vendredi 29 mars 2013

Rebondissements

Tout va trop vite. La météo est si glaciale que l'équinoxe est passé sans se faire remarquer, et le printemps est là, quelque part, incognito. Cependant les évènements, indifférents aux conditions climatiques, continuent de se produire.
Habituellement, lorsqu'un évènement, une péripétie, vient enrichir ou infirmer le contenu d'une chronique passée du blog, un additif est aussitôt apporté, daté, à ladite chronique, sans qu'hélas l'abonné fidèle en soit prévenu autrement que par l'ajout du mot clef « Mise à jour ». (Existe-t-il un moyen de l'alerter ?)

Parfois ces rebondissements se précipitent en giboulée, comme en cette fin de mars.

Les serres d'Auteuil et leur jardin botanique, partiellement classés comme monuments historiques, et que le Maire de Paris cherche à brader au profit de la Fédération Française de Tennis pour agrandir le complexe de Rolland Garros, ont obtenu un sursis.
Le Tribunal Administratif de Paris vient d'annuler la décision de la ville. Le juge a considéré que certains éléments du dossier ont été négligemment dissimulés aux conseillers de la ville, et que le montant de la redevance due par la Fédération en échange de l'occupation du terrain pendant un siècle était curieusement bas.
La convention entre les parties doit être résiliée.

Mise à jour du 10 juin 2015 : après maints rebondissements et péripéties, la Mairesse de la ville de Paris, fortement appuyée par le Premier Ministre du moment et contre l'avis du Conseil de Paris, vient de signer les permis de construire lançant la destruction d'une partie des serres d'Auteuil au profit de la Fédération Française de Tennis et de son projet d'extension du stade de Rolland Garros.

Pendant ce temps aux antipodes, le maire de la ville de Namie, sept kilomètres au nord de la centrale nucléaire de Fukushima, dévastée par le tsunami le 11 mars 2011 puis abandonnée pour des siècles, a demandé que Google Street View envoie une voiture sans chauffeur sillonner la zone irradiée.
Ainsi ses 20 000 administrés déportés peuvent-ils se promener virtuellement dans les lieux où ils ont vécu et qu'ils ne reverront sans doute jamais, comme on feuillette des photos de vacances.

Namie, près de la centrale nucléaire de Fukushima, la banlieue de la ville morte est visitée par les voitures sans chauffeur de Google Street View.

Quant au sort de la jeune femme qui avait graffité (sans dommage) un coin du tableau « la Liberté... » de Delacroix, il devient de plus en plus sombre. Son patronyme commence par la lettre K comme le héros malheureux du roman de Kafka, le Procès.
Internée depuis bientôt deux mois dans l'hôpital psychiatrique de Saint-Venant, elle a la malchance de bénéficier d'une loi du 5 juillet 2011, alors très décriée, qui facilite la prolongation des internements arbitraires de personnes sans leur consentement (version démocratique du goulag).
Tous les recours lui ont été refusés. Aucune visite n'est autorisée, même familiale. Pire, malgré cet internement, le procureur de Béthune cherche à la faire déclarer pénalement responsable, ce qui serait un comble et certainement une victoire pour la Liberté.
Un comité de soutien de cette pauvresse s'est constitué. Il faut lire son point de vue qui se distingue par son calme des hurlements de la meute.

Et puis le score en visiteurs de l'exposition Dalí à Beaubourg est tombé. 790 000.
Il bat Edward Hopper d'une moustache. Hopper avait fait 784 000. Mais le Dalí de 2013 ne bat pas le Dalí de 1979 qui avait fait 840 000. Les contraintes de sécurité à l'époque étaient laxistes prétendent les organisateurs. Monet reste au sommet du podium avec ses 913 000.
Rappelons que ces scores ne reflètent pas la qualité des artistes ni des expositions mais sont la conséquence quasi directe du niveau de dépenses affectées au bourrage de crâne médiatique.

Enfin, qui aura aimé l'étrange tableau de Jacob Vrel (ou Vreel, ou Frell) présenté avec la collection Lugt au printemps 2012 aurait tout intérêt à se rendre à l'hôtel des ventes, 9 rue Drouot à Paris, très précisément le 9 avril entre 11h et 18h, ou le 10 entre 11h et 12h.
Le cabinet Fraysse et associés y expose avant la vente aux enchères de 14h, parmi la succession de Monsieur J.L., une rareté de Vrel, voisine du tableau de la collection Lugt.
Une femme en noir lit au centre d'une pièce vide. Au fond, derrière les carreaux sombres de la fenêtre, on distingue le visage fantomatique d'un enfant qui observe l'intérieur.
Estimé autour de 100 000 euros, c'est peut-être l'unique occasion de le voir, s'il est acheté par un particulier. En France, seul le Palais des beaux-arts de Lille expose un tableau de Jacob Vrel.

Mise à jour du 15 avril 2013 : estimé entre 80 000 et 120 000 euros, il a atteint 2 232 000 euros ! (1 800 000 aux enchères, plus la commission de 20% pour le commissaire-priseur qui avait si bien estimé la valeur du tableau et 4% de taxes diverses).

Détail du tableau de Jacob Vrel aux enchères du 10 avril à Drouot.

vendredi 22 mars 2013

Et le gagnant est...

Dalí, Phosphène de Laporte (détail) 1932
reproduction autorisée (photo. JFP 2013)

Il y a bien longtemps que la visite des grandes expositions médiatisées n'est plus faite de sérénité et de contemplation mais d'énervement et de frustration.

On se rappellera la rétrospective Claude Monet au Grand Palais, fin 2010. La Réunion des musées nationaux avait tout fait pour exploser le record du nombre de visiteurs, jusqu'au marathon des quatre derniers jours où l'exposition était permanente, jours et nuits.
Résultat, 913 000 visiteurs s'y étaient bousculés. Même la longue exposition Toutankhamon en 1967 était battue, relativement à sa durée (1 200 000 en six mois et demi, soit 738 000 en quatre mois).
Fin 2012, le Grand Palais lançait L'exposition Edward Hopper sur le même schéma triomphant. Mais mauvais temps, moindre renommée du peintre, ou martelage promotionnel moins réussi, il ne se trouva que 784 000 amateurs pour braver le froid et la promiscuité.

