samedi 27 octobre 2007

Droit de l'image (suite)

On l'aura compris, la disparition d'un certain nombre de petites libertés m'attriste. Par exemple celle de caricaturer des croyances religieuses, ou des institutions qui n'aiment pas le cochon, celle de fumer dans certains lieux (bien que je ne fume plus), et évidemment celle de photographier des œuvres du domaine public. Alors je reviens rapidement sur le sujet pour citer une belle chronique de 2005, plutôt mélancolique, de R. de Spens, égyptologue, et deux articles techniques de A. Gunthert, de 2007, où on apprend qu'on peut piller sans hésiter les bases d'images des collections publiques. Ce que je déconseille, vu leur absence de qualité et l'ennuyeux Web uniformisé qui en résulterait. J'ai joint, pour faire joli, une illustration dont je tairai la localisation et où les silhouettes ne sont pas reconnaissables.

mercredi 24 octobre 2007

Pourquoi une telle cruauté ?

Le pigeon suralimenté serait agressif et méchant. La preuve sur ce document scientifique. Mais l'homme a trouvé des moyens subtils et raffinés de se venger : par l'automobile piégée, la surcharge pondérale, le sport de précision, voire le pélican. Sans oublier le défoulement purificateur. La civilisation bat son plein!

samedi 20 octobre 2007

La vie des cimetières (10)

La première chose que voit le voyageur qui arrive à Naples par la mer est une silhouette blanche, au sommet d'une colline, qui se détache sur le fond grisâtre de fumées et de poussière. C'est la Chartreuse de San Martino, maintenant musée d'art et d'histoire napolitains.




Derrière sa façade se trouve un vaste cloître occupé, dans un coin, par le cimetière des moines.
Pas de tombes, pas de noms. Seulement une grande dalle entourée d'un buisson de lierre. Autour, une pelouse ceinturée d'une balustrade ornée de seize crânes de marbre.




Les sculptures du cimetière et du cloître ont été réalisées entre 1623 et 1643 par Cosimo Fanzago, sculpteur et architecte baroque renommé à Naples.

samedi 13 octobre 2007

Nuages (5)

En 1523, le peintre Pontormo (Jacopo Carucci) fuyait Florence envahie par la peste pour se réfugier dans la chartreuse de Galluzzo, 5 kilomètres au sud. Il y peignit alors 5 fresques représentant des scènes de la vie du Christ (ici devant Pilate) qu'il termina en 1525.

  Elles s'y trouvent encore aujourd'hui. Très abîmées, elles ont été fixées sur des panneaux de bois et semblent flotter sur les murs, fantomatiques, dans l'ombre fraîche de la pinacothèque du monastère.

samedi 29 septembre 2007

Repeindre la Joconde

Encore elle, et encore Léonard de Vinci !

Dans le cadre de son inoubliable série "aime la vie, peins la en rose!", Ce Glob Est Plat ne pouvait pas ignorer les récents travaux sur la Joconde de Pascal Cotte et ses appareils magiques. Le musée du Louvre n'osait pas prendre le risque de nettoyer le tableau tellement le vernis à retirer et les pigments de la peinture d'origine sont étroitement liés. Pascal Cotte décida de le faire virtuellement.

  Il réalisa en 2004 une photographie numérique "multispectrale" de 240 millions de pixels, c'est dire sa détermination, puis une analyse chimique des pigments utilisés et de leur dégradation avec le temps. Et après un nombre incalculable de calculs, il aboutit au résultat qu'il présente sur le site de sa société Lumière Technology, également dans un document PDF, et même sur une vidéo soporifique. On y voit comment il part de la Joconde actuelle (à gauche sur l'illustration), la nettoie de son vernis jauni comme le font les musées sur des œuvres moins fragiles ou moins célèbres (au centre), et enfin reconstitue les pigments colorés comme si le tableau venait d'être peint, en éliminant les dérives dues au vieillissement (à droite). Finie la Mona Lisa maladive qui baignait dans un aquarium glauque aux eaux douteuses. Saluons la Mona Lisa que léonard a probablement vue et gardons bien ses octets au frais parce que les eaux de la véritable ne feront que se troubler avec le temps.

vendredi 14 septembre 2007

Crucifixus

Et voilà! On ironise, on s'amuse de la religion, on blasphème. Et un jour ça vous arrive. Un peu comme Gregor Samsa dans la Métamorphose de Franz Kafka. Un monstre hideux venu du fond des enfers vous empêche de sortir de chez vous, prêt à vous paralyser et vous faire fondre à l'acide pour vous boire à la paille, comme un jus de tomate. Nettement dessinée sur son abdomen, une croix lumineuse vous rappelle douloureusement votre hérésie.

