dimanche 28 octobre 2012

Un bozoglyphe en Bavière

Vue aérienne du château d'Herrenchiemsee (© Google Maps)

Les tracés de contours d'animaux stylisés qui sillonnent le plateau de Nazca au Pérou (géoglyphes) ou les figures géométriques circulaires imprimées dans les champs d'Angleterre (agroglyphes) sont bien connus des amateurs d'affabulation qui les prétendent réalisés par des extraterrestres, du haut de leurs soucoupes volantes équipées des technologies les plus perfectionnées, stylos à bille 4 couleurs, taille-crayons à réservoir...

Mais d'incroyables révélations faites dans ce blog même en décembre 2007 prouvèrent brillamment que des figures illisibles vues du sol pouvaient être réalisés à l'aveugle par des humains entreprenants et motivés par une vénération irrationnelle (bozoglyphes).
Et cette démonstration, dans le parc du château de Versailles, aurait dû immédiatement évoquer Louis 2 de Bavière à tout amateur de majestés et de têtes couronnées.

Car ce malheureux monarque d'opérette admirait tant Louis 14 qu'il fit construire une copie améliorée du palais du Roi-Soleil, sur une ile du grand lac bavarois de Chiem, le château d'Herrenchiemsee. Tout devait y être plus grandiose qu'à Versailles. La galerie des glaces y dépasse l'originale, mais il est resté inachevé. Louis 2 n'y vécut que quelques jours de 1886 (le 12 juin, déchu, il était déplacé et interné au château de Berg, cent kilomètres à l'ouest, près de Munich).

Et la contrefaçon s'étend au dessin des jardins. Le parterre face au château est l'imitation exacte de celui de Versailles, à une nuance près. Si le visage original présente le faciès prospère et réjoui de l'autocrate belliciste qui saignait le peuple, sans complexe, pour assouvir ses plaisirs, le portrait d'Herrenchiemsee, quant à lui, a l'expression mélancolique, l'œil vide et le rictus douloureux.
On y lit la destinée funeste de ce roi neurasthénique découvert gisant dans les eaux glacées du lac de Starnberg, le 13 juin 1886.


Parterre du château d'Herrenchiemsee (© Google Maps)

dimanche 21 octobre 2012

Sur la taxe G...

Son modèle économique fuyant de partout, une part influente de la presse française tente depuis quelques mois, auprès des élus et avec l'appui d'une ministre, de faire voter une loi qui lui procurerait encore quelques ressources sans efforts.
L'idée est de créer un droit aux liens, un droit voisin sur l'indexation des contenus qui serait payé par les agrégateurs de liens sur internet.

Le schéma en clair serait le suivant : les sites d'information recopient (le plus souvent telles quelles) les dépêches de l'AFP sur leur jolies pages bourrées de publicité, puis les vilains moteurs de recherche indexent ces informations dans leurs bases de données secrètes gorgées d'or et de diamants, afin que les internautes les retrouvent facilement sur les sites d'information, dans leur écrin de publicités. Alors les diaboliques moteurs de recherche devront payer un droit pour chaque lien créé vers ces pauvres sites anémiques.
Ce nouveau revenu, dans les couloirs des groupes de pression, est appelé la taxe Google. Étonnant non ?
Que le lecteur distrait ne confonde pas ce droit destiné à créer une sorte de rente pour un nouveau type d'ayant-droit, avec un effort, défendable, pour réguler des abus de position dominante ou une évasion fiscale trop voyante de Google. Ce n'est pas une taxe mais une rémunération destinée à s'approprier une part de ses résultats amoraux.

En résumé, la presse numérique qui vit grâce aux liens que créent les moteurs de recherche, est en train de scier, du côté du tronc, la branche sur laquelle elle est installée. Ubu n'aurait pas mieux fait. Évidemment Google vient d'annoncer qu'elle effacera alors tous les liens de son moteur vers la presse française.
Et les maitres chanteurs de hurler au chantage.

Ne vous étonnez donc pas si demain vos recherches d'actualités sur internet ne vous mènent plus sur les sites français spécialisés. Le Gouvernement de la France aura actionné la scie. À défaut de cervelle on a sa fierté tout de même !

Lire sur le site du Nouvel Observateur la synthèse vue de l'intérieur de Christophe Carron de Voici (avec un lien indirect vers la proposition de loi).




















La Presse hébétée s'agrippe à la branche qu'elle vient de scier (allégorie prémonitoire).


dimanche 14 octobre 2012

La nature est joueuse

Ploumanac'h en Bretagne, au pied du phare de Mean Ruz.

mercredi 10 octobre 2012

Vous êtes ici (à vue de nez)

Pomme est une petite entreprise qui imagine des téléphones avec un environnement logiciel complet, et les métamorphose en ordinateurs de poche. Pomme s’efforce d'empêcher que les vilains concurrents viennent mettre des choses pas propres dans son écosystème, c'est à dire des logiciels qui ne lui rapporteraient rien, car il faut bien vivre aussi.
Et Pomme a besoin d'informations pour nourrir son système, notamment cartographiques. Comme elle n'est pas omnisciente, elle s'est naturellement adressée à la déesse Gougueule, qui voit tout, sait tout et stocke l'ensemble dans des millions de machines éparpillées.
Ainsi au prix de lourdes offrandes, Pomme a été autorisée à puiser dans l'immense savoir de la déesse et peut offrir d'inestimables services à tout utilisateur de son téléphone ; lui confirmer qu'il se trouve bien physiquement où il pensait être, lui préciser éventuellement qu'il a devant lui un large fleuve ou une autoroute infranchissable, lui indiquer la direction de la pharmacie la plus proche (si elle a cotisé). Bref son extrême précision est devenue indispensable à l'être humain contemporain.

Hélas Pomme, qui a toujours eu l'âme narcissique, aimerait être adulée comme l'est la déesse Gougueule. Aussi a-t-elle décidé de renier son panthéon et de créer sa propre cartographie. Elle pensait substituer quelques astucieux algorithmes à dix laborieuses années de collecte minutieuse. C'est dire son exaltation mégalomaniaque.
Le plus sidéré fut certainement le client qui découvrait soudain la ville qu'il habitait encore la veille remplacée par une surface verte immaculée sans la moindre rue répertoriée, ou apprenait que le centre commercial situé hier à trois kilomètres se trouvait aujourd'hui aux pieds de chez lui, dans son propre jardin.
Depuis, tout l'internet n'est plus que plaisanteries et persiflage à l'endroit de celle qui a voulu se mesurer à la déesse Gougueule et s'est lamentablement vautrée.

