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dimanche 20 avril 2025

Ce monde est disparu (18)

 

Le Metropolitan Museum of Art de New York a fièrement annoncé qu’il exposait désormais en salle 829 un portrait d’Yvonne Suys à 7 ans, peint par Fernand Khnopff en 1890, acheté* par une fondation étasunienne chez Millon-Belgique le 18 janvier 2024 contre 650 000$, et confié donc récemment au musée en prêt à durée indéterminée.

* cliquer sur "Read more" pour une notice détaillée en français


Un tableau qui disparait aux enchères pour réapparaitre après quelques mois au Metropolitan, ce musée si généreux en belles reproductions, quelle chance, se dit-on. Mais la fondation prêteuse a ses caprices, et le musée a une conception particulièrement floue du droit d’auteur et du domaine public ; un tableau peint après 1880 - la limite est très vague, à 50 ans près en plus ou en moins - ne sera reproduit que par une médiocre vignette, et zoom et téléchargement en seront prohibés.   

Évidemment, la règle nébuleuse s’applique à ce tableau de Khnopff, dont l'huile est pourtant sèche depuis 135 ans (et l’auteur depuis 104 ans).


Heureusement Ce Blog veille et fournit des images de bonne qualité en taille réelle qu’il est conseillé de conserver au frais, ci-dessus avec la photo du modèle et ci-dessous bordée de son beau cadre.


Il va sans dire que vous pouvez choisir d’aller voir l’original, il suffira d’effectuer les 15 000 prochains kilomètres de vos déplacements quotidiens en vélo plutôt qu’en voiture, et économiser ainsi suffisamment de dioxyde de carbone pour vous offrir un aller-retour vers New York en avion.


Note pipole : L’enfant modèle, née dans la haute bourgeoisie, épousera un champion d’escrime issu aussi de la haute bourgeoisie.

Ils exposeront leur riche collection de tableaux dans l’hôtel particulier qu’ils feront construire au cœur de Bruxelles.

Yvonne Suys mourra à 41 ans, 3 ans après son mari.


mercredi 6 novembre 2024

Les milliardaires et la crise du logement

Du trop méconnu Wallerant Vaillant, détail d’un Autoportrait au Turban, vers 1670. (Clark Art Institute, Williamstown, donation Tavitian 2024) 

Avertissement de dernière minute : Le jour où un vieux milliardaire hystérique, financé par des confrères mégalomanes et soutenu par plus de 100 millions de malheureux humains, vient de reprendre le pouvoir sur le pays le plus puissant de la planète et va accélérer son mouvement inévitable vers le chaos, la publication de cette chronique désolée sur la vie des milliardaires n'était peut-être pas appropriée, direz-vous... Mais l'information n'attend pas.   

Il arrive hélas qu’en ces temps troublés, notamment de crise du logement, les milliardaires n’aient plus assez de place chez eux pour héberger les vastes collections d’objets d’art qu’ils ont accumulées. Ils choisissent alors leur exposition publique, qui les protège des intempéries et couvre les frais d'entretien par la vente des billets d'entrée. 
En France le gouvernement, charitable, leur abandonne d’ordinaire pour les sortir de l’embarras un monument historique classé, ou un jardin public, et finance par l’impôt une bonne part de l’opération. 
Aux États-Unis, c’est plutôt la débrouille, l’entraide. Les milliardaires, qui sont presque 1000 aujourd’hui, se sont mijoté une réglementation fiscale aux petits ognons par le moyen des fondations, qui leur permettent les fantaisies les plus profitables dans la gestion de leurs collections. 

Ainsi le Clark Art Institute de Williamstown, grand musée de l’est des États-Unis, a été construit en 1955, approvisionné en chefs-d’œuvre et administré depuis par des milliardaires, dont le pauvre Aso O. Tavitian qui est mort en 2020. 
C’était un des principaux donateurs. Il le reste à travers sa fondation. Elle, donc il, vient d’effectuer une donation de 132 peintures, 130 sculptures et quelques babioles hors de prix au Clark Institute, assaisonnées d’un chèque de 45 millions de dollars pour construire dans le musée une aile supplémentaire destinée à exposer et entretenir sa collection et sa mémoire (le dossier de presse, le catalogue détaillé de la donation et quelques reproductions en haute qualité sont accessibles sur les deux liens situés en haut de page entre la date et le titre)

Et il ne s’est pas moqué de ses donataires, le bienfaiteur.
Une extraordinaire série quasi exclusivement de portraits, des rares Sweerts, Rotari, Sassoferrato, Corneille de Lyon, Pontormo, aux plus communs Van Dyck, David, Cranach, et 33 tableaux de la suite des innombrables petits portraits-minute de Boilly… et quelques autres merveilles, dont celle qui fera la une des médias spécialisés, le seul tableau connu de Van Eyck (de son atelier disent les experts) en mains privées, inestimable, une Vierge à la fontaine de 21 centimètres *
 
* Il y aura ici une petite énigme à résoudre. Le site de référence CloserToVanEyck reconnait deux versions de ce panneau, une version originale de 24.9 par 18 cm., signée et datée de 1439 par Van Eyck, au Musée royal des beaux-arts d’Anvers depuis 1841, et une version jugée copie d'époque du précédent, de 21.2 par 17.1 cm., moins subtile, d’attribution incertaine, dans une collection privée à New York. On en déduit sans hésiter que la seconde est la version de Tavitian. Or la reproduction fournie à la presse par le Clark Institute et la fondation Tavitian est celle de la version originale (jusqu’au plus fin réseau de craquelures) mais créditée des dimensions de la copie d’époque (21.3 par 17.2cm. dans le dossier de presse). Une blague ou une faiqueniouze de l’intelligence artificielle ? 