  Hergé l'avait déjà prophétisé dans l'Étoile mystérieuse en 1942, l'épeire diadème n'annonce que des catastrophes, quelquefois des apocalypses. On peut heureusement s'en sortir. D'un coup de pantoufle bien ajusté.

samedi 8 septembre 2007

La vérité sur Léonard

En la matière, il y a les interminables biographies romancées *, et les véritables investigations historiques. C'est dans la dernière catégorie que se déclarait la troisième émission du magazine «Babylone» diffusée le 21.08.2007 par France 2. L'épisode s'intitulait «Les secrets de Léonard de Vinci». Après «Le tombeau du christ» et avant «Jacques l'éventreur», on pouvait s'attendre à de la dentelle.



Un résumé serait impossible, tant on y trouve foison de perles. Quelques exemples:
  • À propos de la Joconde : une œuvre presque irréelle tant elle est unique.
  • Devant une radiographie grisâtre, uniforme et floue : sous nos yeux éclate la matérialisation du sfumato.
  • En parlant de «la cène» de Milan : des milliers d'admirateurs devant ce tableau... (ça n'est pas un tableau mais une peinture directe sur un mur).
  • Ou encore : Léonard était un véritable autodidacte élevé dans les ateliers de la renaissance.
  • Et cette merveille : la vérité historique oblige à dire qu'il n'a pas inventé la bicyclette.


Mais ce sont là d'anodines anecdotes. Le vrai point fort de l'émission, qu'elle revendique à juste titre, est l'investigation historique. Et là c'est un festival scientifique.
L'auteur fait lourdement affirmer par de sentencieux pseudo-spécialistes d'absurdes élucubrations anachroniques sur un Léonard rose-croix, franc-maçon ou alchimiste, pour conclure habilement ses longues démonstrations par «mais la théorie est probablement fausse» ou «mais là encore rien ne permet de l'affirmer». Procédé hypocrite connu.
On n'échappera pas non plus à la présentation grandiloquente de l'interprétation faite par Freud du rêve du milan raconté par Léonard, commentaire unanimement reconnu comme erroné car dû à une erreur de traduction.




Enfin, il ne faut pas s'attendre à y admirer des œuvres de Léonard. C'est à dire trouver des images arrêtées de plus d'une seconde. Après tout, si on nous dit que c'est un génie, croyons le sur parole. Ça laisse du temps pour la mégalomanie. On y voit en effet l'auteur sous tous les angles, côtoyant les plus grands experts dans des paysages florentins repeints par des filtres agressifs, ou avançant avec détermination vers des murs sans issue, errant seul dans Paris la nuit et affirmant «l'énigme de Léonard n'existe pas!». Il vient de nous en servir une heure truffée de mystifications.

On a beau le voir tout le long film, j'ai oublié le nom du type, mais on dit qu'il est le fils d'un célèbre présentateur de journal télévisé.
Après un sournois «Il est temps de faire tomber les dernières idées reçues», l'auteur se ménage adroitement un argumentaire, en faisant témoigner Serge Bramly «Notre époque a totalement déformé la réalité du peintre. Léonard a eu tous les visages, on verra bien à quelle sauce va l'accommoder le 21ème siècle». Et bien on vient de le voir. Une fausse enquête sans autre objet que le narcissisme de l'auteur. Mais à voir ** néanmoins pour son aspect exemplaire: poncifs, clichés, lieux communs, stéréotypes, nombrilisme, sensationnalisme, dramatisation des riens, tout y est.
Prévoyez un anti-vomitif tout de même.

***
* Ce Glob Est Plat, toujours au fait de l'actualité la plus brûlante, consacrera très prochainement une chronique au film de 1971 (en 5 parties et presque 6 heures) de Renato castellani, «La vita di Leonardo da Vinci».