Grâce à Claude Monet, Le Grand Palais avait détrôné le Centre Pompidou (Beaubourg) titulaire du record (relatif) depuis 1979, avec les 840 000 entrées de la rétrospective Salvador Dalí.
Il fallait réagir. Et l'occasion était trop belle avec l'actuelle et grandiose exposition Dalí, présentée  dans le même musée 33 ans plus tard.
Après quelques semaines, le Centre décidait déjà de faire tous les jours nocturne jusqu'à 23 heures. Et aujourd'hui, la fin approchant, avec déjà plus de 800 000 entrées annoncées, il a déclenché le désormais traditionnel marathon non-stop. Quatre jours sans interruption.
Cela lui permettra probablement de battre son ancien record de 1979, mais pas celui de Claude Monet. Pour cela il faudrait dépasser 25 000 visiteurs par jour, objectif inaccessible, la moyenne actuelle, contrainte par les normes sécuritaires et commerciales, étant de 7 000 sur 12 heures (750 simultanés).
Mais le musée pourrait surprendre en prolongeant l'exposition.

L'alibi de cette compétition est toujours le même « Pour répondre à l’enthousiasme du public ». Cependant, à lire les descriptions horrifiées et les témoignages consternés des malheureux qui se sont trouvés prisonniers de la gestion absurde et inqualifiable des files d'attente du Centre Pompidou, on constate que le bien-être du spectateur et la sécurité des œuvres sont les derniers soucis des musées, loin derrière l'obsession du score.

Jusqu'au jour où...


Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »


mardi 19 mars 2013

Êtes-vous radiosensibles ?

Dampierre, près de chez vous...

Les cerisiers sont en fleurs dans la préfecture de Fukushima. Les reportages également fleurissent (1). C'est le deuxième anniversaire de la catastrophe.

Les papillons quittent leur chrysalide. On note des mutations bizarres, mais il faut vraiment se rapprocher.
Les enfants portent en permanence un dosimètre qui mesure le niveau de radiations accumulées dans l'organisme. Les données sont analysées ailleurs. Ils attendent encore les résultats.
Les médecins conseillent de dormir au milieu de la pièce plutôt que le long des murs, à cause du césium qui descend du toit. Et dehors, de porter un masque respiratoire. Peu le font (2).
L'agriculture régionale tourne au ralenti. L'export des produits vers les autres préfectures est sous surveillance. Alors ils emplissent les supermarchés locaux. On ne peut pas tout surveiller tout le temps. On rejette dans les eaux des ports les poissons dont le taux de césium dépasse 80 becquerels. On vend les moins radioactifs.

La vie semble à peu près normale à Fukushima. Parfois cocasse, quand parait l'équipe municipale de décontamination. Trois fonctionnaires dévoués et incompétents partis pour la dérisoire tentative de décontamination de la montagne, des terres, de la forêt, des champs, des brins d'herbe. Dès qu'il pleut, il faut recommencer.
La terre irradiée est stockée dans des sacs qui finissent sur un terrain vague. L'auteur d'un des reportages s'étonne qu'un pays traditionnellement organisé et efficace comme le Japon en soit rendu là, et ajoute que cela n'arriverait pas en France où les normes de sécurité sont draconiennes.
On le croit aisément. Il suffit de constater comment la région parisienne est désorganisée dès que tombent quelques centimètres de neige.

Avec Fukushima commence une nouvelle ère. Une ère depuis longtemps prédite par les auteurs de science-fiction. Une ère où il faudra se débrouiller pour survivre aux radiations.
Fêtons donc, tous les 11 mars, avec les humbles pionniers de Fukushima, l'ère de la radioactivité.

Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »

*** 
(1) Surtout « Fukushima une population sacrifiée » de David Zavaglia pour LCP, également « Le monde après Fukushima » de Watanabe, et « Fukushima chronique d'un désastre ».

(2) En dépit des dénégations des autorités, la région est contaminée, jusqu'à 100 kilomètres de la centrale. À Tokyo, par endroits, 250 kilomètres plus loin, il arrive que les seuils d'alerte soient atteints. À Fukushima, afin de convaincre qu'il n'y a pas de danger, la municipalité a organisé une grande fête avec Mickey. Où les enfants étaient assis, la radioactivité était de 10 microsieverts par heure (soit 87 millisievert par an).
Avant 2011, la loi japonaise (comme le code de la santé publique en France) interdisait qu'une personne subisse plus d'un millisievert par an (une radiographie équivaut à 0.3), et plus de vingt pour les professionnels exposés.
Après l'accident nucléaire de mars 2011, les autorités ont passé la norme de un à vingt, pour ne pas avoir à évacuer un million d'habitants. Et la nouvelle norme n'est même pas respectée par les tribunaux qui considèrent parfois que l'évacuation n'est pas justifiée en dessous de 100 millisieverts par an.


dimanche 10 mars 2013

La vie des cimetières (48)

Tôt, on nous apprend qu'un jour nous mourrons, mais personne ne nous dit où et quand. On vit alors chaque jour comme le précédent et persuadés que le suivant lui ressemblera. Pourquoi s'empoisonner l'existence quand la vie s'en charge ?

Cependant certains sont mieux informés. André Del Debbio par exemple, né en 1908, enseignant la sculpture, repreneur de l'Académie Julian en 1946, portraitiste de papes et de présidents, s'est dédié une stèle funéraire anticipée dans le courant des années 1990 au cimetière du Montparnasse. Il avait passé 80 ans. Il y a posé un buste de la Joconde, en hommage à son ami Léonard de Vinci, et fait graver dans les informations identitaires le lieu de son propre décès, Paris. La date manque.

Un jour, affaibli et dépendant, il devenait pensionnaire à la Maison nationale des artistes retraités de Nogent-sur-Marne.

Enfin en 2009, à 101 ans, il recevait la médaille d'Officier des Arts et Lettres lors du vernissage d'une rétrospective de ses œuvres. Le film de cette réception mondaine évoque le roman de Marcel Proust, lorsque le narrateur se rend, après de nombreuses années d'absence, à une matinée de la princesse de Guermantes. Il y retrouve tous les personnages qui ont fait la matière de son livre, mais ne les reconnait pas. Ils sont grimés, travestis, caricaturés, comme à un guignol de poupées. Il réalise alors que c'est le temps qui les a défigurés.

Fragile, dans son fauteuil roulant, André Del Debbio déclare au Général qui l'épingle « Cette décoration me donne vraiment une vie de grandeur, autrement on est comme tout le monde. »

Puis il est mort, comme tout le monde, à Nogent-sur-Marne le 2 avril 2010, à 102 ans.
Sa stèle a certainement été corrigée et complétée.

jeudi 28 février 2013

J'écris ton nom...