Et on apprend en même temps que Sotheby’s soumettra aux enchères, en février 2025, le reste de la collection Tavitian en 4 ventes qui videront ses deux grandes propriétés de Manhattan et du Massachusetts et aideront à financer les libéralités de la fondation, à hauteur de 15 à 20 millions de dollars estime la maison de ventes.

Un jour prochain, quand la collection Tavitian aura été intégralement photographiée et reproduite au niveau de qualité (presque excessif) du reste de la collection du Clark Institute - déjà richement dotée d'œuvres de Turner, Sargent, Homer, BoillyVernet, Pierro della Francesca, Gérôme, Pissarro - nous irons faire un tour virtuel - sans payer de billet d'entrée - de cette superbe collection dont l’heureuse réunion n’aurait jamais eu lieu sans l'horrible crise qui frappe sans distinction les milliardaires, jusqu'aux plus philanthropes.

Vernet Claude Joseph, Thine Falls à Schaffhausen, Suisse (détail), 1779 (Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts, donation Tavitian 2024) 

dimanche 14 juillet 2024

Le Louvre restaure à tour de bras

Hans Holbein, portrait d'Anne de Clèves en 1539, 48 x 65cm, détrempe sur vélin, restauré au Louvre en 2024. 

Alors qu’au printemps dernier il communiquait fort sur le délicat décrassage qu’il venait de réaliser du seul tableau de Van Eyck en France, le Louvre oubliait d’annoncer, ou alors trop discrètement, qu’il venait aussi de débarbouiller un tableau de mêmes dimensions, moins prestigieux mais pour certains aussi beau, et peut-être plus fragile encore parce que peint à l'eau sur vélin, le portrait d’Anne de Clèves par Hans Holbein. 
On l’a su d’un site suisse qui l’avait appris d’un site belge. L’information est pourtant véridique ; le Louvre a mis sa base de données à jour, en y ajoutant sans autre explication trois reproductions très moyennes du résultat. Une photo de meilleure résolution, qu’il a fallu adoucir pour se rapprocher de celles du Louvre (notre illustration), circule sur Wikipedia (30Mo, 78Mpix, long chargement).


À sa vue on s’exclame "Ah, ils ont enfin mis une ampoule au plafond et changé le papier peint. Le bleu, c’est moins triste". Car depuis 250 ans probablement quand le tableau entrait dans la collection de Louis 14, tout le monde l'a vu ambre et verdâtre, comme on le trouve reproduit sur les photos de 2017 de la base de données du Louvre (à la suite des nouveaux clichés). Seuls les heureux élus qui avaient pu voir le même modèle peint par Holbein sur une miniature de 5 centimètres, à l’aquarelle, sur vélin également, au Victoria & Albert museum de Londres mais non exposée, pouvaient se douter de ce bleu. 


Pour l’anecdote, répétons succinctement après tant d’historiens le contexte de réalisation du tableau.

En 1539, Le roi d’Angleterre, Henri 8, qui avait perdu sa troisième épouse Jeanne Seymour en 1536, en quête d’une quatrième et conseillé par Cromwell, demandait à Holbein, portraitiste fidèle de la grande bourgeoisie anglaise et qui avait fait le portrait de Jeanne, de lui rapporter du duché de Kleve le portrait d’Anne de Clèves et de sa jeune sœur Amélie.

Quelques mois plus tard Holbein revenait des bords du Rhin avec les deux portraits (celui d’Amélie a disparu). Henri choisissait Anne. Elle arrivait en Angleterre fin 1539, et le roi fut très déçu. Anne le fut tout autant. Le mariage se fit tout de même mais était annulé après 6 mois, en juillet 1540, pour absence de consommation. Hans termina tout de même le portrait d’Henri, pendant officiel du portrait d’Anne, mais à l'huile et aux dimensions réelles du modèle. 

Nonobstant ce fiasco, Anne et Henri demeurèrent bons amis, et Hans était toujours peintre du roi quand il mourut en 1543, vers 46 ans, lors d'une des innombrables épidémies de peste de Londres.  


En novembre, quand vous retournerez à Paris pour tenter de déguster le Van Eyck nouveau (après avoir vérifié s’il est exposé, peut-être en salle 600), n’oubliez pas de monter un étage et de franchir les 250 mètres qui vous sépareront de la salle 809, pour passer voir la nouvelle Anne. Vous la reconnaitrez de loin, à son fond bleu.


jeudi 24 août 2023

Jérôme Bosch contre l'entropie

Compilation des beaux visages du panneau central du Jardin des délices de Bosch. Certains, très personnalisés, sont sans doute des portraits, ce qui étaierait la thèse de la commande du tableau à l’occasion d’un mariage princier. Tous sont jeunes et nus, mais la morale est sauve quand on sait ce qui les attend sur le panneau de droite, pour avoir abusé de langueur et de fruits.