** Actuellement visible sur le site de France2 (le spectateur inconscient cliquera sur le lien "la vidéo intégrale") et également sur le réseau indicible.

samedi 25 août 2007

Lascaux 2, le retour

Au-dessus d'eux les explosions avaient cessé depuis quelques jours. C'était une bonne idée d'avoir fait construire cet abri. Il fallait maintenant essayer de retrouver Alis qui avait fui avant la reprise des tirs.
La lourde porte blindée grinça un peu.
Dehors, le spectacle était désolant. Une partie de la colline en face avait disparu. Presque toute la végétation également, pour ce qu'ils en voyaient à travers l'épais brouillard noir. Même en plein jour, la torche électrique était utile. Ils longèrent le seul chemin praticable le long de l'ancien ruisseau. En bas tout était dévasté, à part un immense bloc de rocher gris qui avait résisté.

Des gémissements semblaient venir de là, d'un passage étroit au ras du sol poussiéreux, probablement pratiqué par une explosion. Gala qui était plus petite s'y glissa.
Le conduit s'évasait rapidement en une vaste caverne couverte de peintures représentant toutes sortes d'animaux fabuleux. Elle se souvint avoir entendu parler de grottes peintes dans la région il y a des siècles, quand il y avait encore des animaux. Les galeries étaient désertes, ses appels résonnaient. Au fond, sur un panneau, un texte était écrit dans un alphabet qu'elle ne reconnaissait pas «Grotte de Lascaux 2, inaugurée par M. Jack Lang Ministre de la culture, le 19 novembre 1984».

Elle appela encore... Alis n'était pas ici.
Elle regarda une dernière fois les
étranges animaux, fascinée. Mais il y avait plus urgent. Il fallait rejoindre Moza et trouver de la viande fraîche pour ce soir.

Grand taureau
(Lascaux 2, copie partielle de Lascaux, Montignac, Dordogne)

Que le lecteur sensible ne s'effraie pas. Tout ceci n'est que fiction. Il est possible que la réalité en diffère un peu.
Cet été pluvieux ayant été propice aux activités culturelles souterraines, Ce Glob Est Plat a reçu d'une jeune lectrice une carte postale qui représentait un taureau, détail d'un ensemble datant d'environ 17000 ans, peint sur les parois de la grotte de Lascaux 2 voici à peine 25 ans. Ce paradoxe chronologique précipita la rédaction dans un abîme de perplexité. Un reporter fut alors chargé de répondre sans délai aux questions suivantes:
— Ce qui est unique est-il nécessairement authentique ?
— Éprouve-t-on la même impression devant une copie que devant un original ?
— Pourquoi se sent-on trahi quand on apprend avoir admiré une copie ?
— Pourquoi cette vénération pour l'objet authentique ?

Mercure en bronze, probable copie romaine d'un original grec inconnu
(Naples musée national d'archéologie)

Notre reporter est revenu peu après avec l'historiette que vous venez de lire, prétendant qu'elle répondait à toutes nos interrogations, et ajoutant « la vérité est une construction de l'esprit. Elle n'a besoin que d'être cohérente pour être acceptable ».
La rédaction réfléchit actuellement au libellé du motif de licenciement.

jeudi 23 août 2007

La vie des cimetières (9)

Dans la lagune de Venise, à quelques centaines de mètres au nord de la ville, se profile l'île des morts, le cimetière de San Michele.
On y rencontre, au long de la promenade, des musiciens qui nous ont envoûtés, Igor Stavinsky, Luigi Nono et les échos lugubres * de son Canto sospeso.

