillante par Magnasco, deux rares Patinir, fantastiques et bien reproduits, un étrange tableau de Christoph Paudiss, curieux peintre bavarois à suivre, quelques Rembrandt bien frappés, un déluge de Rubens, de beaux Johann Schönfeld, bon nombre de Spranger, un charmant Ter Borch intimiste (n’oubliez pas de zoomer), et puis des masses de vénitiens, Tintoret, Tiziano Vecellio (Titien), plein de paysages animés de Lucas Valckenborch, de Van der Goes sainte genoveva et son petit démon, et une pathétique descente de croix, de Rogier Van der Weyden l’immense triptyque de la crucifixion et ses anges presque noirs, un singulier portrait triste (peut-être un autoportrait) de Samuel van Hoogstraten derrière une fenêtre, des chefs-d’œuvre de Velazquez, l'atelier de Vermeer, une série d’architectures rêvées par Vredeman de Vries, et enfin une sombre image de confinement par Jacob Vrel.  

Qui dit mieux ?

Ajoutons pour être complet que le KHM a concédé au site Google Arts&Culture, naguère Google Institut culturel, et jadis Google Art project, l'autorisation de reproduire dans un ordre proche de l'aléatoire et une qualité nettement supérieure 100 de ses tableaux, dont bon nombre de notre florilège. La visite vaut réellement le coup d'œil pour qui souhaite en examiner des détails. 

N’oubliez pas le guide… Merci.
 

jeudi 21 janvier 2021

Inactualité du triptyque de Moulins

Le Coronavirus, organisme dérisoire d’à peine un dix-millième de millimètre, s’est invité durablement dans l’espèce humaine. Effrayée, elle a jugé vital de cesser toute activité culturelle, excepté la diffusion audiovisuelle de niaiseries fabriquées en série.
On ne sait pas encore si les vaccins concoctés avec empressement arrêteront la contagion, mais les musées, qui ont subi en 2020 une perte de 75% des visiteurs, sont vraisemblablement partis pour une année 2021 équivalente, au dire des experts de l’Organisation mondiale de la santé
Alors un blog qui se vante de divaguer autour des évènements culturels se trouve malgré tout fort dépourvu quand ces évènements n'existent plus.
 
Revenons donc aux choses inactuelles. 
 
Voilà plus de 5 ans, Ce Glob pleurait les misérables conditions d'exposition du magnifique triptyque logé dans la sacristie de la cathédrale de Moulins, peint vers 1500 par celui qu’on nomme le Maitre de Moulins, venu de Flandres, et dont l’identité généralement acceptée serait Jean Hey. Pour mémoire cette lamentation se trouve là.
En 5 ans, cette triste situation aura-t-elle évolué ? A-t-on maintenant des reproductions acceptables de cette Vierge entourée d’anges et de donateurs ? La sacristie aura-t-elle été cambriolée ?

Répondons sans hésiter : non, non et non !
  
Le triptyque bigarré du maitre de Moulins dans une de ses meilleures (hélas) reproductions sur internet, sur le site de la paroisse Notre-Dame-du-Bourbonnais. Ils ont sans doute un peu forcé sur les couleurs, notamment les rouges, comme s'ils avaient passé les panneaux dans une station de lavage automobile en cochant toutes les options, shampoing haute pression et lustrage à la cire.

On a bien frémi en lisant dans La Montagne du 29 janvier 2018 que le triptyque, alors dans un « lieu vieillot, sombre et mal aéré », faisait l’objet d’un projet de « mise en valeur » déjà très ancien (mais très compliqué) qui devait se concrétiser dans l’année même, suite à des réflexions, des rencontres et même des réunions !
Il était estimé entre 300 000 euros, en faisant le minimum - améliorer et sécuriser l’accès, et rafraichir le triptyque - et 2 millions si on bouleversait les lieux dans un geste moderne de « vulgarisation du triptyque » avec audioguides. Tout cela était prometteur.

Ensuite il ne s'est rien passé.