On s’en souvient peut-être, les 470 000 bienheureux qui s’étaient transportés en 2016, pour la grande rétrospective de Bois-le-Duc, dans cette petite ville du centre des Pays-Bas où le peintre était né et mort 500 ans plus tôt, furent frustrés.
Car le musée du Prado de Madrid, seconde étape de la même exposition et détenteur du plus grandiose des tableaux du peintre flamand, le "Jardin des délices", n’avait pas souhaité l'acheminer si loin, au septentrion, sur plus de 1100 kilomètres ; les trois panneaux de chêne, déjà fragiles, n'auraient pas supporté le voyage.
Résultat, c'était comme une rétrospective Léonard de Vinci sans la Joconde ! Ah non, mauvais exemple, le cinq-centenaire de Léonard au Louvre en 2019 s'est justement fait sans elle.

Plus tard, pendant 17 semaines, les 580 000 bienheureux suivants qui se transportèrent à Madrid où le tableau était donc demeuré, réussirent à apercevoir le fameux triptyque. Certains le prétendent. 
Le Prado affirme qu'il a recueilli le regard admiratif d’environ 5000 visiteurs par jour, nombre qu’on pourra juger ridicule comparé aux 25 000 dans le même temps devant la Joconde à Paris. 
Mais ce serait oublier que la dame italienne est seule sur son balcon, et que le spectateur n’y va que pour vérifier les reproductions et prouver sur son réseau social que l'original existe. 10 secondes lui suffisent pour cela.
Alors qu’à lui seul, le panneau central du triptyque de Bosch héberge 554 humains ou humanoïdes, plusieurs dizaines de portraits, et près de 1000 personnages en incluant les autres espèces. 
Savez-vous combien de temps vous serait nécessaire pour identifier l’expression ou l’activité de chacune des figures de ce panneau de 4,3 mètres carrés ? Ne réfléchissez pas trop longtemps, 5000 touristes attendent derrière vous… Et vous avez déjà dépassé le délai autorisé qui n’était que de 7 secondes en privé devant le triptyque.  

Or rappelez-vous 2009, 7 ans avant cette ruée vers Bosch, Google et le Prado offraient sur internet une reproduction gigantesque du Jardin des délices, 156 547 par 89 116 pixels, soit 14 milliards de pixels, qui disparaissaient lors de l’exposition de 2016, pour renaitre 10 jours plus tard sur un site néerlandais.
En parallèle, de 2013 à 2016, le Projet Bosch (Bosch Project dans l’idiome dominant) partageait en ligne le résultat de ses travaux de préparation du cinq-centenaire avec des reproductions également colossales de toutes les œuvres du peintre (décidément, encore un projet hollandais, il n'y a que le nord de l'Europe, les Hollandais et les Anglo-saxons, pour respecter les principes du domaine public et le diffuser au monde entier sans contrepartie).

Eh bien par miracle, au mépris de la 2ème loi de la thermodynamique sur internet, ces deux sites sont toujours accessibles (pour le Projet Bosch il faudra passer outre un message d’alerte imbécile).
Leur manipulation aisée et fluide est un plaisir et les conditions de visite idéales. Bosch lui-même n’aura jamais vu autant de détails. Restez-y des heures, fouillez le moindre recoin, copiez ce que vous pouvez par tout moyen, licite ou non.

Qui sait combien de temps ces merveilles incomparables peintes voilà cinq siècles seront encore visibles ?

Les adresses, pour mémoire :
▷ Le jardin des délices de 2009 (choisissez Free explore, enlevez les Markers dans le menu en haut à droite et coupez éventuellement le son),
▷ L'œuvre complet de Bosch (par le projet Bosch, également en mégapixels et en infrarouge, rayons X et autres indiscrétions).

Petite astuce, si, devant un détail d’un tableau du Projet Bosch, vous souhaitez exprimer votre humeur sur les réseaux sociaux, vous pouvez transmettre un lien direct qui pointe exactement sur le détail devant vos yeux en copiant et envoyant le contenu de la barre d’adresse.

jeudi 24 novembre 2022

Une inconnue célèbre

Le musée de Nivaagaard près de Copenhague au Danemark consacre actuellement deux salles à une petite rétrospective d’une vingtaine de toiles de Sofonisba Anguissola, suivi par le Rijksmuseum d’Amsterdam à partir de février 2023. 
Ils qualifient pompeusement la portraitiste de "miracle oublié de l’histoire" et ont intitulé l’exposition de son seul prénom, Sofonisba. Condescendance ou extrême révérence comme pour les plus célèbres, Raphaël, Michel-Ange ou Rembrandt ?

Le grand public qui ne la connait pas parlera peut-être de honteuse discrimination, pourtant Sofonisba Anguissola était une des plus célèbres portraitistes d’un temps chiche en femmes peintres, la Renaissance italienne et espagnole. Sans doute a-t-elle été oubliée pour les mêmes raisons qu'Artemisia Gentileschi, parce qu’il reste d’elles assez peu d’œuvres identifiées, et parce qu’elles sont d’une qualité modérée. Mais l'encyclopédie Wikipedia dont on dit tant de mal ne l’a pas oubliée, qui lui consacre un article complet et bien illustré.

Anguissola peignit des portraits de l’aristocratie de son temps, pape, reines et rois, des portraits de sa famille et des autoportraits. Malgré une raideur de style et d’expression, ses tableaux les plus réussis ont un charme certain, comme cette partie d’échecs de 1555 au musée de Poznan en Pologne où elle a figuré ses sœurs et une servante, ou cet autoportrait de la collection Frits Lugt à Paris.

Tout cela suffirait déjà à établir l’intérêt de cette petite exposition, s’il n’y avait en plus ce coup d'audace des commissaires, qu'on remarque à la vue des cimaises sur le diaporama du site du musée…

En déplacement à  Palerme en 1624 pour faire le portrait d’un vice-roi, le peintre Anton Van Dyck visite Anguissola et réalise son  portrait à 92 ans (détail, collection National Trust).