***
* Écoutez particulièrement les pistes 2, 3, 9, 10 et 12. Pour ceux qui aimeraient écouter plus sérieusement avant d'acheter , la magnifique interprétation d'Abbado est disponible sur le réseau indicible ou sur MusicMe.
Ajout du 6 juillet 2008 : à lire, sur l'histoire et les habitants du cimetière de Venise, un petit dossier de Philippe Landru, bien documenté et illustré, qu'on trouvera sur le site préféré des nécrologues, cimetières de France et d'ailleurs.

samedi 18 août 2007

Ceci n'est pas un Rembrandt

Quand les experts s'ennuient, ils se mettent à examiner avec des moyens plus modernes ce que leurs aînés avaient passé des années à laborieusement étiqueter. Chaque musée connaît périodiquement ces vagues d'effervescence purgative. C'est le grand nettoyage, la valse des attributions.
Le profane ne s'en rend pas immédiatement compte. Les gardiens de l'authenticité accomplissent leur lente érosion dans la pénombre. On se réveille un matin ensoleillé, et «l'homme au casque d'or», chef d'œuvre de Rembrandt unanimement admiré à la Gemäldegalerie de Berlin, se retrouve attribué à un vague imitateur anonyme et retournera peu à peu dans l'ombre.

Entourage de Rembrandt - L'homme au casque d'or
(Berlin Gemäldegalerie)

De même on conseillait à tous, depuis longtemps, le voyage à la National Gallery de Londres, ne serait-ce que pour y admirer le stupéfiant «homme lisant dans une pièce». On le cherche maintenant fébrilement dans un catalogue complet des peintures de Rembrandt pour le trouver enfin, minuscule cartouche en noir et blanc relégué dans une annexe, près des toilettes et attribué à un peintre sans nom. Exclu pour raisons «stylistiques».

Entourage de Rembrandt - Homme lisant dans une pièce
(Londres National Gallery)

Mais la résistance s'organise. Les gardiens de l'authenticité classent le «philosophe méditant» du Louvre, icône de nos livres d'écoliers, dans les tableaux douteux. Le musée refuse qu'il retourne dans l'ombre et l'attribue encore à Rembrandt, même s'il ne fait pas partie des 47 œuvres choisies, distinguées sur la page des peintures hollandaises du musée du Louvre.
Le musée a raison de résister. Les gardiens de l'authenticité reviennent parfois sur leur jugement. Le «cavalier polonais» de la Frick Collection de New York a fait l'objet d'une exclusion discutée à la fin du siècle dernier, mais, si on en croit certains bruits, il serait actuellement réhabilité, par les mêmes juges, d'une courte tête. Il suffirait d'un rien...

Par chance le «Souper (ou les pélerins) à Emmaüs», une des merveilles du musée Jacquemart de Paris, le plus beau Rembrandt en France, tient bon. Il est encore authentique aujourd'hui. Isolé dans ce discret musée parisien, il a probablement été oublié. Mais pour combien de temps?

Rembrandt authentifié - Le souper (ou les pélerins) à Emmaüs
(Paris musée Jacquemart-André)

Au rythme des dépossessions * récentes, dans un siècle à peine, Rembrandt n'aura pas existé.
Tout cela serait après tout plutôt indifférent si tous ces tableaux orphelins ne risquaient pas de s'égarer un jour dans les caves poussiéreuses d'un musée, ou les couloirs d'un ministère.
Alors, afin qu'on ne les oublie pas, diffusons à outrance les reproductions de ces tableaux d'imitateurs. Ils sont parfois plus beaux que les «authentiques».

***
* Le site extraordinaire de Frank J. Seinstra de l'université d'Amsterdam présente la reproduction chronologique de l'intégralité des peintures de Rembrandt (ou de ses imitateurs), accompagnées des péripéties de leur authenticité.

dimanche 5 août 2007

samedi 28 juillet 2007

Un couteau suisse d'appartement

Dans les premiers siècles de notre ère, les promoteurs des grandes religions eurent l'idée ingénieuse de créer ou raviver la notion de «sauveur». Devant le peu d'assiduité des candidats à la croyance, ils proposèrent de leur éviter la rigoureuse discipline du pratiquant en inventant l'existence d'un représentant de commerce de leur dieu sur terre, qui se chargerait de toutes les tâches un peu ingrates, par exemple de supporter leurs souffrances à leur place. C'était nécessaire notamment pour faire du bouddhisme, doctrine nihiliste et plutôt improductive, un dogme populaire capable de maintenir un équilibre économique confortable. Le boulot fut confié à Avalokiteshvara, bodhisattva de son état (assistant d'un bouddha), qui renonça au nirvana pour endurer toutes les douleurs des êtres sensibles. Mais les êtres souffrants naissent à l'infini et leurs peines sont infinies. C'est pourquoi, après des péripéties où on vit sa tête exploser en 1000 morceaux, puis reconstruite en 11 têtes, il reçut d'un Bouddha 1000 bras et un œil dans la paume de chaque main. C'était un gain de productivité conséquent. On trouve parfois Avalokiteshvara représenté avec un objet par main. Chacun est consacré à une douleur ou un besoin particulier. C'est le cas de cette sculpture coréenne du 10ème siècle, exposée au musée Guimet, à Paris.