« Les Pères Pélerins (colons anglais partis en Amérique sur le Mayflower) croyaient à la liberté de pensée, pour eux-mêmes, et pour tous les gens qui pensaient exactement comme eux. »
Will Cuppy, Grandeur et décadence d'un peu tout le monde (Éditions Wombat 2011 p.241)

La Liberté guidant le Peuple sur les barricades est une toile de plus de 8 mètres carrés, allégorique et informe, d'un certain Ferdinand Delacroix, ou Eugène. Dans ce tableau énormément inspiré, Delacroix qui aimait tant la Liberté l'a personnifiée dans une femme dépoitraillée dont le visage de profil évoque une odalisque de harem.
Le musée du Louvre lui accordait si peu d'intérêt touristique qu'il l'avait relégué sur un mur d'une filiale de province fraichement inaugurée à Lens, et à grand bruit.

Par malheur, le 7 février, une jeune femme illuminée prenait à la lettre l'illustre poème incantatoire de Paul Éluard, dans lequel l'auteur cochonne tout ce qui se trouve à sa portée en y gribouillant le mot « Liberté ». Plus modestement elle a écrit dans un petit coin (1) de l'immense tartine, au feutre noir, le mystérieux code AE911.
Savait-elle qu'en France on ne s'en prend pas impunément à la Liberté ? Par bonheur, un visiteur également épris de liberté l'a dénoncée à un gardien de la liberté. Imaginez l'escalade, la surenchère de libertés que tout cela occasionna.
Ça n'est pas parce qu'un tableau est laid, grand, et plein d'endroits qui ne servent à rien, qu'on peut autoriser tout le monde à s'en servir comme pense-bête. Seuls le peintre et les restaurateurs du Louvre ont ce droit. La loi est ainsi faite.

Par chance une experte lilloise libre ce soir-là accourut, somnolente encore, avec chiffons et décapant. Elle fut alors envahie par l'horreur devant le spectacle de la dégradation du chef d'œuvre.
Il faut ici en aparté faire un constat. Aucune image du délit n'est jamais parue dans la presse, qui respecte certainement par-là un code de déontologie. Le public ne supporterait pas ces images insoutenables.
Très vite néanmoins, les réflexes professionnels de l'experte dominaient son émotion. Elle inspectait le lieu du crime et déclarait finalement qu'elle aurait bien nettoyé ça vite fait, mais que la décision ne pouvait être prise que par le conservateur en chef des peintures du Louvre de Paris.
L'affaire est sérieuse.

Le lendemain, le musée est exceptionnellement fermé. Débarqué de Paris, le grand Vincent Pomarède, directeur des peintures, prend à peine le temps de déjeuner, brioches, croissants, tartines beurrées, confiture, et après d'animés conciliabules avec 37 experts locaux et internationaux, prend la responsabilité de risquer l'opération de sauvetage.
Dehors la presse est aux abois. La tension est palpable.

Moins d'une heure plus tard l'experte lilloise sort du musée avec ses chiffons sales. L'épais vernis jaunâtre qui recouvre le symbole de la République l'aura bien protégé. Comme l’annonçait finement la veille le site de la première chaine de télévision française « L'inscription au feutre indélébile... devrait pouvoir être facilement effacée ».
On a quand même eu très peur pour la Liberté.

Pendant ce temps, la Justice avançait à grandes enjambées. Le magistrat de Béthune a trouvé la jeune déséquilibrée tout de même bien fatiguée et incohérente, après seulement 24 heures de privation de liberté. L'expert psychiatre l'a jugée pénalement irresponsable (rappelons qu'il n'y a quasiment pas de préjudice matériel).
Devant le danger cependant, il est décidé de prolonger la garde à vue de 24 heures (2) car un arrêté d'hospitalisation psychiatrique d'office doit être signé le lendemain, samedi 9 février, par le Maire de Lens, ou le Préfet, qui sont en France les gardiens de l'ordre public et certainement experts en matière d'atteinte aux libertés.
Vous étiez prévenues, âmes sensibles, c'est la fête de la liberté !

Mais depuis lors, plus rien. Toute la presse a encensé le sang-froid et la virtuosité des autorités, et immédiatement oublié la jeune folle présumée, certainement enfermée aujourd'hui dans un asile d'aliénés. Personne n'a vu le délit. Personne ne saura le sort de son auteure.
Pauvre jeune femme qui s'en est prise à une valeur vénérée (3) comme les trois couleurs du drapeau. Pauvre jeune femme qui ignorait qu'on pratique en France la loi du talion. Liberté pour liberté.

Un périmètre de sécurité d'un mètre et demi a été mis en place autour du tableau, et un gardien dédié le veille désormais.

Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »

Mise à jour du 14 mars 2014 : la jeune femme vient d'être jugée. Après deux mois d'internement psychiatrique, elle écope aujourd'hui de 8 mois de prison avec sursis, 6000 euros d'indemnisation, une obligation de suivi psychiatrique, une interdiction de retourner dans les musées et l'opprobre général de tous les commentateurs grégaires et stupides qui jugent ce verdict bien clément.

***
(1) Un 563ème de la surface du tableau. La plupart des témoins disent que c'était sur la chemise blanchâtre du cadavre en bas à gauche, mais certains prétendent que c'était aux pieds du garçon qui inspira à Victor Hugo son Gavroche.
(2) C'est autorisé par la loi si la peine encourue dépasse un an de prison.
(3) On se souviendra peut-être de l'épisode très similaire de la tasse volante en 2008 au Louvre.


Pauvre nature humaine qui se croit libre parce qu'elle ignore les causes qui la déterminent, disait Baruch Spinoza.


jeudi 21 février 2013

Rien de neuf à Briare


Depuis des mois grondait la rumeur « Vous nous entretenez régulièrement des plus grandes choses de l'Univers, et vous nous laissez depuis un lustre sans la moindre nouvelle du pont-canal de Briare, ce chef d'œuvre de l'ingéniosité française, ce pied de nez aux errances de la nature. »

Pour les plus jeunes lecteurs rappelons que le pont-canal de Briare est un édifice en acier doux (1) peint en vert, par le moyen duquel le canal latéral (jusqu'ici) à la Loire franchit perpendiculairement ce fleuve digne et majestueux sans avoir à se mouiller.

Alors soyons précis. Il ne s'est rien passé de particulièrement visible à Briare, comme on le voit clairement sur ces clichés récents. Seul fait notable, les deux maisons d'éclusiers ont été affectées au commerce de spécialités chocolatières et de jouets en bois. C'est dire.

(1) Dont l'alliage comprend très peu de carbone.

vendredi 15 février 2013

L'Apocalypse ouralienne

La Russie est grande, la Russie est vaste et généreuse. Après la météorite de la Toungouska en 1908, elle était préparée pour recevoir l'astéroïde 2012-DA14 (voir notre prévision d'apocalypse dans la précédente chronique).