En juillet 2020, on constatait, dans un documentaire de promotion touristique de l’Allier, de Moulins et des galettes de pomme de terre, que les conditions de visite ne s'étaient pas améliorées.
En aout 2020, sur le réseau Twitter, on remarquait qu’entre deux périodes de confinement un amateur, qui avait bravé le virus pour aller admirer le triptyque, en était encore réduit à photographier des cartes postales pour prouver son audace aux amis restés cloitrés.

Quant aux images sur internet, la plupart des rares œuvres du maitre de Moulins se trouvant en France, au Louvre et au musée d’Autun, les reproductions en sont toujours lamentables.

On essaiera de se consoler en guettant furtivement de beaux mais frustrants détails du triptyque dans la vidéo promotionnelle moulinoise, à partir de la 3ème minute et pendant 90 secondes (n’oubliez pas de la paramétrer en qualité « 1080p HD »), et en visitant les sites internet des musées de New York et de Chicago qui exposent respectivement un et trois tableaux du maitre, et qui les proposent naturellement en haute définition et libres de droits.  

Enfin, à propos d'un plausible cambriolage, on notera que la sacristie de la cathédrale de Moulins présente des points communs avec les lieux mal sécurisés qui furent le théâtre des récents larcins des Frans Hals, Van Gogh, Salvator Rosa et quelques autres, mais que le format malaisément transportable des panneaux du triptyque le protège encore un peu.
 

lundi 20 juillet 2020

Arithmétique récréative au Louvre

Le mensonge, ou plutôt le « n’importe quoi pourvu que ce soit gros » a de tout temps été le moyen de communication favori des humains (remplacez gros, au choix, par grossier, simpliste, caricatural, primaire).
Les neurologues les mieux informés affirment que le cerveau humain préfère entendre ce qu’il sait déjà ou ce qu’il a le moins de mal à comprendre, comme cela il peut économiser son énergie et continuer à flotter doucement dans le formol de ses inclinations routinières.

Admettons, mais alors, quand le « n’importe quoi » est très gros à avaler, disons comme un autobus, toutes ses alertes devraient se mettre à sonner et le réveiller en sursaut « Attention, surcharge, on coule ! »
Il semblerait que non. Quelques moins crédules jetteront peut-être l’intrus par-dessus bord, mais pour la plupart, contre les lois les plus élémentaires de la physique, le poids de l’autobus renforcera la flottaison cérébrale.
Il en est même qui excusent cette conduite du cerveau en prétendant que l’humain n’aurait pas vécu bien longtemps s’il avait fallu qu’il doute de tout ce que ses sens lui rapportaient. C’est un peu facile.

Lorsque l’Agence d’État en voie de Privatisation (AFP) annonçait, dès le 25 février 2020, sous la dictée du président du musée Louvre, que l’exposition Léonard de Vinci avait reçu 1 071 840 visiteurs en 4 mois exactement, personne ne fut surpris. Le matraquage médiatique avait été si intense pendant les mois précédant l’exposition que pour tout le monde Léonard était un génie omniscient et universel, qui avait choisi de mourir en France, et de prendre le Louvre comme impresario, en lui confiant le plus grand nombre sur terre de ses chefs-d’œuvre immortels, dont la légendaire Joconde, connue même hors du système solaire.

Alors, une moyenne de 9783 visiteurs par jour, personne ne tiqua. Pourtant la chose était impossible.

Seul M. Rykner, la petite bête du site La tribune de l’art, qui ne cesse d’aller gratter les contrevérités des grandes institutions de l’art, s’en inquiétait 4 mois plus tard dans un long article plein de laborieux calculs de jauge et concluait tièdement qu’il restait un mystère.

Pourtant les calculs sont simples. Pour mémoire « Les normes de sécurité (notamment incendie) dans les lieux recevant du public, musées ou expositions, interdisent de dépasser une personne pour 5 mètres carrés accessibles au public, sauf autorisation d’une commission de sécurité ».
Dans le cas du hall Napoléon du Louvre, l’aire d’exposition de 1350 mètres carrés devait donc refuser plus de 270 visiteurs simultanés.