Face à la dérision des utilisateurs, la réponse de Pomme fut d'abord de conseiller « Plus vous utiliserez notre cartographie et signalerez les erreurs, plus elle deviendra précise ». En d'autres termes, plus vous vous perdrez dans des agglomérations inconnues, plus vous arriverez en retard à vos rendez-vous, plus vous vous engagerez sur des routes à contresens, et plus l'action en bourse de Pomme sera florissante.
C'est la grosse blague de la cartographie participative, la cartographie de la majorité, où on doit faire confiance au voisin plutôt qu'à un professionnel (rappelons que 56% des téléspectateurs de la première chaine de télévision française pensent encore que le Soleil tourne autour de la Terre, alors imaginez une géographie majoritaire à deux tours...)
Et croyez-vous qu'en réaction à cette arrogance de Pomme le client frustré aura répondu « Gardez votre tartographie pour Disneyland, moi je retourne chez Gougueule, je n'engraisserai pas vos actionnaires avec mes informations. Je change de téléphone et on se retrouvera dans dix ans peut-être » ?
Les ventes, d'après Pomme, ne semblent pas affectées. Alors son président a humblement suggéré « En attendant l'amélioration de notre déjà merveilleuse cartographie, nous vous engageons à utiliser d'autres logiciels, comme celui de Gougueule, même s'il n'est pas intégré à notre environnement magique ».

Il est douteux que Pomme parvienne un jour à combler le retard (la concurrence s'y ingéniera). Et le client ravi aura longtemps encore entre les mains, sans en avoir toujours conscience, un outil de cartographie insuffisant et incertain.

Mise à jour du 30.10.2012 : Pomme annonce aujourd'hui d'importants remaniements dans sa Direction, notamment l'éjection du responsable du système d'exploitation du téléphone, sans cacher que la cause majeure de ce départ est l'échec de la nouvelle cartographie.
Mise à jour du 28.11.2012 : Aujourd'hui Pomme se sépare du responsable direct de l'application de cartographie.
Mise à jour du 12.12.2012 : La police australienne déconseille officiellement l'utilisation de la cartographie de Pomme et la qualifie de potentiellement mortelle. Elle situerait une ville à 70 km de son emplacement réel, et en plein milieu d'une zone dangereuse sans point d'eau ni réception téléphonique.


Quelques mètres plus à gauche et on assistait à un lamentable fait divers. Ce qui prouve l'importance de l'exactitude en matière de cartographie. (Bretagne, pointe de Pen hir)


dimanche 30 septembre 2012

La vie des cimetières (45)

Un jour, dans l'interminable odyssée de l'espèce humaine, les liens sociaux et affectifs s'étant peu à peu renforcés, quelqu'un refusa qu'un parent fraichement mort soit abandonné aux animaux nécrophages ou dégusté par le groupe. Après de longues palabres on l'autorisa à enterrer le corps. C'étaient les débuts du fétichisme et de la pensée magique. Bientôt se répandrait dans l'espèce humaine la réconfortante croyance en deux mondes distincts séparant la matière et l'esprit.

C'était il y a cinq-cent-mille ans, ou plus. Puis les pratiques funéraires se diversifièrent.
On enterra le mort avec des objets quotidiens, parfois avec quelques proches encore bien vivants, souvent dans le sol même de la maison, quelquefois dans une distante nécropole. Puis on lui construisit un abri de six planches, un tombeau de pierre, des monuments, des dolmens, des pyramides. Les dimensions du mausolée augmentaient avec l'importance du mort ou les ambitions de la famille. Certains peuples incinéraient le mort, ou le découpaient en morceaux digestes et l'exposaient à l'appétit des vautours.
Toutes ces méthodes perdurent. Le sort réservé aux défunts, comme toute pratique sociale, s'adapte aux aspirations religieuses, idéologiques, hygiéniques et économiques des peuples.

Le gouvernement chinois (1) l'a bien compris qui, dès la république nationaliste en 1928, interdit la plupart des rituels, relayé vers 1950 par le gouvernement communiste qui instaure un système funéraire moderne, matérialiste, égalitaire et obligatoire : la cérémonie est organisée par l'État, dans un lieu public, une unique musique officielle est jouée systématiquement, les proches n'ont pas le droit d'organiser de réception, d'offrir des cadeaux, de s'habiller en deuil, de pleurer. La crémation est immédiate et parfois collective pour mettre fin au culte des morts. Parallèlement sont lancées des campagnes de suppression des tombes pour libérer les terrains improductifs.
Et depuis 60 ans, la population chinoise s'ingénie à contourner ce système funéraire officiel, avec succès dans les campagnes. Le gouvernement relâche un peu la pression sur les points de croyance et de doctrine mais amplifie, par vagues, les actions de récupération des terrains rentables en généralisant exhumations et incinérations gratuites.
C'est un de ces fréquents épisodes qui émut récemment la presse internationale. Se sentant menacés parce que leurs quotas de crémation étaient faibles, les dirigeants municipaux de quelques villes du Henan (dont Zhoukou), ont relancé un peu fermement le programme officiel de suppression des cimetières.


Quand on exhume un corps, même dans le but louable de faire le bonheur du peuple, le mort vous regarde généralement d'une orbite désapprobatrice. (Gênes, cimetière Staglieno)


Aujourd'hui en Chine les cendres des trépassés, quand elles ne résultent pas d'une crémation collective, peuvent encore être récupérées par la famille, et quelquefois enterrées, à prix d'or, dans des cimetières administrés par les potentats locaux. Le mètre carré y est plus cher que celui des habitations dans la capitale.
Mais les théoriciens du Parti prévoient d'interdire un jour la conservation des cendres, prochaine grande étape vers la Lumière de la Vérité Ultime.
Sans défunts ni cimetières, la mort alors disparaitra, et cette chronique n'aura plus de raison d'être.