  L'Internet, qui contient pourtant tout l'univers, n'a pas réussi à nous renseigner précisément sur ces objets hétéroclites. Cependant on peut en reconnaître certains: deux artichauts, un drapeau américain, une tablette de chocolat, peut-être un téléphone cellulaire en bas à gauche... Ce Glob Est Plat avoue son ignorance du sujet et reste à l'écoute des propositions de lecteurs perspicaces ou documentés. Il faut noter, pour ceux qui n'auraient pas la chance de bénéficier d'un de ses 1000 bras, qu'Avalokiteshvara diffuse également un mantra (prière répétitive abrutissante) dont on dit qu'il est capable, même dit une seule fois, de satisfaire tous vos besoins terrestres, et même au-delà, et d'apaiser toutes vos douleurs: «OM MANI PADME HUM». N'hésitez pas à lui attribuer, après un emploi intensif, les quelques petits bonheurs de votre existence. Enfin, les bouddhistes tibétains pensent que les dalaïs lamas sont la réincarnation d'Avalokiteshvara. Malheureusement, le dernier dalaï lama est né avec seulement deux bras, ce qui, malgré sa bonne volonté, s'est révélé nettement insuffisant et n'a pas pu empêcher les montagnes de souffrances, persécutions, tortures et destructions infligées méthodiquement par le gouvernement chinois, depuis presque 60 ans, pour faire disparaître le peuple tibétain.

dimanche 22 juillet 2007

La vie des cimetières (8)

« NE DÉPOSEZ RIEN SUR LA VOIE PUBLIQUE
TRIEZ VOS DÉCHETS
UTILISEZ LE BAC APPROPRIÉ *»

* Ce Glob Est Plat s'est permis de corriger légèrement l'orthographe du message sur la poubelle, et signale à la Mairie de Paris qu'en français les majuscules devraient comporter les accents, comme le conseille ce texte limpide de l'Académie française.

mercredi 18 juillet 2007

4 cartes postales estivales

Pour faire d'jolies cart' postales
En cett' période estivale
Si t'as pas le Taj Mahal
Va donc voir le Pont-Canal
Et d'une balad' vespérale
Tu fais des clichés banals
Ça f'ra chic dans ton journal
Et un succès triomphal.

Chanson traditionnelle briaroise.

samedi 14 juillet 2007

Nuages (3)

Le jour du Quatorze Juillet
Je reste dans mon lit douillet.
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas.

Pour être plus précis, j'ai du mal à rester dans mon lit douillet quand des dizaines d'hélicoptères prétentieux et tonitruants me font croire chaque année à la même heure, en traversant mon ciel, qu'une guerre vient d'être déclarée.

samedi 7 juillet 2007

Le dinosaure, l'étourneau et le charognard

Pour ne pas déranger le bourgeois local amorphe qui ne digère que le «Lac des cygnes», le très municipal 17ème festival de jazz d'Orléans s'est achevé samedi 30 juin par un moment d'académisme.
Le compositeur et arrangeur du Vienna Art Orchestra, qui faisait modestement projeter à chaque morceau son nom et ses fonctions sur un écran géant, nous a gratifiés de son imagination la plus routinière, heureusement démocratiquement ponctuée par une permission de sortie de chacun des 14 solistes de l'orchestre. Et là, certains se sont allègrement déboutonnés, témoin le solo de clarinette de Nico Gori, flamboyante envolée sur fond de musique sans inspiration exécutée avec minutie.