En prenant une moyenne, large, de 12 heures d’ouverture par jour (comptant les jours avec nocturne et les prolongations), et un temps de visite moyen par client d’une heure et demi (ce qui est déjà sportif, ça revient à consacrer 30 secondes seulement à chacune des 175 œuvres exposées), le nombre de visiteurs quotidiens n’aurait pas dû dépasser 2160 [(12 / 1,5) x 270].
Or le Louvre en déclare une moyenne de 9783, soit 4,5 fois la limite, c’est à dire 1200 personnes simultanément devant 175 œuvres. À peine plus d’un mètre carré par visiteur. Est-ce vraiment sérieux ?

À moins qu’une majorité de clients soient entrés, puis sortis immédiatement après avoir constaté que la Joconde, seul motif de leur visite, n’y était pas. Dans ce cas l’exposition serait plutôt un échec, puisque la Dame voit habituellement passer plus de 20 000 touristes par jour. C’était d'ailleurs exactement la raison invoquée par le président du Louvre pour justifier son absence « les espaces d’exposition ne permettent d’accueillir que 3 à 5000 personnes par jour ». Et ces espaces en auraient toutefois ingurgité près de 10 000 par jour sans interruption pendant 4 mois ?


À la revue de son royaume, quand il longe la cour intérieure où sont remisées les sculptures antiques, le président du Louvre ressent toujours un frisson de terreur devant cette statue chthonienne qui lui indique, menaçante derrière sa grille régulière comme les repères d’un graphique, la courbe que devront suivre sans faute les résultats de sa gestion du musée.

Ainsi les chiffres annoncés par le Louvre, et sans doute ceux d’autres grandes expositions, privées ou publiques, sont des bobards. Le billet unique ou jumelé permet de noyer les visites dans un grand nombre global qui évite les statistiques détaillées. Le seul objectif étant la surenchère, il suffit de déclarer plus que le voisin, et tout le monde le croit. Personne ne vérifiera, et les données réelles (billetterie, avis de la Commission de sécurité…) ne seront éventuellement publiques que s’il arrive une catastrophe, suivie d’un déballage médiatique où chacun essaiera de se défausser sur l’autre.

Et comment peut-on affirmer que ce sont des fables plutôt que des erreurs ?
C’est simple. Un mensonge est une donnée imaginaire, sans référence objective, et on doit donc le conserver précisément en mémoire, qui est faillible. Ainsi le 25 juin, 4 mois après la clôture de l’exposition et l’annonce du record de 1 071 840, le président du Louvre annonçait fièrement au New York Times, en anglais (*), que l’exposition Léonard avait accueilli 1 200 000 visiteurs. La fréquentation enregistrait alors une belle progression de 12%.

On ne saurait illustrer plus clairement qu’on peut raconter n’importe quoi.

***
(*) NYT : How much did your blockbuster Leonardo da Vinci exhibition, which closed right before the lockdown, bring in?
    JLM : We had 1.2 million visitors, which works out to about €2.5 million in revenue. That’s quite exceptional. Generally, exhibitions are loss-making, which is not a word I like to use. They cost us money.
 

lundi 29 juin 2020

Il n’y a pas d’H à Ermitage (2 de 3)


Comme dans ce tableau de Jan Kobell (Ermitage, non exposé), ouvrir une simple porte dans le musée virtuel de l’Ermitage est une expérience troublante qui ne vous mène pas toujours où vous le pensiez.

Exaltés par votre errance dans le palais de l’Ermitage, vous n’avez probablement pas résisté à chercher les artistes que vous aimez, et pour cela à consulter le catalogue des collections en ligne.

Mais les liens du catalogue vers la visite virtuelle ne sont pas fiables. Ils vous entrainent le plus souvent sur de fausses pistes.
Vous voulez voir un tableau dans son contexte, cliquez sur le numéro de la salle (Room), êtes transportés vers un nouveau plan, peu ou pas interactif, qui ne comporte pas toujours la salle demandée, ou qui mène à une page vide, et quand vous trouvez par hasard le bouton « Virtual visit 3D » ou « View in 3D », vous êtes admonestés d’un « Erreur 404 non trouvé ».
Alors vous renoncez et revenez au plan de visite virtuelle.
Mais vous savez, depuis l’épisode précédent, que nombre de salles manquent sur ce plan, notamment les arts du 19ème au 21ème siècle.