(1)  Les informations sur le système funéraire en Chine proviennent de cette étude de Fang et Goossaert en 2008 (également au format PDF)  

samedi 22 septembre 2012

Goya gratuit

Goya - détail d'une gravure des Caprices n.71
Si amanece, nos vamos (Museo Nacional del Prado)

Contrairement au musée de Monsieur Loyrette, qui est le plus grand de l'Univers et qui n'a donc pas l'utilité de diffuser une information de qualité (il lui suffit d'éparpiller des panneaux indiquant « Joconde »), les petits musées provinciaux que sont le Prado de Madrid, la National Gallery de Londres ou le Rijksmuseum d'Amsterdam ont depuis longtemps compris que la culture ne vivait que par le partage et la diffusion large et gratuite.
Ainsi leurs sites sur internet sont remarquables par la présentation et la reproduction de qualité de leurs collections.

Le musée du Prado vient de mettre en ligne le catalogue intégral des 140 œuvres de Goya qu'il conserve (la moitié des Goya connus se trouve au Prado). On peut y détailler les portraits, les peintures noires, les dessins, les recueils de gravures, et même les télécharger pour en tapisser son propre caveau.
Le tout est abondamment commenté, en espagnol seulement. Mais la traduction en ligne de l'espagnol vers le français par la déesse Gougueule est parfois un exercice oulipien rafraichissant.

jeudi 13 septembre 2012

Mais où diable était le peintre ?

Examinons une scène dont le point de vue d'origine est aisé à reconstituer, l'étonnant « Enterrement à Nemours », signé Boutet de Monvel, attribué à Bernard B. de Monvel, non daté mais probablement peint vers 1905-1910, à l'huile. Il est exposé au rez-de-chaussée du musée des beaux-arts de Brest, qui se régénère lentement après avoir été totalement détruit par les bombardements de 1945, et l'a acquis en 1975.


La scène se passe donc à Nemours, en plein centre ville, près du Loing.

Le peintre est installé au croisement de la place de la République et de la rue du Prieuré, au rez-de-chaussée, dans ce qui est maintenant une banque mais qui était peut-être alors un café (à droite sur la photo). Il voit par la fenêtre, à sa droite l'entrée de l'église Saint-Jean-Baptiste, où attend le corbillard.
Au fond, sur la rue de Paris, la pharmacie prospère toujours au même emplacement (à gauche). La sellerie et l'ironique Hôtel de la providence ont été remplacés par ces seuls commerces qui disposent maintenant du cœur des villes : une banque, une compagnie d'assurances et une société immobilière. Mais les façades, les fenêtres, jusqu'au portail en arcade et aux chiens-assis de la sellerie n'ont pas changé depuis un siècle.

Dans les années 1905-1910 Bernard Boutet de Monvel et son père Maurice, également peintre et unanimement renommé pour sa Jeanne d'Arc illustrée, étaient ensemble à Nemours.
En 1909 y est peint « Le pensionnat de Nemours », aujourd'hui au musée de Pau. On y voit une procession de jeunes filles en noir suivies d'une sœur en cornette. Le tableau est signé « B. de Monvel 1909 », et attribué à Bernard sur l'étiquette du musée comme dans la base de données nationale Joconde, mais il est attribué au père dans l'encyclopédie Wikipedia qui reprend en cela l'avis du biographe et expert des Boutet de Monvel, S.J. Addade.
Dans l'Enterrement à Nemours, on distingue également derrière le corbillard une procession de jeunes garçons au béret noir suivis d'une femme en cornette. Proche du style du Pensionnat dans sa singularité graphique, sans perspective ni profondeur comme dans une illustration médiévale, le tableau pourrait alors être du pinceau du père, Maurice.

Il n'est pas recensé dans la base Joconde. Toute information sera bienvenue.

mardi 4 septembre 2012

L'état des cieux

Un important sondage de l'institut Win Gallup (52 000 sondés dans 57 pays), cité par le Courrier International, affirmait récemment que le nombre de personnes qui croient qu'il existe un autre monde (qui sont religieuses) a chuté de 9% en 7 ans, passant de 68% à 59% de la population mondiale. À ce rythme, plus personne ne croirait aux alentours de l'an 2050. Ne rêvons pas. 
Le sondage confirme que la majorité des croyants se trouve dans les populations pauvres et peu éduquées (pour supporter une vie opprimée il faut bien se persuader qu'il y aura un jour une solution).

Et les Français seraient passés durant la même période de 14% d'athées déclarés à 29%. Une personne sur trois. De là à faire un lien avec l'état dans lequel sont laissées les 4 000 statues qui ornent les flancs de la cathédrale de Chartres, décapitées pour décorer musées et collections privées, abandonnées à la morsure des intempéries et de la vermine...





vendredi 31 août 2012

Améliorons les chefs-d'œuvre (3)

Décidément, le mot d'ordre libertaire de Ce Glob est Plat, « Améliorons les chefs-d'œuvre », a fait en quelques mois beaucoup d'émules. Pour preuve cette mésaventure qui fait actuellement scandale à Borja près de Saragosse, dans le nord de l'Espagne, et dans le monde entier.

Vous connaissez certainement l'histoire. Accoutumée aux petits travaux que nécessite régulièrement l'église du Sanctuaire de Notre-Dame de la Miséricorde dans les faubourgs de Borja, une très vieille femme dévote avait décidé de sauver le Christ d'une dégradation déjà bien avancée. C'était un portrait médiocre peint à la fresque par Elias Garcia Martinez, obscur décorateur et professeur à Saragosse, mort en 1934. La vieille dame avait déjà repeint la tunique pourpre du Christ en faisant au passage une grossière erreur de perspective, avec la bénédiction du prêtre de la paroisse.

Forte de cette approbation, elle s'est donc attaquée au visage qui se décomposait. Emportée par une indéfectible foi chrétienne et des limites techniques incontestables, elle transforma la mauvaise croute en un étrange pâté, dans le style d'un Georges Rouault ou Modigliani terminé au chiffon par Francis Bacon.
Plus de 20 000 internautes déjà ont néanmoins trouvé du charme à ce Christ zombi au point de signer une pétition pour sa préservation.