On peut voir sur ce cliché le Vienna Art Orchestra au complet. Enfin on aurait pu voir. La milice zélée et servile de l'organisateur interdisait aux non accrédités de prendre des photos des artistes, au prétexte, tarte à la crème du droit de l'image, qu'ils ne voudraient pas voir leur image sur internet sans la contrôler (lisez "sans rémunérer les charognards qui les entourent").

La soirée avait pourtant débuté par une première partie plutôt fantaisiste. Le festival avait invité le nonet (9 musiciens) du saxophoniste alto Lee Konitz. Lee Konitz est un dinosaure du jazz. En feuilletant sa discographie sans fin, on voit défiler une procession de légendes, pour la plupart refroidies : Warne marsh, Miles Davis, jerry Mulligan, Mingus, Shelly Manne, Zoot Sims, Gil Evans, Art pepper, Lennie Tristano... C'est dire son âge.
Cependant on entend toujours le son délicat et un peu voilé qu'il avait il y a 50 ans. Quand on l'entend. Parce qu'une bande d'étourneaux narquois avait décidé de l'accompagner avec fracas. Au début, il arrêtait de jouer et les regardait passer d'un air enfantin, mais quand, aux premières notes d'un solo, ils firent deux passages rapprochés retentissants, Lee vexé s'interrompit, laissant le percussionniste dans l'embarras, et finit le concert perdu dans le nonet.


Dans l'esprit du droit de l'image, je me suis efforcé de faire qu'on ne puisse reconnaître les membres du nonet (reconnaître n'étant pas le mot juste puisqu'ils sont parfaitement inconnus). Mais je n'ai pas pu me résigner à masquer Lee Konitz.
***
Le concert du 30 juin sera diffusé sur France Musique, ce soir 7.07.2007 à 23h pour le VAO, et le 3.09.2007 à 22h pour Lee Konitz.

vendredi 29 juin 2007

Un peu de jazz

Difficile de montrer la musique en images. Sur scène une partie du quatuor du saxophoniste alto Pierrick Pedron, au festival de jazz d'Orléans, dans le jardin de l'évêché. Médiocre sonorisation, pluie, humidité, froid...

mardi 26 juin 2007

Nuages (2)

«En outre, la densité des nuages ne peut égaler celle des pierres, du bois, ni leur subtilité celle des brouillards et des fumées aériennes. Dans le premier cas, entraînés par leur poids, ils tomberaient comme les pierres ; dans le second, ils n'auraient pas plus de consistance que la fumée et ne sauraient retenir les neiges glacées ni les averses de grêle»
Lucrèce, De la nature des choses, Livre 6-101.

***
J'ai réalisé, en relisant ces quelques mois de chroniques, que Ce Glob Est Plat avait pris, notamment avec la série sur la vie des cimetières, une tonalité funèbre. Aussi ai-je résolu de lui insuffler un peu d'air de temps en temps avec une série plus légère, déjà initialisée (sans le savoir) en avril, d'où l'indice 2 du titre. Y seront présentés des nuages, en situation ou non, commentés ou pas, selon l'inspiration du jour, en tentant d'éviter les clichés du thème.

mercredi 20 juin 2007

Une œuvre énigmatique

Le musée national d'archéologie de Naples, récemment cité ici-même à propos d'un chef d'œuvre immémorial, recèle également des trésors moins renommés. Des trésors parfois si rares ou énigmatiques que les plus grands experts ne savent pas ce qu'ils représentent, d'où l'absence auprès d'eux d'étiquette explicative, comme pour le merveilleux objet de notre illustration. Le puriste regrettera peut-être que sa contemplation soit un peu gênée par la présence, juste devant l'œuvre, de cette statue de la déesse Isis, jolie néanmoins, mais omniprésente.

lundi 18 juin 2007

La vie des cimetières (7)

Curieux théâtre où le spectateur s'entasse sur la scène et dans les trous de souffleurs pour tenter d'apercevoir ce qui se passe dans la salle, chez les vivants. C'est l'ossuaire du cimetière des Fontanelle. Creusé dans la roche d'une colline de Naples. Il a connu des périodes de surpopulation, notamment lors de la grande épidémie de choléra en 1836 et servi régulièrement de placard à la mafia locale (on repérait leurs besognes aux petits trous nets qui ornaient les crânes). Lors des grandes tempêtes, on voyait parfois passer dans la rue un grand oncle enterré récemment, ou la tête de la défunte boulangère qui descendait rapidement la via Fontanelle. C'était devenu l'anarchie. Vers le milieu du siècle dernier, pris en main par la ville, l'ossuaire a été assaini, et transformé en attraction touristique où le spectateur vivant peut contempler, avec un frisson, ce qu'il va devenir.