Et la fin du monde est arrivée au jour annoncé, ce matin 15 février 2013, à Tcheliabinsk en Russie. Moins destructrice que prévu, c'est entendu, mais avec toutes les images et les sons authentiques.
Ce n'était pas 2012-DA14, qui a dédaigné la Terre, mais c'était tout de même un météore de belles dimensions, qui s'est émietté dans un flamboiement cinématographique en déchirant l’atmosphère.

L'histoire commence dans un plan-séquence à rendre incolore de jalousie les Spielberg et autres cinéastes méticuleux, tant il est parfait. Un mouvement de caméra gracieux et inexorable, minuté au millimètre, avec le sujet toujours exactement centré.
Il fallait être sur le bon échangeur de l'autoroute à la sortie de Yekaterinbourg et quitter, d'une élégante queue de poisson, la route orientale de Tioumen pour se diriger au sud vers Tcheliabinsk, au moment exact où la fin du Monde se précipitait de l'horizon est, pour finir, après 15 secondes, par se désagréger prématurément à 25 kilomètres d'altitude.

Un peu plus d'une minute plus tard, en dessous, à Tcheliabinsk, l'onde de choc soufflait des milliers de vitres et des pans de murs en ruines. Les débris projetés ont blessé 500 à 1000 personnes.

Pendant plusieurs mois, nombre de chercheurs d'aérolites (et quelques chercheurs de débris de vaisseau extraterrestre) braveront la boue et le froid ouraliens et hanteront cette région marécageuse qui aura eu la chance d'accueillir la fin du Monde et le loisir d'en réparer les dommages.

Mise à jour du 17.02.2013 : la Russie explose depuis 2 jours sur Internet. Personnellement visée par cette médiocre fin du Monde, elle en profite pour se parodier avec esprit, comme sur ces fascinantes photos de Tcheliabinsk avant et après la « pluie de météorites ».












Par ailleurs les savants on fourni quelques précisions sur l'évènement. La météorite mesurait 15 à 20 mètres de diamètre, pesait 10 000 tonnes, et a explosé à une altitude de 20 à 30 kilomètres à la vitesse de 20 kilomètres par seconde, avec une puissance de 30 fois Hiroshima.
Pour mémoire, l'Hiroshima est une unité de mesure polyvalente très pratique qui correspond à 15 000 tonnes de TNT, mais aussi à 100 000 innocents civils pulvérisés.  

Aperçu en basse qualité de la vidéo


dimanche 10 février 2013

L'apocalypse de vendredi prochain

À prédire sans arrêt, à la moindre contrariété pécuniaire de la Presse, les plus abracadabrantes fins du Monde, on finit par oublier qu'avant l'évaporation définitive de l'Univers, avant même l'explosion dévastatrice du Soleil, avant le décrochement de la Lune de son orbite, avant toutes ces calamités variées, l'Homme finira certainement écrasé par un astéroïde.
Les plus doctes savants l'admettent avec modestie ; si l'Homme ne réussit pas dans les décennies proches à se faire cuire dans sa propre marmite au moyen d'émanations de dioxyde de carbone, de césium, ou de toute autre inavouable molécule en -ium, il sera anéanti par un gros caillou distrait venu de l'espace.
Car la chose arrive relativement fréquemment.

D'indécrottables optimistes vous diront que les objets d'une taille susceptible de détruire la planète sont rares, tous les 50 millions d'années, voire plus. Les statistiques ne trompent pas. Ou rarement.
Ils ajouteront que le dernier caillou de cette taille, qui a éliminé les dinosaures et une grande part des espèces animales, a été plutôt salutaire puisqu'il a laissé ainsi le champ libre à quelques petits mammifères qui ont survécu, profité, et sont devenus de beaux animaux grands et nobles avec costume, cravate, téléphone sans fil et le pouce préhenseur.
C'était il y a 65 millions d'années, et c'était un très gros caillou de plusieurs kilomètres sans doute.

Les autres météorites sont moins grosses mais plus fréquentes. Celle du
Meteor Crater, il y a 50 000 ans, ne mesurait que 50 mètres. Le choc a détruit une zone d'une cinquantaine de kilomètres. Celle de la Toungouska, le 30 juin 1908, du même ordre de grandeur, anéantissait près de 100 kilomètres de forêt, en Sibérie. On ne sait rien de plus. Tout s'est volatilisé.

Et puis il y a Apophis (ou 2004-MN4), astéroïde de fer de 300 mètres, qui joue avec le feu. Le 30 avril 2029 il frôlera la terre, à 30 000 kilomètres dit-on, dix fois plus près que la Lune, et plus près même que les satellites géostationnaires. S'il nous rate, il repassera certainement en 2036, mais les spécialistes ne sont pas bien convaincus de sa trajectoire, elle peut encore être légèrement détournée en cours de route.
Ils sont cependant rassurants. En cas d'impact, le choc ne pulvériserait qu'une région, même pas un pays (sauf s'il est petit, bien sûr, ces apocalypses ambulantes déploient tout de même une puissance de l'ordre de 1000 à 50 000 bombes d'Hiroshima, c'est à dire potentiellement 100 millions de morts pour la plus petite).
Restent les aléas de la chute, les impondérables. Deux chances sur dix de tomber sur une zone inhabitée, les autres ne constituant pas vraiment des chances ; sept sur dix de générer un gigantesque tsunami en tombant dans l'eau, une sur dix d'annihiler directement les habitants malchanceux.
Notez bien Apophis dans vos agendas électroniques, pour ne pas vous trouver surpris par une fin du monde inopportune.

Enfin il y a
2012-DA14, un petit rocher de 50 mètres de diamètre. On a fait sa connaissance le 23 février 2012 quand il passait à quelques millions de kilomètres. Il s'est enhardi depuis et revient vendredi prochain 15 février à seulement 27 000 kilomètres. En Asie on le verra alors avec des jumelles.
Il faut espérer que l'estimation de sa trajectoire est à peu près juste, ou le baptiser d'un nom plus poétique, pour faire des gros titres séduisants en cas de funérailles nationales.


Matin calme en Toscane, juillet 2010

dimanche 3 février 2013

Luxoro (Tammar)


Dans huit jours, à peu près, sera fêté absolument nulle part le 187 ou 188ème anniversaire de la naissance de Tammar Luxoro, peintre mondialement inconnu qui prêcha la peinture en plein air avec un succès discret dans sa région, la Ligurie, durant le troisième quart du 19ème siècle.
Il eut également quelque responsabilité d'inspecteur royal des fouilles et des monuments, à Gênes, au dernier quart du même siècle.
Depuis on trouve certains de ses paisibles paysages panoramiques à la Galerie d'art moderne et à l'Académie ligure des beaux-arts, à Gênes.
C'est tout.