Soyons modestes, Ce Glob est Plat n'est pas l'inventeur de ce concept prometteur d'amélioration des chefs-d'œuvre du passé. L'archétype, le modèle indépassable, c'est le Spéléo-Club albigeois qui le 5 mars 1992, aidé d'un groupe d'Éclaireurs de France adolescents et filmé par la télévision régionale, effaçait soigneusement, à la lessive et la brosse dure, deux bisons maladroitement dessinés par un peintre inconnu il y a au moins 20 000 ans dans la grotte de Mayrière à Bruniquel.
C'était une méprise, l'intention était bonne, la grotte était aussi couverte de graffitis récents. Ils en obtinrent le prix igNobel d'archéologie en 1992.
Ironie, la peinture rupestre avait été découverte par le même club de spéléologie 40 ans plus tôt. Ce qui prouve bien qu'en matière d'art le progrès n'existe pas.

Mise à jour du 20.09.2012 : la suite devient lamentable, naturellement. La Fondation propriétaire de l'église prélève un euro par visiteur. La vieille dame va demander à la Justice sa part des milliers d'euros, en droits d'auteur. 

dimanche 26 août 2012

Schnackenberg, biographie

Walter Schnackenberg, affichiste, décorateur, graphiste

2 mai 1880, Bad Lauterberg, Basse-Saxe, Allemagne 
10 janvier 1961, Rosenheim, Haute-Bavière, Allemagne

La renommée tient à peu de choses. Walter Schnackenberg portait un nom qu'on ne peut écrire sans erreur, ni mémoriser aisément. Il était cependant, de 1910 à la montée du Nazisme, une personnalité connue dans le milieu culturel et mondain de Munich qui irradiait alors toute l'Europe artistique, après les Sécessions de 1892 et de 1900, naissances de l'Art Nouveau (Jugendstil) et de l'abstraction.

Il y a deux périodes dans l'art de Schnackenberg. Avant la 2ème guerre c'est un graphiste brillant, admirateur de Toulouse-Lautrec, qui déploie avec talent un style sinueux et décoratif. Affiches, costumes et décors de théâtre. Il dessine aussi parfois dans des publications comme la célébrissime revue satirique Simplicissimus, où il rencontre certainement George Grosz et Alfred Kubin, sans que leur forte personnalité sombre et sarcastique ne le détourne alors de ses dispositions à la frivolité. 

Après la guerre, Schnackenberg a 65 ans. La Belle Époque est loin. Un miteux aquarelliste autrichien qui s'est métamorphosé en despote bavarois puis en tyran sanguinaire a détruit l'Europe entière. Les dessins de Schnackenberg ne seront plus comme avant. Ses personnages aux lignes souples, dynamiques et équilibrées qui avaient peuplé les affiches et les boulevards se transforment en chimères molles et vaguement humaines, en spectres qui se tortillent dans des décors instables, sur de grandes feuilles peintes à l'encre et à l'aquarelle. On y sent, après tant d'années, l'empreinte irréelle et macabre d'Alfred Kubin

Mosaïque de dessins à la plume et l'aquarelle, faits par Walter Schnackenberg entre 1947 et 1961.

Un descendant de Schnackenberg a créé récemment un site dédié à sa mémoire, en allemand, mal organisé et pauvre en images.
On ne trouve de reproductions acceptables sur internet que dans le blog 50 Watts (anciennement A journey round my skull), alimenté par un fou de littérature, de livres et d'illustrations, fouilleur de brocantes et de sites spécialisés.

Parfois quelques originaux arrivent en salle des ventes, peut-être cinq ou six par an, essentiellement en Allemagne, un peu en Suisse ou à Londres, fréquemment invendus semble-t-il, malgré des estimations de prix relativement modestes (5000 euros en 2006 pour une extraordinaire aquarelle comme celles qui sont assemblées dans l'illustration).
Chacun sait que c'est la renommée de l'artiste, plus que la qualité objective de son œuvre, qui fait sa valeur marchande.
Et Schnackenberg est à peu près inconnu.


dimanche 19 août 2012

L'héritage baroque

Le Baroque est un style, un mouvement qui a traversé l'art italien et espagnol, en gros au 17ème siècle. On le retrouve un peu plus tard en Allemagne, puis irrégulièrement, toutes les périodes ont eu un courant ou des individualités baroques.
Le Baroque est une réaction aux rigueurs du Classicisme. À l'harmonie, la proportion, la symétrie, l'équilibre, il oppose déformations, imaginaire, spectaculaire, pathétisme. Il lui arrive de déraper vers la surenchère, le rococo, puis le kitsch, et quelquefois la nouille et le n'importe quoi.

À la grande époque de l'âge d'or espagnol, l'objectif était d'attirer le client par la magnificence des églises et de l'horrifier par le spectacle des souffrances de l'incroyant et du pécheur.
Les temps modernes, qui ont connu tant de troubles et de drames, ont également ressenti cet élan vital, cet irrépressible jaillissement des formes. On le retrouve dans les architectures démesurées d'Antonio Gaudi à Barcelone, et chez le marchand de glaces de la calle de Zacatin, à Grenade en Andalousie.



samedi 11 août 2012

Les valeurs orthopédiques

Axiome 1 : l'article L.141-5 du code du sport interdit (sauf autorisation expresse) d'utiliser l'adjectif dérivé du nom de la ville d'Olympie qui sert à désigner des jeux organisés tous les quatre ans. On le remplacera donc dans cette chronique par l'adjectif « orthopédique » qui en est relativement proche au moins sur le plan de la prononciation. Ceci nous évitera le paiement d'une lourde rémunération au Comité National ou International Orthopédique.

Axiome 2 : l'article L.141-5 du code du sport interdit d'utiliser, sans autorisation largement rétribuée, le symbole orthopédique constitué de 5 anneaux multicolores enchevêtrés, ou toute variation graphique qui l'évoquerait. Alors qu'il est censé être dans le domaine public depuis 2007 en France (puisque créé en 1913 par P. de Coubertin mort en 1937).

En temps normal, le Comité International Orthopédique est essentiellement occupé à régler ses problèmes internes de corruption et à désigner la prochaine ville qui aura la chance de s'endetter sur les 40 ans à venir en échange de l'hébergement éphémère des prochains Jeux Orthopédiques. Il surveille néanmoins le respect de son privilège, l'utilisation commerciale de cet inépuisable patrimoine constitué d'un drapeau et de trois mots du dictionnaire.

Mais lorsque l'échéance des Jeux Orthopédiques approche, quand l'Homme choisit de s'oublier dans l'admiration patriotique des dieux du stade et demande à la crise de repasser dans trois semaines, c'est l’explosion printanière, l'argent jaillit de mille sources et irrigue la planète, les médias bourgeonnent, c'est le grand cirque de l'amnésie, la gabegie universelle.