lundi 11 juin 2007

Mourir à Capri

L'agave américain est né dans les endroits les plus désolés et les plus caillouteux d'Amérique centrale. Il s'est depuis parfaitement accoutumé au climat méditerranéen (comme nous l'aurions fait à sa place) et y vit avec distinction, quoique de manière un peu théâtrale, son étrange destinée.

Il mène d'abord pendant plusieurs décennies la vie alanguie et sans histoire d'une belle plante grasse indolente. Puis un jour, sans prévenir, il se réveille de sa longue somnolence et se laisse pousser droit vers le ciel un interminable lampadaire ouvragé, un sorte de portemanteau inutilisable dont les patères haut perchées accueillent de grosses fleurs jaunes ou vertes.

Ce canular surréaliste sera son unique saillie. Définitivement épuisé, il déclinera rapidement et mourra. Ce Glob Est Plat, ne reculant devant aucune bassesse, si elle est animée d'un esprit réellement scientifique, a repéré sur la toile une page d'une crudité insoutenable qui relate en images la brève déchéance d'un agave breton, récit obscène mais édifiant.

Les esprits sensibles ne suivront pas ce lien sordide mais se régaleront de notre illustration d'aujourd'hui. Cet agave prévoyant a choisi de passer sa courte retraite dans une île de rêve pour millionnaires moribonds, à Capri, à deux pas des boutiques de luxe, des bijoux clinquants et des vêtements de marques.

Le conseil santé de Ce Glob Est Plat :
Éviter la piqûre de la pointe de la feuille d'agave, qui peut être dangereuse et comporter parfois des effets secondaires insidieux pour les constitutions fragiles: ils en oublient d'un coup, dans leurs écrits, les règles grammaticales et orthographiques les plus rudimentaires. On ne s'en étonnera pas quand on saura que l'agave fournit les ingrédients de certains alcools dont la tequila et le mezcal.

jeudi 31 mai 2007

La vie des cimetières (6)

Telle est la fin de ceux qui ont pratiqué la piété. (13,35) Ils résident aux Jardins d’Éden. Là, ils sont parés de bracelets d’or Et vêtus d'habits verts de soie fine. (18,31) Accoudés sur des trônes à l'abri du soleil et des gelées, Sous les ombrages perpétuels, Et les fruits inclinés à portée de leurs mains. Allah les protége du malheur de ce jour, Et leur accorde l'éblouissement et le ravissement éternels. (76,11-14) Pour les mécréants incrédules qui mijoteront dans les flammes de l'enfer pour en avoir douté, voici la localisation de ce jardin réel: 41° 0'55.49"N & 28°57'52.41"E

vendredi 25 mai 2007

La Bruyère avait raison

Un contemporain distrait ou pressé qui découvre l'histoire de l'art dans les livres ou les musées aura l'impression que l'ordre de présentation des œuvres ou des écoles, généralement chronologique, sous-entend une idée d'évolution, voire de progrès. Il pensera que la représentation de la réalité, longtemps réduite à la figuration monumentale de divinités hiératiques et figées, s'est peu à peu libérée, à partir de la renaissance, et que le génie humain, avec l'aide de la démocratie et de l'électricité, aura su lui insuffler le mouvement, jusqu'à l'apogée que représente l'impressionnisme, ses nuages, ses petites fleurs et ses papillons colorés (le siècle d'abstraction conceptuelle qui suit étant une péripétie négligeable).

Puis un jour pluvieux, égaré dans les sous-sols d'un grand musée parisien, notre contemporain s'arrêtera devant une vitrine poussiéreuse, subjugué par un visage peint aux yeux immenses. Que fait ce portrait parmi les antiquités et les sarcophages? Son petit monde de certitudes vacillera quand il lira sur l'étiquette qu'il a été peint à la cire il y a presque 2000 ans, en Égypte romaine, dans la région du Fayoum.
Et persévérant, au gré des musées, il découvrira d'autres réalisations humaines surprenantes qu'il aurait datées par erreur, à la modernité de leur style, d'une époque proche de la nôtre.