C'est que les cimaises sont libres de tout cartel ou texte ! Les organisateurs ont transgressé la tradition en exposant les tableaux seuls, sans leur accoler ces habituels cartels, étiquettes, plaques couvertes d’inscriptions savantes, qui se trouvent ici reléguées sur des présentoirs en retrait. 

Dans le cadre de l’exposition d’un nombre raisonnable de peintures ce mode de présentation apporte deux avantages sensibles : la contemplation d’un tableau n’est plus perturbée par les personnes que la curiosité poussait à s’approcher pour lire des informations parfois copieuses et en petits caractères, et la première impression du spectateur qui ne connait pas une œuvre sera d’autant plus fraiche et originale qu’elle ne sera pas immédiatement contaminée par la connaissance du nom de l’artiste, du titre de l’œuvre ou des circonstances de sa réalisation. 
D’aucuns répliqueront que ce savoir peut ajouter du sens et enrichir la perception d’une œuvre. Bien entendu, mais les deux étapes, premières sensations et approfondissement, ne peuvent pas être interverties dans le temps

dimanche 19 juin 2022

Invendus (3)

Détail du magnifique portrait de sa femme vers 1755-1760 par Allan Ramsay (musée d’Edimbourg - national galleries of Scotland) 
 
On aura noté l'irrésistible attrait de Ce Glob pour ces merveilles de la création artistique qui atteignent des prix records en vente publique. Elles illustrent la marche victorieuse du génie humain vers d’inaccessibles horizons. Mais il y a parfois des déceptions.

Dans la famille des grands portraitistes de l’aristocratie anglaise au 18ème siècle, qui rivalisaient de raffinement maniéré pour obtenir les faveurs de la Royal Academy et les commandes de la Couronne, à peine une génération avant que débarquent sur le marché les Reynolds, Romney et Gainsborough, il y avait Allan Ramsay

Peintre officiel du roi en 1760, très sollicité, sa production est inégale ; froideur protocolaire des expressions, mollesse des attitudes, des traits, de la touche même, fréquents défauts de dessin notamment de perspective dans les yeux des modèles (il y a des preuves), mais quelquefois des portraits sensibles, raffinés, où la touche est légère et vaporeuse et le dessin mieux maitrisé, comme ce joli portrait de Lady Anne North en dentelles, bonbon sous cellophane vendu, en 2008, 780 000 dollars d'aujourd'hui (il demandait alors un bon débarbouillage, on peut s’en faire une meilleure idée dans une copie faite par le fils d’un assistant de Ramsay), et invendu en 2017 après restauration. 

Il en résulte une grande disparité des cotes de Ramsay dans les ventes publiques.

Patientez, GIF animé en cours de chargement (10Mo)Le marché proposait, en mars dernier, un très fin portrait de Catherine Windsor, que le descriptif par Sotheby’s disait en assez bon état général malgré un vernis encrassé (dans l'illustration ci-contre le vernis a été enlevé numériquement)

En dépit de ses qualités expressives - Titien n’aurait pas fait beaucoup mieux - le tableau n'a pas été vendu.
Sotheby’s l'aurait pourtant laissé partir pour moins de 10 000 dollars. C'est peu pour un portrait dont nombre de nos musées régionaux pourraient faire leur Joconde.

Alors pourquoi le bouder ? Parce que le catalogue l’attribue à "Allan Ramsay et atelier" et l’estime donc d’une moindre valeur ? 
Le monde de l’art dispose d'une gamme de locutions pour nuancer ses attributions, et sa propre responsabilité. 
L’expert en Ramsay de Sotheby’s aura sans doute eu connaissance d’indices qui l'ont fait douter (mais qui ne seront pas dévoilés au public, sinon tout le monde serait expert !). L’absence apparente de signature, peut-être. C’est à mettre à son crédit, car en bonnes commerçantes les maisons de vente ont un peu tendance, comme les assureurs, à présenter en minuscules caractères ce qui pourrait faire hésiter le client.

On le sait, un tableau certifié de la main d’un peintre renommé peut rapporter des dizaines voire des centaines de fois plus que le même tableau, indiscernable, peint par un élève ou un assistant de l’atelier. C'est un biais cognitif très commun qui donne la primauté à ce qu’on imagine savoir d’un objet plutôt qu'à des impressions immédiates ; le cerveau se croit plus malin que ces sensations et les réduit au silence. 

Pourtant, dans la hiérarchie des locutions, "Ramsay et atelier" est proche de l’authenticité, loin des "attribué à Ramsay", "école de Ramsay" ou "d’après Ramsay", et les exemples d'attribution non crue par les enchérisseurs ne sont pas si rares. 
Mais Catherine Windsor comtesse de Plymouth n’aura pas eu de chance, cette fois-ci.

Il y a encore beaucoup de discrétion dans les procédures d’enchères une fois le marteau abaissé, comme en 2016, lors de la curieuse non vente du célèbre tableau de Merson, le Repos pendant la fuite en Égypte, qu'on a vu reparaitre pomponné 3 ans plus tard. 
Dans quelques mois, on verra vraisemblablement revenir la comtesse et son châle bleu travaillé de fils d'argent.