Dès lors comment gérer cette abondance publicitaire avec comme seuls moyens quelques petites routines d'administrateurs cooptés ? On en confie le gardiennage au pays organisateur des Jeux, qui peut le faire en usant de pouvoirs de police, ce qui est bien pratique. Par exemple cette année, à Londres, six immeubles privés ont été truffés de lance-missiles, et les habitants, des gens modestes, ont été prévenus peu avant les Jeux, qu'ils avaient la chance d'être choisis pour le système de défense des Jeux Orthopédiques.

Mais cette fois, pour partager les dépenses, le pays organisateur réputé défenseur des droits de l'individu et des libertés civiles, s'est en partie déchargé au profit du Comité Orthopédique en lui confiant, par une loi de 2006, l'Orthopedic Game Act, certains pouvoirs publics : police du langage (certaines associations de mots étant payantes), censure, dénonciation, procédures d'exception.
Le descriptif sur SILex, le blog de Calimaq, des contrôles effectués sur les lieux des Jeux par les escouades des agents du Comité Orthopédique chargés de contrôler et sanctionner le mépris des interdictions est édifiant : pas le droit d'ingurgiter d'autres frites et sodas que ceux des sponsors, d'utiliser sous toutes formes les symboles orthopédiques, de porter des tee-shirts vantant la concurrence, d'utiliser les mots interdits, de transmettre une image des jeux sur les réseaux sociaux...
Toutes ces privations de liberté au seul bénéfice d'entreprises commerciales influentes n'étonneront pas outre mesure l'habitué de Ce Glob est Plat. Elles ont le goût du déjà-vu. C'est la même cupidité qui interdit au visiteur d'un musée ou d'un site remarquable d'enregistrer un souvenir, même flou et mal cadré, de son passage.

Finalement l'idéal orthopédique de paix et d'égalité entre les êtres humains est atteint. Tout le monde porte le même tee-shirt, orné d'un unique symbole, et pour le reste, tout est payant.

Dans quelques jours, les lieux seront abandonnés au vent et à la pluie londonienne, les rats et les cafards grignoteront les derniers papiers gras, et le souvenir des Jeux ne sera plus entretenu dans le cœur des Londoniens que par la dette colossale qu'il faudra lentement rembourser et les édifices pharaoniques qu'il s'agira d'user de temps en temps.

Et subsistera l'article L.141-5. Comme les valeurs orthopédiques, il est éternel.


dimanche 29 juillet 2012

Nul n'est prophète...

Au delà de la Terre, au delà de l’infini,
Je cherchais à voir le paradis et l’enfer.
Une voix solennelle m’a dit :
Le paradis et l’enfer sont en toi.
Referme ton Coran. Pense librement,
Et regarde librement le ciel et la terre.
Omar Khayyam (1048-1131), extraits des Quatrains (Robaiyat)

La Turquie est bienheureuse.
Elle a depuis bientôt 20 ans Fazil Say, impressionnant virtuose qui fait la renommée de l'art du piano et de son pays dans le monde entier. Comme György Cziffra ou Alexis Weissenberg en leur temps, sa technique est éblouissante, son style fantasque, et son succès considérable.
Il compose également, quantité d'oratorios et de symphonies qui réclament une exubérance d'instruments et beaucoup de résignation de la part de l'auditeur, qui a l'impression d'écouter l'accompagnement musical des pesants films de science fiction américains, comme avec les symphonies d'Anton Bruckner ou de Gustave Mahler.

Mais la Turquie est déchirée.
Car elle organise le 18 octobre une sorte de procès galiléen en miniature, contre son idole Fazil Say pour avoir insulté les valeurs de l'Islam. Trouvant en effet amusante une évocation du poète perse Khayyam, reçue par le réseau Twitter, qui comparait le paradis des musulmans à un rade pour ivrognes garni de prostituées, Fazil a commis le blasphème irréparable de retweeter le tweet. C'est à dire qu'il a transmis le court texte, d'une légère pression sur le bouton idoine de son téléphone, à ses milliers de fans suiveurs. Erreur fatale qui pourrait bien l'enfermer 18 mois dans les prisons turques, dit la loi « pénale ».

Fazil Say n'a jamais caché son athéisme.
La Turquie n'a jamais caché sa laïcité, depuis la révolution de Mustafa Kemal en 1922. Jusqu'à l'inscrire dans sa Constitution.
Mais elle la pratique de moins en moins.

Mise à jour du 21.11.2012 : le tribunal étudie le dossier de la défense. Prochaine audience le 18.02.2013 15.04.2013.
Mise à jour du 16.04.2013 : le verdict clément, 10 mois de prison, ne sera exécuté qu'en cas de récidive dans les 5 ans. Encore un petit effort vers la civilisation...
Mise à jour du 14.11.2018 : l'affaire traine. Le jugement, confirmé en appel en 2013, annulé en 2015 par la Cour suprême, est renvoyé devant un autre tribunal et annulé définitivement en septembre 2016 alors que la presse, les instances européennes et le public éclairé réclament que le pianiste ait le droit de s'exprimer. Pendant ce temps, le pays s'enfonce doucement dans une autocratie réactionnaire, comme bon nombre d'autres pays dans le monde.



Le palais de l'Alhambra à Grenade, en Espagne. L'intérieur du palais (ici la tour de Comares) est totalement recouvert de grouillantes arabesques et d'innombrables inscriptions affirmant qu'Allah est le seul vainqueur. Fazil Say qui est musicien aurait pu se douter qu'en matière d'opinions les murs ont aussi des oreilles.

mercredi 25 juillet 2012

Scepticisme extraterrestre

N'avez vous jamais été saisi par l'impérieux besoin d'envoyer un message aux extraterrestres, histoire de leur donner des nouvelles ? Mais vous avez été arrêtés, comme nous tous, par la prosaïque question des coûts de communication. À ce jeu, on dépasse vite les limites du forfait.
C'est pourquoi la très sérieuse DSCN (Deep Space Communication Network - réseau de communication avec l'espace lointain), société à but certainement philanthropique, propose ses compétences et équipements sophistiqués pour transmettre votre prose.