La Bataille d'Alexandre et Darius, monumentale mosaïque découverte en 1831 aux pieds du Vésuve à Pompéi, dans la maison du faune, fait partie de ces œuvres immémoriales «miraculeusement» conservées dont la contemplation nous encourage à cesser d'échafauder de grandes idées sur le genre humain, et à simplement admirer ce qu'il lui arrive de réaliser.

Une copie a été reconstituée exactement à l'endroit de sa découverte. L'original est aujourd'hui quelques kilomètres plus loin, dans une salle du musée national d'archéologie de Naples.

Les spécialistes disent qu'elle représente la bataille du roi grec Alexandre 3 contre le roi perse Darius 3, à Issos (ou Issus) en 333 avant notre ère. Elle mesure 6m x 3m, contient 1 à 2 millions de pièces, daterait de -100 et serait la copie en mosaïque d'une célèbre peinture grecque de Philoxène d'Érétrie. Les avis semblent encore diverger sur la bataille représentée et sur la date de réalisation. Peu importe, inutile de s'attarder sur l'anecdote, illustration complaisante et romancée d'un des épisodes de l'immense et lucrative campagne de pillage de l'Orient conduite en quelques années par Alexandre.

En voici quelques détails impressionnants, fraîchement photographiés.

C'est le héros de l'histoire, à gauche, sur son cheval roux. Alexandre. Il vient de transpercer de sa lance un méchant ennemi. Il va pouvoir lui piquer son argent, et peut-être une ou deux de ses filles. Il va gagner la bataille mais on lit sur son visage un rictus d'amertume, voire de tristesse. Est-ce d'être le seul grec de la mosaïque à ne pas avoir été détérioré par les intempéries?

Lui, c'est Darius, le roi des méchants, sur son char, prenant la fuite. Malgré les lances qui le protègent, on le sent inquiet, même suppliant, semblant dire à Alexandre "Allez, on se serre la main, c'était juste pour rigoler".
 Là, c'est la débandade derrière Darius. Le conducteur de son char, qui est aussi un méchant, donne l'impression de fouetter autant ses chevaux noirs que ses collègues de bureau qui l'empêchent de fuir. Quelle honte!
 À droite de la mosaïque, c'est l'affolement dans l'équipage de Darius.
 Au centre, devant le char de Darius, un soldat et un cheval perses effrayés. C'est graphiquement peut-être le plus beau détail de la mosaïque. Le cheval est dessiné dans une perspective raccourcie et des lignes sinueuses qui donnent à l'œuvre une grande part de sa profondeur et de son dynamisme. Cette science du dessin, héritée de la Grèce, a été ensuite enfouie, comme nombre d'autres sciences, dans les ruines romaines pendant 15 siècles.
 Au centre, aux pieds du soldat transpercé, un cheval blessé mortellement au flanc regarde s'écouler son sang.
 Au centre, devant le char de Darius, un soldat blessé regarde son reflet désespéré dans le miroir d'un bouclier.
  Au fond de la scène, exactement au milieu, probablement un soldat grec perdu parmi les perses, seul personnage de toute la mosaïque à regarder le spectateur, semble nous demander, d'un air désolé, ce qu'il peut bien faire ici, au milieu de ce vacarme silencieux. Devant lui, un cheval paraît en rire.
 
On trouvera peu, par la suite dans l'histoire de l'art, de représentations de batailles d'une telle énergie et d'une telle lisibilité.
Il y a des moments où la première phrase des Caractères de La Bruyère vient naturellement à l'esprit : «Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent».


Mise à jour du 1.04.2025 : Lors de la restauration de 2022-2025, les experts mosaïstes du parc de Pompéi ont déclaré que la mosaïque avait été créée pour être observée de haut, puis exposée verticalement en 1916 pour s'adapter au musée, mais qu'elle reprendra sa position de mosaïque au sol quand elle sera exposée à nouveau mi-2025.