***
Note : les fidèles contrariés de ne pas trouver les chroniques nommées Invendus (1) et Invendus (2) les trouveront sous d’autres titres en cliquant sur le mot clef Invendus ci-dessous.

vendredi 27 mai 2022

Améliorons les chefs-d’œuvre (22)



L’actualité d’aujourd’hui n’apportant rien de bien surprenant, nous évoquerons une petite anecdote de restauration au musée de Picardie à Amiens.

En 1435, Leon Battista Alberti, érudit à tout faire dont on dit qu’on lui doit la révolution de la perspective et peut-être même toute la Renaissance italienne, écrivait dans un petit traité sur la peinture "Mon premier acte, quand je veux peindre une superficie, est de tracer un rectangle, de la grandeur qui me convient, en guise de fenêtre ouverte par où je puisse voir le sujet."
Avec des idées pareilles il arrive fatalement, après des siècles, que le sujet se déplace un peu derrière cette fenêtre, histoire de se dégourdir les jambes, et ne soit plus parfaitement cadré à son retour.

Le visiteur qui découvrira cette fillette peinte dans le style de Pontormo (notre illustration), à l’angle d’une salle du musée d’Amiens, sourira devant l’imagination plutôt moderne de ce Francesco Traballesi, peintre né en 1544 (ou 1541 selon d’autres sources), à Florence.
Cependant Traballesi n’était pas un peintre original, ni mémorable, et il n’est pour rien dans l’amusante étrangeté de cette scène. 

On lui a commandé un portrait d’une mère et sa fille, qu’il aurait réalisé en 1550 dit le cartel du musée (ce qui est impossible, le peintre n’avait alors que 6 ou 9 ans - mais la question n’est pas là). 
Et suite à un évènement familial inconnu, on lui aura demandé d’effacer la fillette et de rétablir l’équilibre du tableau avec la mère seule. Ce qui fut fait, vraisemblablement en sciant une trentaine de centimètres du bas du panneau et une dizaine de chaque côté. La moitié supérieure de la tête de la fillette fut alors repeinte de la couleur de la robe sombre de la mère.

En 1965 un restaurateur pointilleux découvrait la demi-tête masquée, et la faisait réapparaitre.


vendredi 25 février 2022

Non, ça n’est pas la Joconde

Joseph Duplessis, portrait de madame Lenoir c.1764 (musée du Louvre)

Lecteur averti, lectrice avisée, quel est pour toi le plus beau portrait du Louvre, celui qui t’attire irrésistiblement quand tu flânes dans le musée ?
Naturellement, tu n’a pas versé dans le piège, tu as répondu sans hésiter « le portrait de madame Lenoir par Duplessis ». 
Tu as raison. Il y a au Louvre peu de portraits comme celui-ci - un ou deux Rembrandt peut-être - dont on peut dire qu’il n’est pas une figure arrangée pour flatter le modèle ou sa gloire, ni un stéréotype sorti des chimères d’un peintre, mais un être humain, une personne qui vit, un peu à l’étroit dans son cadre doré et ses deux dimensions, mais qui a la courtoisie de reprendre à chaque visite notre conversation silencieuse exactement où on l’avait interrompue. 

Sur son site, le Louvre reproduit madame Lenoir plongée dans un bocal enfumé, jaunâtre, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La photo date probablement. Joseph Duplessis l’a peinte peu avant 1764. Il n’était pas encore l’un des portraitistes les plus appréciés des personnalités et de l’aristocratie, de Paris à Versailles. Il faudra attendre la décennie suivante pour les portraits de Necker, Gluck, Vien, Louis 16, mais on parlait déjà de la grande ressemblance de ses portraits, franche mais bienveillante.

Catherine Louise Lenoir, née Adam, tenait à Paris un commerce de bas (et visiblement aussi de nœuds papillon, falbalas et fanfreluches). Le Louvre, jugeant le métier peu digne du plus grand musée mondain de l’univers, a préféré titrer le portrait « Madame Lenoir, mère d'Alexandre Lenoir, fondateur du Musée des Monuments français ». En réalité, quand Joseph Duplessis portraiturait sa maman, le petit Alexandre, né en 1761, avait à peine piétiné quelques châteaux de sable.
Le peintre avait alors un peu plus de 35 ans, ce qui rend étrange le commentaire du musée qui attribue le tableau à une supposée « École de Duplessis » - ou alors École de est un terme fourretout quand on n'est pas certain d'une attribution.
  
J’entends, lecteur cynique, lectrice perverse, ta question sournoise « c’est peut-être le plus beau portrait du musée, mais pourquoi est-il absolument inconnu, quand l’auteur a peint des banquiers, des musiciens classiques, même un roi, raccourci depuis et mondialement célèbre pour cette raison, alors que l’autre portrait du Louvre, celui qui attire quotidiennement sur place des milliers de fanatiques, est tellement célèbre qu’il est reproduit par millions, aimanté, sur les réfrigérateurs de la planète entière ? »

À cela je répondrai que, même d’un vulgaire point de vue quantitatif, Duplessis n’a aucune leçon à recevoir d’un équivoque émigré italien. 

Tu sais, lecteur sceptique, lectrice incrédule, qu’un portrait de Benjamin Franklin, Père fondateur du libéralisme étasunien et entrepreneur exemplaire pour tout américain, orne depuis 100 ans presque sans interruption les billets de banque de 100 dollars. 
Sache que cette effigie était jusqu’en 1993 une gravure fidèle d’un tableau dit Franklin au col de fourrure, et depuis 1996 d’un autre tableau dit Franklin à la veste grise, le préféré du modèle.
Sache que ces deux portraits ont été peints par Joseph Duplessis en personne, en 1778 pour le premier quand Franklin était en France (la toile est actuellement au Metropolitan Museum de New York) et en 1785 pour le second, d’après son pastel de 1778 (à la National portrait gallery de Washington depuis 1987, et dans le bureau ovale de la Maison blanche depuis 2017).