Et la DSCN connait parfaitement les extraterrestres. Sur son site, vous apprendrez qu'ils savent lire les formats d'image JPEG, le son en MP3, et les vidéos en AVI, WMV, et même en MPEG-1, mais qu'ils n'apprécient guère les propos lubriques ou profanateurs. En fait les extraterrestres craignent tout ce qui peut offenser. On les comprend, ils doivent être submergés de messages persifleurs.
En revanche vous pourrez leur envoyer votre propre recette du bœuf Mironton ou du pigeon en sarcophage, accompagnée de photos des ingrédients. Attention, ces photos devront être prises par vous-même, les extraterrestres sont très sourcilleux sur la question des droits d'auteur.

Mais, direz-vous, qu'est-ce qui me garantit le sérieux de l'entreprise ? Et bien, avec une antenne parabolique de 5 mètres connectée à un klystron redondant à haute puissance pour amplifier le signal, que vous faut-il de plus ? Et l'antenne se trouve en Floride, non loin du Kennedy Space Center, site de lancement des grandes épopées interplanétaires de la NASA ! Notez que tant de technologie vous coûtera cependant 299 dollars (245 euros) pour 5 minutes de transmission.

Enfin pour briller en société vous pourrez afficher sur la cimaise de votre salon le certificat fourni gracieusement par la DSCN et garantissant qu'on peut facilement vous soutirer une somme rondelette en vous faisant avaler n'importe quelle imbécilité.

Atterrissage d'un vaisseau de la planète Klystron aux abords du bois de Boulogne, à Paris porte de Passy en février 2008.

Alors pour éviter d'être surpris en flagrant délit de crédulité, adoptez dès aujourd'hui l'attitude sceptique, et systématiquement doutez. De nombreux sites existent pour vous y aider, dont voici quelques-uns : les archives du défunt Cercle zététique, l'Association française pour l'Information Scientifique (AFIS), l'Observatoire Zététique, la Documentation Zététique, Tatoufaux le tombeau des idées reçues, Hoaxbuster ou les canulars du Web, Scepticisme Scientifique et son podcast,  et le jeune Cortex.
Et comme il advient qu'emportés par leur enthousiasme ces sites pratiquent des façons un peu expéditives et ne respectent pas toujours la rigueur méthodologique qu'ils professent, il convient de fréquenter également des sites comme Pseudo-Scepticisme qui exercent leur propre scepticisme sur les méthodes des sites sceptiques. Vous serez alors pris d'un vertige. Avec l'impression d'être de retour à votre point de départ, vous vous demanderez si douter du doute ne revient pas, finalement, à croire. Vous serez devenu une question ambulante, un ectoplasme en forme de point d'interrogation, presque une ombre.

samedi 14 juillet 2012

Nuages (29)

Celui qui observe le vent ne sème pas,
Et celui qui considère les nuages ne moissonnera jamais.
La Bible, l'Ecclésiaste, 11-4 (1)


(1) L'interprétation chrétienne de ce verset dit qu'à trop fixer son attention sur les obstacles potentiels, on inhibe toute action. L'Ecclésiaste est plein de ces aphorismes de comptoir, morales de bistro à deux drachmes.
La Société Biblique Française en a édité en 1997 une version en français courant. Sans le charme mystérieux des archaïsmes, les versets retrouvent toute leur banalité, leur conformisme :
3-1 Tout ce qui se produit dans le monde arrive en son temps.
5-11 Le travailleur dort d'un bon sommeil, qu'il ait peu ou beaucoup à manger. Mais le riche a tant de biens qu'il n'arrive pas à dormir.
7-3 La douleur est préférable au rire. Elle attriste le visage, mais elle rend le cœur meilleur.
10-20 Cependant ne critique pas le roi, même intérieurement, ne dis rien contre le puissant, même en privé. Un oiseau pourrait répandre tes paroles et répéter ce que tu as dit.

On y trouve aussi parfois de sombres fulgurances : 
12-5 On a peur de gravir une pente, on a des frayeurs en chemin, les cheveux blanchissent comme l'aubépine en fleur, l'agilité de la sauterelle fait défaut, les épices perdent leur saveur. Ainsi chacun s'en va vers sa dernière demeure. Et dans la rue, les pleureurs rôdent en attendant.

samedi 7 juillet 2012

La vie des cimetières (44)

LE ROI : Les rois devraient être immortels.
MARGUERITE : Ils ont une immortalité provisoire.
Eugène Ionesco, Le roi se meurt, 1962

L'amateur de littérature qui flâne à Paris dans le cimetière du Montparnasse feuillette un album de ses souvenirs en déchiffrant sur les tombes des noms dont il a jadis lu les livres. Des phrases lui reviennent à l'esprit. Tel écrivain qui l'a impressionné est là, tangible, incontestable, son univers se matérialise sur la pierre usée, parmi les mousses humides.
Le cimetière du Montparnasse est empli de ces noms mémorables.

D'abord leur maitre, Charles Baudelaire, douloureux poète à la fois de l'horreur et de l'extase de vivre, condamné par la justice pour offense à la morale et aux bonnes mœurs, et syphilitique. Il est enterré dans la fosse familiale, sous l'autorité et les décorations du général Aupick, le beau-père.
Trop misérable sépulture aux yeux de ses admirateurs qui lui érigèrent 35 ans plus tard, en compensation, un impressionnant cénotaphe à l'autre bout du cimetière. On y admire la momie du poète gisant, surmontée d'une immense chauve-souris ultra-plate et d'une sorte de brute occupée à se concentrer pour penser.

Alentour Ionesco, Beckett, Topor, Cioran, auteurs de l'étrange, de l'insolite, cyniques qui ont bouleversé notre vision du monde. Leurs tombes sont sans histoire, dépouillées au point qu'on ne les distingue pas parmi les milliers d'autres. Ici leur ironie s'est tue.

Puis Proudhon, Emmanuel Bove, Marguerite Duras, Jean-Paul Sartre, d'autres encore.

Et entre ces écrivains, la providence (ou la fatalité) a clairsemé les plus grands lexicographes, faiseurs de dictionnaires et d'encyclopédies, Pierre Larousse et ses définitions polies comme des perles fines, Émile Littré, Ernest Flammarion, Louis Hachette, afin de remettre un peu d'ordre alphabétique dans ce fouillis de pages et de mots éparpillés.