Illustrations : Luxoro, Il golfo della Spezia dal lato sud est, vers 1874, 
La Spezia collection privée.

dimanche 27 janvier 2013

Le monde leur appartient

Le domaine Public est l'ensemble des biens matériels et immatériels mis à la disposition du public ou d'un service public, et qui ne peuvent pas faire l'objet d'une appropriation privée. Ils appartiennent à la collectivité (et pas à l'État).
L'objectif de tout pouvoir politique est d'utiliser les biens publics (du Domaine ou non) pour en tirer des avantages personnels, électoraux ou matériels. L'affirmation est démagogique, mais les exemples sont quotidiens.

Aujourd'hui, c'est la Bibliothèque Nationale de France.
Comment profiter d'une révolution technologique pour faire passer le domaine public dans des mains privées ? Fastoche. Au lieu d'utiliser l'impôt pour numériser méthodiquement les livres et enregistrements du domaine public et les mettre ainsi à la disposition de tous, on paie (au rabais) des entreprises pour le faire, qui se rémunèreront alors avec un droit exclusif de commercialisation des œuvres numérisées (en définitive cette solution serait plus couteuse).
La BNF vient de le faire pour 70 000 livres et 200 000 enregistrements. On dit que la période n'est que de dix ans après laquelle les œuvres seront libres d'accès. Mais tous savent que c'est faux. On prolongera l'exclusivité pour financer la maintenance et le renouvellement des équipements. Ça se fait d'ordinaire. Et dans dix ans tout aura tellement changé, les responsables de cette braderie seront oubliés.

Le monde du livre s'en émeut fort sur Internet.

Cependant tout l'avenir n'est pas noir. Ainsi vous ne verrez peut-être bientôt plus aucune interdiction d'enregistrer images et sons dans les lieux publics comme privés, y compris d'œuvres qui ne sont pas dans le domaine public. Cette liberté devient concevable grâce à des brevets déposés en 2008 par Apple et Microsoft, dont ont sait qu'ils cherchent avant tout le bien de l'Humanité. Ces brevets prévoient d'intégrer dans nos appareils électroniques des dispositifs bloquant automatiquement les fonctions indésirables. Par exemple, des bornes savamment disposées dans une salle de concert ou un musée rendraient inactives les fonctions d'enregistrement d'images et de sons.

Mais pourrons-nous réellement profiter de tous ces progrès dans nos loisirs ? Les politiques d'austérité qui glacent actuellement l'Europe du sud paralyseront bientôt le continent entier.
Pourtant d'éminents économistes du Fonds Monétaire International viennent de reconnaitre une énorme faute de calcul. C'est pour un bête paramètre multiplicateur mal estimé qu'on enterre par erreur l'Europe dans une récession sans issue.
En fait, erreur ou justesse du calcul, tous les décideurs en économie étaient déjà persuadés, pour des raisons dogmatiques, des bienfaits du sacrifice. Et comme tous les politiciens impliqués dans cette plaisanterie funèbre sont encore au pouvoir, nationaux comme européens, ils ne reconnaitront leur méprise que lorsque la misère et le chômage viendront sous leurs fenêtres menacer leurs privilèges.

On voit comme les puissants concourent en chœur à notre bonheur futur. Il serait peut-être temps de faire quelque chose pour les remercier.



mercredi 23 janvier 2013

Histoire sans paroles (4)

Briare, décembre 2012


« Perronnet, de Nancy, l'a échappé belle. Il rentrait. Sautant par la fenêtre, son père, Arsène, vint s'abîmer à ses pieds. »
Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, 735ème sur 1210.


mercredi 16 janvier 2013

Le véritable peintre de Lascaux


La scène du Puits (Lascaux version 3.2). Elle a fait l'objet de centaines d'interprétations très autorisées, qui en disent certainement plus sur les fantasmes des commentateurs que sur les intentions du peintre.


Ne rêve pas, lecteur crédule, à la vue de ce titre racoleur. Car Ce Glob est Plat, malgré des moyens d'investigation modernes et un évident désir de savoir, n'a pas découvert l'identité du créateur des peintures qui tapissent les parois de la grotte de Lascaux, à Montignac en Dordogne. Mort depuis au moins 17 000 ans, les archives municipales font défaut.
Mais Ce Glob est Plat révèlera un secret plus grand encore, sciemment enseveli par les exploitants régionaux actuels, le nom du véritable inventeur de Lascaux 3. Pas le Lascaux zéro (1), celui que les bactéries lessivent imperturbablement, mais le Lascaux quasiment éternel, celui qu'on pourra cloner à l'infini, et dont voici l'histoire.

Le visiteur de « Lascaux l'exposition internationale » qui se tenait à Bordeaux fin 2012 sur les quais de la Garonne aura été surpris d'apprendre, de la bouche d'un guide arrogant, qu'il se tenait alors dans Lascaux 3, fruit d'une technologie ultramoderne et jamais exposé au public. Surpris parce que ce visiteur avait pu admirer les mêmes panneaux mobiles de la Nef et du Puits, aussi finement réalisés, sous le nom de Lascaux 3 également, quatre ans auparavant dans l'exposition « Lascaux révélé », à Montignac. Il y aurait plusieurs Lascaux 3 ?

L'histoire commence en 1981 quand Renaud Sanson, machiniste et décorateur de théâtre collabore à la finalisation de la première reproduction officielle et partielle de la grotte, Lascaux 2. Avec le support bienveillant de Jacques Marsal, un des découvreurs de Lascaux en 1940, il décide de réaliser une copie de la caverne.
De tribulations en péripéties et grâce à quelques commandes, il crée un atelier de reproduction (ZK productions, Atelier du facsimilé pariétal), forme une équipe et perfectionne une technique unique de facsimilés en voiles de pierre (relevés au laser 3D, modelage de coques, projection stéréophotographique).