Sache donc que cette tête de Benjamin Franklin par Joseph Duplessis circule aujourd’hui dans les poches et entre les mains (pas toujours propres) des habitants de tous les pays de la planète en 14.000.000.000 d’exemplaires… 
Ce qui se lit quatorze milliards.

Na !

vendredi 31 décembre 2021

C’est trop injuste

Quatre tableaux rouges, bruns et noirs de Mark Rothko. L'exactitude des couleurs n'est pas garantie, les bonnes reproductions sont rares sur internet.

Mark Rothko est un artiste envoutant, passé par les étapes courantes des peintres du 20ème siècle, de la figuration simplifiée, genre Matisse, aux grandes plages de couleurs vives superposées de la maturité (la période préférée du public et du marché de l’art), puis, définitivement insatisfait malgré le succès et affaibli par la maladie, aux surfaces brunes, grises et noires. il s’est suicidé à 67 ans.


Un tableau rouge, brun et noir de Philippe de Champaigne, peint en 1664 et vendu chez sotheby’s le 10 novembre 2021.
 
Philippe de Champaigne, « bon peintre et bon chrétien », à l’art rigoureux et dépouillé comme celui de Rothko, avec les mêmes couleurs, aurait peint 11 portraits du cardinal de Richelieu, d’après Wikipedia. Sa manière n’a pas sensiblement changé au long de sa vie. Il est mort renommé à 72 ans.

Au 17ème siècle, peindre était un artisanat. Il exigeait un long apprentissage. Après 350 à 400 ans les tableaux de Champaigne sont intacts. On n’en dira peut-être pas autant des toiles de Rothko dans trois siècles. 

Le portrait de Jérôme Bignon reproduit ci-dessus, peint en 1664 par Champaigne, vient d’être acquis aux enchères chez Sotheby’s pour l’équivalent de 65 000 dollars, dans la fourchette de l’estimation. Ça n’est pas un record pour le peintre, mais un bon indicateur. 
La moindre toile de Mark Rothko sur le marché ne s’enlève pas à moins d’un million de dollars, et on trouve 5 fois le nom du peintre dans le palmarès des œuvres de plus de 50 millions de dollars, à l’égal de Van Gogh, et pas loin de Picasso.
En résumé, pour le prix d’un tableau de Rothko, on en achètera environ 1000 de Philippe de Champaigne (c’est une hyperbole, bien entendu, Champaigne n’a jamais peint tout ça).

Comment les œuvres de ces deux artistes, à qui on reconnait autant de talent et qui mirent le même raffinement à peindre d’austères formes colorées sur des toiles tendues, peuvent-elles avoir aujourd’hui des valeurs si éloignées ? 
On nous répondra que les cotes et les prix sont le reflet des désirs du moment, qui dépendent des inclinations d’une société, des engouements de la mode, et qui sont injustes puisqu’ils font des choix.

Soit. 

lundi 19 juillet 2021

Discret changement de propriétaire

 
Le lorrain Georges de La Tour, qui a peint entre 1630 et 1650 une quinzaine des plus importants chefs-d’œuvre de l’histoire de la peinture occidentale (on ne reviendra pas sur ce fait), n’a pas atteint cette plénitude artistique dès son premier tableau. Dans la soixantaine qui lui sont attribués - dont la moitié connus par des copies - on constate une transition au milieu de sa carrière, qui le fait passer de portraits diurnes d’un naturalisme relativement cru, brossés d’un pinceau cursif et virtuose, à des portraits exclusivement nocturnes, dans un monde clos aux lignes sinueuses et aux formes épurées, éclairés seulement de l’intérieur.

L’unité, le trait commun aux deux périodes, c’est que La Tour n’aura peint que des êtres humains. En pied ou en buste, ils emplissent toute la surface du tableau, dans des lieux vides à la limite de l’abstraction, sans le moindre décor, et flanqués de rares objets, emblématiques ou indispensables à l’éclairage de la scène.

Si l’influence des peintres caravagesques d’Utrecht vers 1620-1630, notamment Van Honthorst, a été déterminante sur sa deuxième manière, nocturne, les spécialistes s’interrogent toujours sur l’origine de la touche si libre de sa première période, comme le sera celle de Frans Hals un peu plus tard.

AltSon effigie de l’apôtre André fait partie d’une série aujourd'hui éparpillée de 13 portraits du Christ et des apôtres, peut-être la première commande faite au jeune La Tour vers 1615-1620, devenue collection d’un abbé parisien et envoyée complète à un chanoine d’Albi en 1694.
Il n’en reste que 11, de dimensions et de format proches, d’un style assez inégal, 6 copies et 5 originaux, dont André. 
 