16 impressions du cimetière du Montparnasse à Paris, le 29 avril 2007.

mercredi 27 juin 2012

Un sacrilège

Y a-t-il artiste plus conciliant que Pablo Picasso ? Lui qui disait « Quand je n'ai pas de bleu, je mets du rouge » ? C'est dire son œcuménisme. Et sa détermination. Et pourtant il y a des aigris qui lui en veulent encore, et qui, près de 40 ans après son décès, exercent leur rancœur sur ses œuvres.
Ainsi à Houston, au Texas, le 13 juin dernier, un de ces effrontés peu recommandables taguait à l'aide d'un pochoir et d'une bombe de peinture noire un inestimable tableau de l'illustre espagnol, au musée de la collection Menil. Le gribouillis, fait à la hâte, représentait un vague taureau signé du mot Conquista.
Un témoin filmait de loin l'opération, s'exclamait grossièrement, puis s'approchait et filmait l'œuvre défigurée, regardait l'étiquette, réalisait qu'elle était de Picasso et à nouveau s'exclamait grossièrement. Le gardien qui n'avait pas remarqué les frais stigmates sur le tableau lui signifiait gentiment qu'il n'était pas autorisé à le filmer.
Depuis, la peinture fraiche à été nettoyée sans dommage pour l'originale. L'anarchiste fanfaronne parait-il sur le réseau FaceBook où il se dirait admirateur de Picasso.

On est bien sûr outrés de tant d'impertinence. Et cependant on tolère tous les jours, à notre porte même, des profanations autrement plus conséquentes.

La mairie de Paris vient par exemple d'accorder à la Fédération Française de Tennis le droit de détruire définitivement une partie des serres d'Auteuil et du superbe jardin botanique qui les abrite, afin d'agrandir le complexe sportif de Rolland-Garros.
Dix serres chaudes seront rasées avec quelques arbres et des bâtiments techniques, et remplacées par un grand stade. Et tous les ans pendant un mois autour du tournoi international de tennis, au moment de la plénitude parfumée des lilas, des azalées et des premières roses, 500 000 amateurs de balles jaunes auront le privilège de piétiner gaiement ce qu'il subsistera de ce petit paradis et de ses collections botaniques.
Le public qui venait d'ordinaire y regarder gratuitement s'épanouir le printemps n'aura alors plus accès aux serres ni au jardin. Il lui restera le petit square des Poètes, contigu, d'où il entendra le brouhaha et les clameurs partisanes.

Les passionnés d'architecture et de chlorophylle ont peut-être encore un recours administratif car le site est partiellement classé comme Monument Historique.

Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »

L'entrée du jardin des serres d'Auteuil bientôt fermé au public non sportif, un mois par an au plus beau de sa floraison.

vendredi 22 juin 2012

Manoir balnéaire

Les uns disaient que c'était un vieux Château où il revenait des Esprits, les autres que tous les Sorciers de la contrée y faisaient leur sabbat. La plus commune opinion était qu'un Ogre y demeurait, et que là il emportait tous les enfants qu'il pouvait attraper, pour pouvoir les manger à son aise...
Perrault Charles, La Belle au bois dormant, 1697

Villa La Garde vue de la promenade Robert Surcouf à Dinard 


Quel cœur simple n'a jamais désiré habiter le château de la Belle au bois dormant ? Pas pour toute la vie bien sûr, parce que les contes de fées sont ennuyeux, et assez idiots, mais pour quelques jours.

Beau temps, pluie, tempête, peu importe. On remonte d'une promenade sur la plage de Dinard, levant les yeux vers la silhouette féerique. La vue est gênée par un contrejour. Dans quelques minutes on sera là-haut dans le salon de la Belle au bois dormant, à siroter un breuvage indéterminé et regarder une chaine de télévision au hasard. Par la fenêtre, la baie de Saint-Malo, au loin les remparts couronnés de milliers de petits yeux blancs si bien alignés. Et partout la mer et le ciel.

Tout cela n'est pas inaccessible. Les tarifs de location d'un grand appartement dans la villa La Garde, sur la pointe du Moulinet, sont décents.

samedi 16 juin 2012

Divagations municipales

Le panneau ci-dessus établit qu'il est interdit à toute chose qui ressemblerait vaguement au chien en peluche de Tintin, idole des adolescents, d'errer sur la plage de la Grève Blanche près de Trégastel en Bretagne. 
En revanche les rochers ont le droit de s'y échouer pour peu qu'ils s'alignent approximativement, histoire de laisser la plage aux algues tueuses, à qui elle n'est pas prohibée.
Et ce du 15 juin au 15 septembre. L'année n'est pas précisée.

dimanche 10 juin 2012

La platitude de l'Univers


Les dernières mesures de la savante Shirley Ho, relatées par la revue Ciel & Espace dans son récent numéro 505, le démontrent : dans l'Univers l'énergie noire est trois fois plus puissante que les forces d'attraction de la matière. C'est certainement irrévocable.

Ne demandez pas aux savants ce qu'est l'énergie noire (ou sombre). Ils n'en savent rien pour l'instant et s'en sortent en invoquant une énergie du vide. Cependant elle est là, et domine les forces de l'Univers, de sorte que les galaxies s'éloignent globalement les unes des autres, et de manière accélérée. Ainsi un jour la matière n'aura plus assez d'énergie et se délitera, les électrons quitteront les atomes, le vide deviendra encore plus vide, le froid plus définitif.

On avait quelques temps espéré que le grand gâchis thermodynamique de l'Univers ralentirait un jour, passerait par une phase de stabilité, puis s'inverserait dans une grande implosion, pour recommencer un nouveau cycle avec de la matière fraiche, ce qui était, au moins intellectuellement, assez satisfaisant. Mais les conclusions de Shirley Ho sont sans appel, car elle les obtient par l'observation minutieuse des oscillations acoustiques de la matière ordinaire. C'est dire.
On a beau savoir, la Lune s'éloignant puis le soleil explosant bientôt, que la vie sur Terre n'en a pas pour très longtemps, disons un à deux milliards d'années ce qui n'est déjà pas terrible pour certains projets personnels, il est tout de même vexant d'apprendre que tout cela n'aura servi à rien, puisque tout s’éteindra irrémédiablement.