Or il existe un moyen d’atteindre ces salles hypothétiques, c’est d’utiliser la visite virtuelle en partant d’une salle que vous estimez proche de votre objectif. Pour cela vous disposez, en plus du plan interactif, de deux outils.
Le zoom, qui permet de lire les numéros de salles apposés près de l’encadrement des portes (mais ils manquent souvent et ne sont pas toujours ordonnés), et 150 raccourcis vers des salles prestigieuses que l’Ermitage a distinguées sur une page spéciale. Évidemment, les salles y sont baptisées mais pas numérotées, histoire de brouiller les pistes, mais c'est de là que vous pourrez accéder à Bonnard, Degas, Monet, Vallotton, et tant d'autres.

Illustrons. Vous bruliez de voir dans quel contexte est présenté le « carré noir sur fond blanc » de Malevitch, un des fondements de l’art moderne, dont l’auteur déclarait, dit la notice « Le carré n’est pas une forme subconsciente. C’est une création de la raison intuitive. […] Le carré est vivant, c’est le premier pas vers la créativité pure ».
Le catalogue le localise salle 443, qui est absente des plans.
En examinant la liste des 150 salles, vous trouvez sur l’onglet 11 des salles dont l’art vous parait moderne, le nom de Malevitch se trouve même sur la vignette de la salle « Dmitry A. Prigov ».
Vous êtes près du but. Vous cliquez sur la vignette…, puis sur le bouton « View in 3D »…

Sur place vous inspectez les salles avoisinantes. Pas de numéros de salle. Pas de Malevitch alentour. Mais vous arrivez par hasard dans une salle où vous reconnaissez, sur certains tableaux, un style caractéristique. Le titre de la page le confirme, vous êtes dans la « salle Friedrich ». Vous cherchiez la 443, vous êtes dans la 352, inaccessible autrement.

L'exceptionnelle salle des 8 tableaux de Caspar Friedrich, dont le catalogue des collections dit qu’elle porte le numéro 352, mais qu’on ne peut atteindre qu’en fouinant autour des salles de l’art contemporain, elles-mêmes accessibles un peu au jugé.

D’accord, l’exemple était mal choisi. Qu’à cela ne tienne, la physique la plus moderne prétend que la matière se comporte ainsi dans la réalité, qu’elle peut se trouver n’importe où et dans plusieurs endroits en même temps. Les physiciens appellent ce phénomène la non-localité. Et puis avouez que vous vouliez voir cette riche collection de paysages de Friedrich.

Abordons enfin un sujet gênant. Dans l’épisode précédent nous promettions de résoudre le mystère de l’introuvable salle 308, qui recèle notamment, dit le catalogue, 3 des tableaux les plus fameux de Jean-Léon Gérôme, dont sa plus grande version du nébuleux et pathétique « après le bal ».
Hélas, après des heures d’errantes insomnies, reconnaissons que c’était pure vantardise.
Nous nous excuserons en offrant un abonnement au blog, gratuit et à vie, pour tout indice déposé dans les commentaires.

Nonobstant ces petites déconvenues, maintenant familiers des lieux, vous avez réalisé que la plupart des œuvres (98%) ne sont pas exposées (Not on display), ou sont fréquemment introuvables, mais qu’elles sont bien documentées dans l'excellent catalogue en ligne qui regorge de curiosités et de raretés. Nous le feuillèterons dans le prochain épisode.

Au cours de votre visite de l’Ermitage virtuel, si vous êtes ici, c’est que vous êtes perdus, toujours dans le musée, mais dans une zone étrange qu’il vaudrait mieux éviter. Revenez sur vos pas, retrouvez les salles Picasso en passant par la salle Vlaminck, ou vous resterez à perpétuité dans cet environnement carcéral. 
À défaut reprenez le jeu au début, ou éteignez tout.

lundi 22 juin 2020

Il n’y a pas d’H à Ermitage (1 de 3)


Saint-Pétersbourg, la place du Palais et la façade du Palais d’hiver, jadis résidence des empereurs de Russie et aujourd’hui musée de l’Ermitage, théâtre de notre quête. Ici l’histoire se fait à chaque instant. Le 20 juin à 1h, c’était la féerie d’un soir de printemps, et 6 heures plus tard une tentative de putsch militaire sans doute, infructueux si on en croit le silence des médias sur le sujet.