Ayant appartenu à une collection suisse depuis 1991 (histoire et caractéristiques sont longuement décrites sur la page de la vente), ce tableau austère et peu affriolant vient de changer de main sans faire beaucoup de bruit, aux enchères chez Christie’s à Londres le 8 juillet, contre l'équivalent de 6 millions de dollars, incluant les frais.

vendredi 11 décembre 2020

Améliorons les chefs-d’œuvre (17)


Dans une revue spécialisée dans les ventes aux enchères (1), on lisait il y a peu, sur une pleine page illustrée d’une très mauvaise reproduction rouge sang, une longue annonce où résonnaient les mots suivants :

« chef-d’œuvre du ténébrisme […] dernière scène nocturne de Georges de La Tour encore en mains privées […] une de ses rares toiles signées […] issue de la prestigieuse collection Machin […] »
Et « Le public connaît bien cette jeune fille […] dans des dizaines de publications, aussi bien qu’au musée Machin en 1948, au musée Truc en 1955, […] en 1958, […] entre 1976 et 1980, […] 1997 et 2005, en 2012 […] »
Et encore « Le maître du clair-obscur, oublié pendant des siècles, avait été ramené à la lumière au début de la décennie (2) par le travail de recherche mené par Pierre R... et Jacques T..., lesquels s’accordent à placer la Fillette au brasier parmi les chefs-d’œuvre de fin de carrière du peintre, sa production aujourd’hui la plus appréciée des collectionneurs et du public. »

Impressionnant, non ? Une vente qui devrait faire un carton

On nous affirme, en préambule et en gras, qu'il s'agit d'un chef d’œuvre. Pour un commissaire-priseur, c’est le montant du gain estimé qui fait d’un objet quelconque un chef-d’œuvre. Ici, pas d’hésitation, on en attend au moins 3 ou 4 millions d’euros. Cette « fillette au braisier » (3) de 55 cm par 76 est le summum d'une vente de 22 tableaux d’un collectionneur renommé.
Cependant, l’habitué effaré qui a vu adjuger en 2017 un Léonard de Vinci médiocre et sans doute pas de sa main, contre 450 millions d’euros, sait bien qu’un véritable chef-d’œuvre de Georges de La Tour, peintre aussi rare et incomparable que Vermeer, serait évalué au moins 10 à 20 fois l’estimation actuelle (4).

Ensuite, l’annonce nous informe que c’est « une de ses rares toiles signées ». N’exagérons pas. Au moins 15 toiles de La Tour sur environ 45 sont signées, essentiellement les nocturnes, pas toujours de manière lisible, et justement la Fillette au braisier est de celles dont la signature, presque invisible, reste controversée (sauf sur le marché de l’art, semble-t-il).
Et que vaut une signature, qui peut-être contrefaite beaucoup plus aisément que le style d’un peintre ? 
 
À propos d'authenticité et de tableaux signés, faisons un petit jeu. Parmi ces 6 portraits de la maturité de La Tour (ci-dessous), des plus beaux de l’histoire de la peinture occidentale, ceux du rang haut ne sont pas signés et ceux du rang bas le sont. Un seul des 6 a été peint avec les pieds. Saurez-vous le reconnaitre (5) ?

 
Puis on nous raconte que le public connait parfaitement ce portrait de jeune fille, régulièrement exposé dans les musées les plus sérieux depuis 70 ans. C’est juste, les prêts d’œuvres majeures sont difficiles et couteux à organiser, si bien que les expositions s’étoffent de plus en plus avec des fonds de tiroir, qui en acquièrent ainsi un pédigrée plus respectable. 
La « Fillette au braisier » est de ces bouche-trous. Le dessin en est incertain, globalement immature, la mise en scène plate et grossière. 
Mais tout n’y est pas raté, et deux détails (distingués en couleur dans l’illustration en haut), la face de la jeune fille et le braisier, avec les doigts de la main droite, pourraient être de la main de Georges.

Enfin, dans une phrase bancale qui mélange décennies et siècles, le rédacteur appelle en secours deux experts renommés, qui ont effectivement beaucoup fait pour la reconnaissance de La Tour dans les années 1970-1980. Mais s’ils l’ont ramené à la lumière, ils n’ont pas allumé la lampe, et ce ne sont après tout que des experts, âgés, parfois académiciens de surcroit, et qui peuvent donc se tromper.
Ils sont associés ici malgré eux à des soi-disant « chefs-d’œuvre de fin de carrière de La Tour », notion qui ne recouvre en réalité qu’un ensemble d’œuvres incertaines, souvent médiocres, que les spécialistes hésitent encore à attribuer au fils du peintre, Étienne, ou à des copistes ou suiveurs anonymes.
Quant à affirmer qu’ils constituent « la production la plus appréciée des collectionneurs et du public », ça n’est que la rhétorique promotionnelle courante du représentant de commerce.
 
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La vacation avait lieu à Cologne le 8 décembre 2020, en direct sur le site internet de la salle des ventes, Lempertz. L’image ci-dessous illustre le déroulement des enchères du La Tour, le numéro 11, entre 17h30 et 17h33. 
Le cadrage de la vidéo  restera immuable durant toute l’heure de la vacation (la salle est probablement vide de public), rien ne semble se passer. Le vase de fleurs au premier plan ne manifeste aucune émotion, et le monsieur de la vidéo égrène des enchères en allemand et en anglais, parfois en retard sur l’affichage des montants, notamment au moment de l’adjudication, quand le montant adjugé s’affiche  avant que le marteau s’abaisse, si bien qu’on se demande si tout cela n’est pas automatisé, et un peu désynchronisé. Impression vaguement démentie quand surgissent des erreurs de saisie, comme cette enchère-lapsus de départ à 24 millions pour le La Tour, rapidement corrigée en 2,4 millions .