Et puis, une mauvaise nouvelle n'arrivant jamais seule (axiome hautement scientifique), les calculs de Shirley Ho ont également confirmé la topologie de l'Univers, sa forme globale. Il est plat.
Les lignes parallèles ne s'y rencontreront jamais. Pythagore et Euclide en seraient ravis. Et toutes les autorités de l'antiquité et du moyen-âge qui affirmaient que le Monde était plat, raillées quand il a été prouvé que la Terre - qui n'est qu'un accident local - était ronde, tous ces penseurs avaient donc raison.
Ajoutons qu'il suffisait de constater la banalité des résultats du concours de la chanson de l'Eurovision, des prix littéraires ou de l'élection présidentielle, et de tant d'autres jalons de notre civilisation, pour se convaincre de la platitude, de l'ennui de cet univers.

mardi 29 mai 2012

Midi moins libre

Depuis une dizaine de jours (1) le groupe de presse Sud Ouest offre aux auteurs et lecteurs de blogs (notamment ceux du journal Midi Libre) une occasion de jouer en s'instruisant, de se divertir intelligemment.
En effet, le groupe a confié à une entreprise le soin de modérer les commentaires de tous les blogs qu'il héberge, par le moyen d'un logiciel dont elle prétend maitriser la technologie, ce qui la rend manifestement fière. La modération consiste, à l'aide de ce logiciel automate, à repérer certains mots et à interdire la publication des commentaires contenant un de ces mots (et parfois à bloquer tous les commentaires du billet, car les auteurs n'ont plus d'action autorisée dessus).
Les blocages effectués semblent parfaitement aléatoires, parfois contradictoires.

Alors le jeu est de rechercher les mots interdits et de comprendre la logique employée par l'automate. Et là, tous les mots sont permis. Une faille du système permet d'ailleurs d'échanger les mots censurés puisque seuls les commentaires sont modérés, pas le contenu des billets. On commence donc à voir fleurir des chroniques surréalistes qui cherchent en tâtonnant à constituer des listes de mots autorisés ou non.
Mais ça n'est peut-être pas aussi simple car il est possible, pour pimenter le jeu, que certains mots ne soient interdits qu'utilisés dans un environnement particulier (par exemple Fraise des bois ou Talonnettes dans un blog à coloration politique).

Et puis, il n'y a peut-être pas de logique du tout. Franz Kafka, dans ses romans, représente toujours l'Autorité comme arbitraire, et c'est pourquoi on s'y soumet, par obligation, car on n'en connaitra jamais les motivations. Il l'assimile à la vie, barbare et incohérente.
Les raisons de Sud Ouest sont peut-être également despotiques, sans intention. Comment expliquer, sinon, que des blogs aux préoccupations locales, qui parlent essentiellement de météorologie, de recettes de cuisine et de cartes postales anciennes, inquiètent un puissant groupe de presse ?

Las de cet arbitraire, le personnage du Procès de Kafka renonce. Il se laisse conduire dans une carrière désolée et exécuter au couteau de boucher, en s'en excusant presque.
Mais on peut aussi chercher, comme des millions de Chinois le font tous les jours, des moyens de contourner ces interdits. Ou se concerter pour envoyer en même temps des centaines de milliers de mots, en commentaires, et finir par faire exploser les neurones du génial logiciel (et aussi le budget de Sud Ouest qui paye certainement cette censure à la quantité de mots contrôlés).

Post-scriptum : devant les protestations recueillies, Midi Libre semble avoir décidé aujourd'hui même de suspendre, avec effet dans les prochains jours, cette expérience de modération directe qu'il qualifie de dysfonctionnement.
À suivre.


L'intérêt d'une interdiction est de signaler aux esprits étourdis ou peu imaginatifs qu'une action pourrait être envisagée si elle n'était justement prohibée. Par exemple ici, sur la pointe de Pen-Hir en Bretagne, quelle âme perverse aurait jamais pensé lapider des escaladeurs ?

***
(1) Merci à l'Oiseau du soir pour cette information, et pour son commentaire ci-dessous, dans lequel on trouvera un lien vers un billet passionnant de B.Kali sur la société Netino et les prolétaires africains qu'elle emploie (en les appelant modérateurs free-lance) à censurer les blogs pour d'importants groupes de presse français. 
 

vendredi 18 mai 2012

Tableau Mystère numéro 2

Jacob Vrel   (actif vers 1654-1670?)  Femme à la fenêtre faisant signe à une fillette   Panneau, 45,7 x 39,2 cm; traces de signature  Acquis en 1918 ; inv. 174

En vérité il n'y aura pas à deviner le tableau mystère aujourd'hui, car il ne reste que neuf jours, à qui souhaiterait le voir, pour se rendre à l'Institut Néerlandais de Paris où il est exposé avec des œuvres de peintres essentiellement hollandais.

La belle collection de Frits Lugt y est exceptionnellement exposée. 115 tableaux, de Kalf, Ruisdael, Anguissola, Léopold Robert, Esaias Boursse, et de cet ovni qu'est Jacobus Vrel. Un peintre dont on ne sait rien.
Peintre naïf ? Peintre amateur ? Peintre étrange dont il reste un quinzaine de paysages urbains assez maladroits dont les personnages flottent parfois sur le pavé, sans ombre, et une quinzaine d’intérieurs monochromes, sombres et dépouillés, où une vieille femme à la coiffe blanche repose souvent près d'une vaste cheminée.

Parmi ces scènes figées et mélancoliques, la plus inattendue est certainement celle de la collection Lugt. La même femme, en équilibre sur une chaise sur le point de basculer, fait un signe de la main à un enfant dans la pénombre derrière les carreaux d'une fenêtre. Scène ordinaire mais presque irréelle, épurée, probablement unique dans l'histoire de la peinture jusqu'aux intérieurs austères de Vilhelm Hammershoi, deux siècles plus tard.

Vrel a peint ses tristes intérieurs de vie quotidienne un peu avant que Pieter de Hooch se consacre à ce thème et l'ensoleille, vers 1660. Comme pour Boursse et Janssens Elinga, certains tableaux de Vrel furent quelques temps attribués à Vermeer. C'est peut-être pourquoi il n'est pas totalement oublié de nos jours.

Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »


Jacob Vrel (actif vers 1654-1670?) Femme à la fenêtre faisant signe à une fillette - Détail Jacob Vrel, Femme à la fenêtre faisant signe à une fillette
(détail, collection Frits Lugt, Paris)