Vingt ans après, Sanson a convaincu. En 2003, Le Conseil général de la Dordogne lui commande Lascaux 3, copie itinérante des panneaux de la Nef (la Vache noire, les Cerfs nageant, les Bisons croisés) et du Puits (l'homme-oiseau et le bison blessés).
En mai 2005, l'Atelier du facsimilé pariétal est ouvert au public accompagné d'un grand bruit médiatique ; le badaud peut y suivre en détails les étapes du copiage. Dans la presse on promet Lascaux 3 à Paris avant fin 2007, puis à Tokyo.
Mais Sanson est un passionné, un méticuleux, peut-être pas un gestionnaire. ZK productions ne respecte pas ses engagements. Le Conseil général s'impatiente. La liquidation judiciaire est prononcée le 5 juin 2008.
Société d'économie mixte du Conseil général, la Semitour rachète l'atelier qui devient Atelier des facsimilés du Périgord (AFSP).
En juillet 2008, sous le nom de « Lascaux révélé » (ou Lascaux 3) une exposition semblable à celle de 2005, mais plus étoffée et mise en scène avec des films projetés sur les parois moulées, est inaugurée dans l’atelier de Montignac. Sanson en est encore le concepteur, l'orchestrateur et le porte-parole. C'est un succès.

Mais dès février 2009, remplacé par le directeur de la Semitour, Sanson ne dirige plus. L'atelier doit être libéré pour produire à la chaine du Lascaux 3, itinérant et international, du Lascaux rentable. L'exposition est démantelée pour être installée au musée du Thot à Thonac près de Montignac où croupissaient déjà des copies de l'époque de Lascaux 2. Cinq mois plus tard y est lancé « Toute la grotte de Lascaux », billet groupé pour visiter Lascaux 2 et 3, qui aura peu de succès.

Et le Conseil général se commande (à lui-même) un nouveau Lascaux 3 (disons Lascaux 3.2). pour cela l'AFSP utilisera désormais les données de la base documentaire constituée par Sanson, les moules des parois faits sous sa direction et les artisans qu'il a instruits, mais on ne le verra plus jamais. On fait parler à sa place un plasticien insipide et ennuyeux, disciple ingrat qui ne le citera jamais. Les vainqueurs commencent à réécrire l'Histoire. Renaud Sanson n'a pas existé.

Puis il sera licencié en mars 2010. La suite, sans fin, sera judiciaire.

Lascaux l'exposition internationale (ou Lascaux 3.2) ouvrira en octobre 2012. On y trouvera, en plus pédagogique, le contenu de l'exposition de 2008 et des guides prétentieux qui embrouillent à plaisir le touriste naïf en prétendant qu'il n'y a pas d'autre Lascaux 3. On raconte pourtant qu'il y aurait même une troisième copie de la vache noire, une vache 3.3, promise par contrat à un musée espagnol, et que la Justice recherche encore mais que personne n'a retrouvée jusqu'à présent.
Lascaux 3.2 passera six mois en 2013 au Field museum de Chicago, et à Montréal en 2014...

Et si Lascaux 4, le Centre d'art pariétal de Montignac, parvient jamais à voir le jour, il ne sera, comme le Lascaux du parc du Thot, qu'un assemblage de morceaux des versions du Lascaux de Sanson (2).

Dans un film de 53 minutes (3) déposé anonymement sur Internet en hommage à Renaud Sanson, le même plasticien usurpateur et inexpressif, ancien élève, affirme (à 43'50") que Lascaux a été peint par des êtres supérieurs qui accomplissaient sans savoir qu'ils accomplissaient (sic) ! Il veut peut-être parler de Renaud Sanson et de Lascaux 3.
Hâtez-vous de le regarder, car les vainqueurs officiels le feront bientôt disparaitre d'Internet sous prétexte du droit d'auteur (ils essaient actuellement d'obtenir de l'État tous les droits sur les œuvres pariétales de Cro-magnon et sa famille !).
Et vous pourrez alors raconter à vos petits-enfants la véritable histoire du peintre de Lascaux 3. 

Mise à jour du 8.09.2020 : Les études archéologiques datent aujourd'hui les peintures de 21 000 à 21 500 ans avant le présent.
 
***
(1) Le lecteur déjà égaré par les numéros de version de Lascaux aura avantage à réviser ce récapitulatif de 2010. 
(2) Le Conseil scientifique de la grotte de Lascaux vient d'autoriser Lascaux 4 à refaire des relevés 3D et photographiques de la grotte (9ème réunion de juin 2012). Les données de Sanson étaient peut-être incomplètes.
(3) Lascaux 3 l'exposition internationale la genèse.

jeudi 10 janvier 2013

La vie des cimetières (47)


Dès que l'Homo Sapiens a commencé à « savoir », il s'est mis à décorer tout ce qui bougeait, et tout ce qui restait immobile. Et les coquillages furent parmi les premiers objets utilisés comme parure ou comme décoration.

À Malaga, en Andalousie, tout près de la mer, le visiteur du cimetière anglican de la paroisse de Saint George découvre en se promenant parmi les mille tombes un petit enclos solennel ceint de hauts murs, cimetière dans le cimetière, peuplé de cinquante sarcophages de briques rouges, pour la plupart anonymes. C'est le premier cimetière protestant fondé en 1831.

Chaque cercueil est surmonté d'une forme oblongue de pierres ou de ciment, tapissée de coquilles de coques géantes (1), laissant l'impression étrange que les corps des défunts ont été posés directement sur les sarcophages et abandonnés là.
Le temps et les grandes marées, ou quelque mystérieux rituel, les ont alors recouverts de centaines d'énormes mollusques qui les ont lentement momifiés.

(1) Cardium ou Cerastoderma, Bucarde, Coque des genêts, Hénon, Rigadelle, Fausse Praire, Ameijoa, Clica, Perdigone, Croque, et ainsi de suite...

dimanche 30 décembre 2012

De la nature (billet d'humeur)

Tandis que, partout sur la planète, les habitants se remettent contrariés de ces fêtes annuelles de l'enfance et du commerce qui débutèrent par une fin du monde décevante, le sage profite de ce sursis, s'arrête sur une aire d'autoroute, commande une saucisse avec des frites, se tourne vers l'horizon et contemple le flux inexorable du cosmos.
Et le spectacle qu'il découvre n'est pas rassurant, car, disons-le sans détour au mépris d'avoir à subir un jour ses représailles, la nature pratique une véritable gabegie.

Il y a en premier lieu cette débauche d'énergie. Le soleil émet parait-il 400 mille milliards de milliards de kilowatts par seconde dont la Terre récupère tout de même un demi-milliardième. Et il y a des milliards de milliards de soleils.
Et des sous-commissions parfaitement officielles de ministères importants demandent au bourgeois moyen de baisser son chauffage domestique d'un degré centigrade et d'éteindre la lumières des toilettes après usage. Mais de qui se moque-t-on ?
Est-ce la faute du citoyen honnête si toute ces fusions nucléaires, ces forces physicochimiques dépensées depuis des millions de millénaires se soldent par un résultat dérisoire, quelques animalcules qui se disputent les dernières miettes d'une planète moribonde ?