En 3 minutes et seulement 6 enchères, le « La Tour » est parti un peu au dessus de l’estimation basse, furtivement, dans un grand silence. Rappelons que le vendeur touchera 3,6 millions d'euros, mais l'acheteur en paiera 4,34 millions, taxes et commission comprises.

En fin de compte, un bien beau moment qui a fait palpiter le cœur de tous les amateurs de belle peinture classique, écriront les chroniqueurs.
 
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(1) Gazette Drouot 43-2020 page 255
(2) Quelle décennie ? On devrait sans doute remplacer par « début du siècle », la découverte de La Tour par Herman Voss datant de 1915, mais R... et T... n’étaient pas nés.
(3) On disait « brasero » au 20ème siècle.
(4) Le saint Jean-Baptiste de La Tour découvert en 1992 était préempté par l’État en 1994, suite à un imbroglio politique, pour l’équivalent de 20 millions d’euros d’aujourd’hui - mais estimé le double si la vente avait été régulière.
(5) Petit indice, « Le souffleur au tison » du musée des beaux-arts de Dijon, signé « De La Tour f » (rang bas au centre), est unanimement reconnu comme un original de la maturité du peintre.


Mise à jour le 21.02.2022 : le tableau a probablement été acheté par un des Émirats arabes unis. Il est actuellement exposé dans le musée du Louvre Abu-Dabi.  

samedi 7 mars 2020

Thyssen, une collection sidérurgique

Quelques détails parmi les plus beaux portraits de la collection Thyssen-Bornemisza. Dans le sens de la lecture : Van Eyck, Schiele, Baldung Grien, Aertgen de Leyde, Juan de Flandes, Titien, Rembrandt, Van Dyck, Nicolas Maes.


En ces temps où un bête virus, dont on prétend même que ça n’est pas un être vivant, a décidé qu’il était temps d’infléchir un peu la courbe démesurée de la population humaine, et où les gouvernements conseillent d’éviter les lieux trop publics, il est bon d’avoir en réserve quelque musée lointain dont la visite à distance, sur internet, est organisée pour le plaisir et le confort du voyageur immobile.
C’est exactement le cas du site du musée national de la fondation Thyssen-Bornemisza, à Madrid.

C’était la collection privée de la famille Thyssen, financée au long du 20ème siècle par les bénéfices extravagants de l’industrie sidérurgique, de l’armement et du financement de l’Allemagne nazie, jusqu’à la sinistre nuit du pogrom du Reich, le 9 novembre 1938, où la famille fuit l’Allemagne pour être dénoncée par le gouvernement de Vichy en juin 1940.

La collection se reconstitua après la guerre, avec l’empire industriel, et le nombre de tableaux épousant la courbe des profits, il advint que l’immense villa suisse au bord du lac de Lugano ne suffit plus. Ils envahissaient les annexes, les dépendances, les garages.
Le baron Thyssen céda alors 575 tableaux (sur 1600) au pays natal de sa cinquième épouse, Carmen, miss Espagne 1961 et ex-femme de Tarzan, contre 338 millions de dollars et quelques conditions autour d’une fondation, en 1993. Ce fut le musée national Thyssen-Bornemisza, situé en face du musée du Prado, à 100 mètres.

La baronne, qui avait attrapé l'addiction du baron, était également devenue collectionneuse pathologique, mais attirée vers d’autres écoles de peinture, et l’est restée après la mort de son mari en 2002.
Tourmentée par le manque de résidences où les exposer, et par des contraintes financières et fiscales plus prosaïques, elle prête aujourd’hui en permanence plusieurs centaines d’œuvres supplémentaires au musée Thyssen, dont beaucoup de toiles du 19ème siècle américain, et réserve sa copieuse collection de peintres espagnols à des musées Carmen-Thyssen-Bornemisza qu’elle a créés à Málaga, à Andorre et à Sant Feliu de Guíxols, ou au musée national d’art de Catalogne, à Barcelone.
Bienfaitrice des Arts et du royaume d’Espagne, elle ne compte plus les honneurs, les croix, les médailles, les prix, diplômes et récompenses, qui justifieraient certainement la création d’un musée qui leur serait consacré.

À Madrid, presque tous les siècles et les écoles de la peinture occidentale sont présents, les chefs d’œuvre et les grands noms pullulent. Tous, y compris les plus modernes, sont visibles sur le site en haute définition (2500 à 5000 pixels) et téléchargeables, et certains sont affichables dans le mode vertigineux dit Gigapixel, si bien qu’une mouche qui aurait choisi de ne pas faire le voyage à Madrid pour voir les originaux aurait tout de même l’impression d’y être en se posant sur votre écran d’ordinateur.
L’ergonomie du site, en anglais et en espagnol, est parfaite.

Mise à jour le 12.06.2020 : La baronne qui a décidément beaucoup de frais annexes, peu de parole et des avocats bien rémunérés, vient d'obtenir du gouvernement espagnol le retrait de 4 tableaux majeurs de la collection qu'elle prête au musée (moyennant arrangement fiscal) et l'autorisation de les exporter et les vendre. Ces 4 chefs-d'œuvre renommés de Gauguin, Degas, Monet et Edward Hopper lui apporteront certainement plus de cent millions de dollars d'argent de poche, voire le double ou le triple.

Quelques détails de scènes d'intérieur dans la collection Thyssen-Bornemisza, Willem Kalf, Jan de Beer, Jacobus Vrel. 
 
Quelques détails de paysages dans la collection Thyssen-Bornemisza, De Stael, Bricher, Church, James Hart.