On raconte que le virus à couronne, devenu mondialement célèbre en mars dernier, souhaiterait refaire un tournée planétaire, qu’il réapparait en Chine et qu’il sera peut-être en Europe dans quelques mois. Préparons-nous, par précaution, pour un long voyage immobile.

D’abord, déçu par d’anciennes excursions, on pense qu’il est inutile de retourner à Pétrograd, enfin Léningrad, disons Saint-Pétersbourg, sur le site du Государственный Эрмитаж (musée d’État de l’Ermitage). La randonnée a toujours été épuisante. On le dit le musée le plus copieux du monde en nombre d’objets, en réserves ou exposés, mais les recherches y étaient trop laborieuses, en cyrillique, et les reproductions épouvantables.

Et puis un jour au gré d’une dérive distraite, on voit passer une page, en anglais. On constate en fouillant que ce ne sont pas seulement 3 ou 4 pages clairsemées, comme souvent, mais que le site du musée de l’Ermitage au complet, avec le catalogue détaillé des collections, existe désormais en deux langues, russe et anglais, et que les reproductions y sont maintenant d’une qualité suffisante pour une déambulation agréable et instructive, pour qui sait déchiffrer un peu la langue de Disney.
On va finalement pouvoir errer dans ce mystérieux musée inaccessible pendant près d’un siècle, dont on disait qu’il regorgeait de Rembrandt, de hollandais, de français, d’italiens, de Léonard de Vinci, de millions de choses merveilleuses que personne n’avait jamais vues.

Cette « ouverture » du musée n’est pas si soudaine, c’est en fait un long travail depuis la fin du siècle dernier, couronné et soutenu en 2011 par la création de la « Fondation pour le développement de l’Ermitage ». Et comme en France, où les véritables spécialistes de l’art sont les fournisseurs d’énergie, de béton ou de produits de luxe, dans la Russie moderne, les grands musées sont encore contrôlés par les représentants de l’État, mais à travers sa participation majoritaire dans de grandes firmes.
Ici, la fondation est pilotée par la banque Gazprom, une des plus grosses entreprises stratégiques russes, principale émettrice des gaz qui détruisent l’atmosphère terrestre, assistée par Coca-Cola, Vuitton, Samsung, et autres bienfaiteurs de l’humanité.

Et les effets s’en font sentir. Nombreux projets de succursales, à l’image de celle d’Amsterdam, à Las Vegas, Barcelone, Moscou, Vladivostok, ambitieuses opérations de restauration d’œuvres, expéditions archéologiques, traduction totale du site en anglais (Comment, vous ne maitrisez pas la langue des affaires ?), et création d’une visite virtuelle du musée sur internet.

Si beaucoup de ces opérations de prestige semblent s’être évaporées comme de la buée dans les nuits froides de Saint-Pétersbourg, la visite virtuelle de l’Ermitage est bien concrète, si on ose dire. C’est même la plus exceptionnelle expérience de promenade électronique dans un grand musée.
Dans ce monde vaste et silencieux, vous aurez à votre disposition les outils simples et traditionnels des jeux vidéos, pour vous repérer, vous déplacer et interagir.

Les webcams

Elles sont au nombre de trois et montrent le monde réel. Trois caméras en haute définition qui fonctionnent en permanence, placées sur la grande place du Palais face au musée, dans la cour centrale du Palais d’hiver, et dans le hall Raphaël (retenez qu’actuellement l’heure de Saint-Pétersbourg est celle de la France plus une). Vous ne verrez presque personne passer sur l’image des deux dernières, au cœur de l’Ermitage, tant qu’il sera fermé pour raison sanitaire, ou parce que c’est lundi.
Ces caméras vous serviront peu, mais il sera parfois reposant, comme devant le spectacle de la mer, d’afficher en plein écran l’immense place du Palais, aux heures animées, et de scruter les occupations de ces innombrables fourmis (notre illustration plus haut).