Et le gaspillage de place, cet espace inutile, mal desservi et ruineux en transports, entre les planètes, les étoiles, les galaxies. Tout ce vide est indécent à qui connait le prix du mètre carré immobilier, notamment en région parisienne.
Et puis l'eau, ces océans d'eau qui envahissent les mers, les lacs, les fleuves, jusqu'au ciel. Sans parler de toutes les espèces d'animaux contrefaits comme le poisson blob, le chat sphynx, le Yorkshire, pauvres rebuts des expériences inavouables de la nature.

Enfin il y a tout ce temps perdu, ces redites, extinctions et recommencements. Trois ou quatre milliards d'années d'impasses et de ratés pour voir la bactérie originelle se transmuer en un mollusque qui contemple sa télévision. Que de temps aurait-on épargné si le projet avait été confié à quelqu'un de moins dépensier, de moins brouillon, avec un calendrier et un cahier des charges détaillés.

Mais la nature, c'est vraiment n'importe quoi !
La prochaine fois, n'oubliez pas de voter contre.

On constatera sans doute sur cette illustration que la nature ne sait pas clairement où elle va.


vendredi 21 décembre 2012

La petite apocalypse

Aujourd'hui 21 décembre 2012, le soleil marquera le solstice d'hiver à 12h11'37", heure de Paris, et, comme tous les autres jours de l'année, 140 à 150 000 êtres humains vivront leur propre fin du Monde.

Mais les textes sacrés affirment qu'ils reviendront un jour, comme cette armée de zombis hallucinés découverte dans les sables d'une plage des Hébrides, au nord de l'Écosse en 1831. Près d'une centaine de pièces de jeux d'échecs enfouies depuis sept siècles et maintenant exposées sur des supports de plexiglas au British Museum de Londres et au musée national d'Écosse à Édimbourg.

Réjouissons-nous !


Lewis Chessmen (© The Trustees of the British Museum)


dimanche 16 décembre 2012

Nuages (30)

Castello Aragonese à Ischia Ponte, Italie

Monsieur Chalon, qui fréquente assidument aréopages et académies de météorologie, et qui s'y connait absolument en nuages, en a pesé certains. Et il ne fait pas que les peser, il les scrute et explique leur comportement social et atmosphérique dans un livre édité en 2002 et toujours disponible « Combien pèse un nuage (ou pourquoi les nuages ne tombent pas) ? EDP Sciences ».

Il soutient qu'un cumulonimbus d'un beau gabarit pèse plusieurs centaines de millions de tonnes, soit plusieurs dizaines de milliers de tours Eiffel, ou quelques dizaines de millions d'autobus adultes. C'est parce que leur volume est immense, ajoute-t-il.
Et tout cela au-dessus de nos têtes, dans un paysage idéal...

mardi 4 décembre 2012

Le fétiche

Le 18 avril 1955 à l'hôpital de Princeton (New Jersey), le docteur Thomas Stoltz Harvey autopsie Albert Einstein. Il pèse soigneusement le cerveau qu'il a extrait sans l'autorisation de l’intéressé, le photographie avec précision en noir et blanc puis le range en gros morceaux dans des bocaux à cornichons. Il referme discrètement tout ce qu'il a ouvert et s'offre une petite distraction en prélevant également les yeux qu'il confiera à l'oculiste du défunt.

Après quelque temps, Harvey obtient l'autorisation du fils d'Einstein et peut conserver le viscère paternel à condition de publier une étude scientifique sérieuse sur l'objet.
En 1960, il n'a toujours rien publié et refuse de restituer l'organe. Il est alors licencié de l'hôpital et commence une vie d'errance à travers l'Amérique, avec ses bocaux de formol.

À Philadelphie (Pennsylvanie) Harvey fait découper le cerveau en 240 portions (170 selon certaines sources) de 10 centimètres cubes qui sont numérotées selon l'atlas de Von Economo, et qu'il distribuera épisodiquement, parcimonieusement, gratuitement et en tranches fines, à quelques spécialistes jusqu'en 1996. Harvey pensera toujours être ainsi détenteur de la clef d'une découverte scientifique majeure.

Puis il est quasiment oublié pendant 35 ans.

Au printemps 1994, Kenji Sugimoto, professeur d'histoire des sciences à Nara, au Japon, et obsédé par le cerveau d'Einstein, est filmé par le documentariste Kevin Hull dans une odyssée à travers les États-Unis, en quête du docteur Harvey et de son trésor. Il le déniche inespérément à Lawrence, au Kansas, où il est alors employé sur une chaine de fabrication de pièces de plastique, après avoir perdu le droit d'exercer la médecine en 1988.
Le film est envoutant comme un reportage de Werner Herzog ou un épisode du magazine Strip-tease. Il y a sur Internet une version originale anglaise sous-titrée en suédois et de mauvaise qualité.
Vers la fin du film, Harvey prend un morceau flottant dans le plus petit de trois bocaux qu'il vient d'apporter, et en découpe une tranche comme on le ferait d'un saucisson à l'ail. Sugimoto comblé et rayonnant l'emporte au Japon « Je suis né à Nagasaki deux ans après la bombe. On dit Einstein responsable de la bombe, mais je ne lui reproche pas. J'aime toujours Albert Einstein. »

En 1997, Michael Paterniti, journaliste, réalisera un reportage sur l'homme qui a volé le cerveau d'Einstein (son livre paraitra sous le titre « Driving Mister Albert »). En Buick, il conduira Harvey (et un récipient Tupperware) de Princeton à Berkeley (Californie), pour apporter les restes sacrés à la petite-fille d'Einstein. Elle les refusera. Ils seront alors remis au remplaçant d'Harvey à l'hôpital de Princeton.

Thomas Stoltz Harvey mourra le 5 avril 2007, à 95 ans.
On trouvera ici en français, et là en anglais deux récits plus détaillés des mésaventures du cerveau d'Einstein.


Nul besoin d'être neurochirurgien pour reconnaitre la perfection de l'architecture du cerveau d'Einstein photographié ici le 18 avril 1955. On notera la ressemblance avec le chou-fleur Romanesco, ce qui ne surprendra personne. 
En surimpression, un des derniers quartiers restant du découpage de l'auguste organe par le docteur Harvey. On peut y lire probablement les traces des dernières préoccupations du savant.