Le catalogue des objets à chercher

C’est le cœur de notre quête.
Comme le Louvre, l’Ermitage présente des artefacts de toutes les civilisations, dans un espace de temps plus vaste encore, de la préhistoire à l’art moderne, avec une préférence pour l’époque contemporaine de la création du musée, c’est à dire les arts et artisanats du 18ème siècle, ou très appréciés alors.

Dans le catalogue vous trouverez l'image, les caractéristiques détaillées, et l’historique des 3 millions d’objets conservés par l’Ermitage, ou au moins d’une bonne partie. Notez que 60 000 seulement sont exposées au public.
Nous reviendrons sur ce catalogue dans un prochain épisode. Il ne nous servira pas pour l’instant, car s’il indique la localisation des objets exposés (le numéro de la salle et l’emplacement de la salle dans le musée), il ne nous emmène pas sur place dans la visite virtuelle, ou parfois seulement, et par des détours subtils qui feront le plaisir des esprits fureteurs mais l’exaspération des flâneurs.


L’Ermitage expose deux tableaux de Joseph Wright of Derby, achetés à peine secs pour Catherine 2 de Russie dans les années 1770. Mais comment les atteindre dans la visite virtuelle ?


La visite virtuelle

C’est une fonction exceptionnelle, sans doute unique sur internet, à cette échelle.
Les 66 000 mètres carrés d’exposition du musée, boiseries, marbres, ors et somptuosités sont à la portée de votre main. Vous vous déplacez de salle en salle, zoomez pour détailler les vues panoramiques, vous arrêter sur chaque objet, en lire la notice, et voir l’œuvre de plus près.

Pour ne pas vous perdre, ou vous repérer si vous êtes déjà égaré, vous disposez d’un plan général interactif. Il affiche, sur 3 étages, la liste de toutes les salles (il y en a des centaines), le thème et la période exposés, et vous y emmène directement. Si vous connaissez le numéro de la salle recherchée, vous disposez sur la même page du plan où elle peut être sélectionnée, ce qui vous y téléporte également.

Trucs et astuces

• Il vous faudra quelquefois choisir un autre point de vue dans la même salle (elles sont vastes) pour accéder aux informations sur des objets de la pièce qui, d’où vous êtes, ne semblent pas documentés (signalés par un i cerclé).

• Certaines pièces ont peu d’objets documentés, mais n’oubliez pas de lire, en haut de page, les informations sur la salle, qui en disent parfois long.

• Pris d’un vertige naturel devant tant de luxe, vous ne vous souviendrez pas toujours de quelle salle vous veniez. L’Ermitage l’a prévu et vous indique sur une vignette, quand vous pointez la pièce suivante, si vous l’avez déjà visitée lors de la session.

• Quand vous vous arrêtez devant une glace, ne vous étonnez pas de ne pas voir votre reflet. Pour que l’expérience soit impressionnante, le musée est totalement désert, les visiteurs sont effacés. Mais peut-être réussirez-vous à apercevoir quelques silhouettes floues, au rez-de-chaussée par exemple, vers les vestiaires. Un témoin peu fiable dit les avoir vues, une fois.

• Dans son ensemble, le jeu est savamment développé, mais comme dans toute création humaine un peu complexe, il vous arrivera, pensant entrer dans une pièce, de vous matérialiser dans une autre, très éloignée. Ça ne sera pas un raccourci, mais une anomalie du logiciel.
 
Enfin, souhaitant atteindre un numéro de salle vu dans le catalogue des objets, vous pourriez ne pas le trouver sur le plan, ou tourner autour de la salle sans réussir à l’atteindre.
Ainsi, vous entreverrez peut-être des peintures impressionnistes, des tableaux de Caspar Friedrich, de Matisse, les plus fameux Gérôme, un carré noir de Malevitch, ou 43 Picasso, mais le plan refusera de vous y mener.
Peut-être faut-il, comme dans tout jeu vidéo, avoir acquis un niveau d’expertise suffisant pour que ces salles s'ouvrent, comme une récompense.

Nous verrons, dans le prochain épisode, comment atteindre ces mystérieuses pièces inaccessibles, et tenterons même de résoudre l’énigme de la salle 308.


Où se trouve le plus beau tableau du musée de l’Ermitage ?