En fin de compte, le cerveau d'Einstein était-il particulier ? Quelques découvertes ont été faites, prétendent certains ; un lobe pariétal gauche un peu surdéveloppé, des cellules gliales hors norme par endroits, une absence de démarcation entre deux zones fonctionnelles habituellement séparées... On se disputera longtemps encore sur le sujet.
Le cerveau de l'écrivain Tourgueniev pesait 2000 grammes, celui d'Anatole France 1500 et celui d’Einstein 1250. C'est peu. Mais sa particularité aura été, au moins, d'avoir dirigé la vie d'un des plus importants savants de l'histoire de l'Humanité.
Et l'Humanité vénère ses savants et leur rend dignement hommage. Ainsi, une application destinée aux tablettes numériques intitulée « Atlas du cerveau d'Einstein » propose pour 8,99 euros d'admirer comme dans un kaléidoscope 348 fines tranches du célèbre encéphale. Le tout, proprement ordonné et assisté d'un puissant zoom, prête à la chose un aspect éminemment scientifique.

C'est peut-être là la découverte que Thomas Harvey aura cherchée toute sa vie, en vain. Réussir à exploiter, même après qu'il a cessé de fonctionner, le cerveau d'un savant de renommée mondiale.


mardi 27 novembre 2012

Peut-on vivre sans cerveau ?

Délicate question médicale. Le très savant Albert Einstein l'affirmait. D'après lui l'Homme est capable d'exécuter sans cerveau quelques fonctions de base, comme marcher en rangs et au pas cadencé au son d'une musique militaire, avec comme seule ressource sa moelle épinière. Il faut reconnaitre que la médecine n'était pas sa spécialité, mais il a tout de même mis au point les fondements théoriques de la bombe atomique et de plein d'autres petites choses utiles.

Par ailleurs on a bien découvert des braves gens qui vivaient normalement et apparemment sans cerveau, comme en 2007 ce fonctionnaire dont l'organe était tartiné en une fine couche sur la paroi interne de sa boite crânienne presque vide.

Ces histoires sont palpitantes. C'est pourquoi il faut écouter Denis Le Bihan, directeur de NeuroSpin CEA Saclay, qui a inventé des procédés révolutionnaires d'observation des fonctions du cerveau (résonance magnétique à très haut champ).
C'est un peu le docteur Mabuse et son hypnose télépathique. Mais Le Bihan, lui, ne songe pas à détruire l'humanité. Il devise modestement sur l'exploration de la conscience humaine, dans une récente émission médicale de la radio France Culture, comme dans une salon de thé.

Il y parle de la découverte de la localisation matérielle de la parole dans le cerveau par Paul Broca, en 1861. Et on frémit un peu quand il dit avoir vu l'excitation des molécules dans les zones du plaisir, ou constaté une plus grande densité de matière blanche chez les musiciens à la mesure des quantités d'heures de pratique.
On tremble aussi lorsqu'il précise qu'une électrode posée sur le cerveau et déplacée par erreur d'à peine deux millimètres peut entrainer le patient dans une insoutenable envie de suicide, ou quand il affirme avoir reconnu la traduction de formes simples et de lettres de l'alphabet dans l'observation directe du cortex visuel primaire. Le rêve du docteur Mabuse.

Par bonheur, quelques anecdotes récréatives ponctuent ce pataugeage dans la conscience, comme lorsqu'il évoque, succinctement, la destinée rocambolesque du cerveau d'Albert Einstein en personne. Mais cette histoire méritait d'être un peu plus détaillée. Elle le sera dans la prochaine chronique de Ce Glob est Plat.
Cette admirable sculpture antique démontre que la beauté peut aisément se passer de cervelle.
Buste d'Aphrodite, époque d'Hadrien, copie d'un original grec du 4ème siècle avant notre ère, découvert dans l'amphithéâtre antique de Capoue où il décorait le porche d'accès aux gradins supérieurs (Naples, musée national d'archéologie, inv.6019).

samedi 17 novembre 2012

Edward Hopper ou l'ennui

Edward Hopper, The lonely house (gravure 1922)


« L'ennui opère des prodiges : il convertit la vacuité en substance. » 
Cioran, Syllogismes de l'amertume

On pensait jusqu'à présent que le public ne se déplaçait en nombre que pour les évènements optimistes, ceux qui exaltent l'harmonie de la nature, la grandeur de l'Homme et de ses réalisations, d'où le triomphe des expositions autour des peintres impressionnistes ou des joyaux des pharaons.
Il faudra admettre, à la vue des files interminables (jusqu'à 5 heures d'attente) qui piétinent à la porte de la rétrospective consacrée au peintre Edward Hopper au Grand Palais de Paris, que la règle n'est pas aussi élémentaire.

Car Hopper n'était pas un peintre particulièrement jovial. Il décrivait sur de grandes toiles aux couleurs à la fois fades et acides, une réalité américaine généralement urbaine dont il négligeait les objets inutiles pour ne conserver que les plus emblématiques. Et au milieu de ces décors dépouillés à en devenir géométriques, il déposait quelques personnages qui ne font rien, rien qu'attendre l'instant suivant, qui sera identique au précédent.
Hopper est un peintre de l'ennui. Pas l'ennui métaphysique, pas un ennui existentiel noble et mélancolique, mais un mal-être vague et insipide devant la banalité de la vie quotidienne.

Tout cela n'est pas vraiment vendeur. C'est pourquoi la campagne promotionnelle du commissaire de l'exposition, pour qui le mot « réalisme » doit faire un peu minable, lui a joint l'adjectif « paradoxal ». Il faut toujours fabriquer du mystère, le réel ne suffit pas.
Et il ne s'arrête pas au réalisme paradoxal, mais évoque, dans l'ombre du peintre, des écoles prestigieuses en « -isme », surréalisme, cubisme, symbolisme, romantisme... Et pourquoi pas cyclotourisme ?

Finalement l'engouement vient peut-être simplement du fait qu'Edward Hopper est un peintre inconnu, mais dont on a vu mille fois les œuvres reproduites jusqu'à la nausée sur la couverture des romans policiers dans les gares.
Alors comme l'internet est avare en bonnes reproductions, il est conseillé de réserver une place à la première heure de l'exposition (pour ne pas être confronté au douloureux réel qu'est la profusion des autres visiteurs) et de constater par soi-même que ses tableaux n'ont besoin que d'être là. Leur présence est celle de la réalité. Et la réalité est amère, frivole, incohérente. C'est Alexandre Vialatte qui l'a dit.

samedi 10 novembre 2012

L'exception

Un témoin inconscient ayant bravé l'absence d'intérêt de l'exposition Bohèmes au Grand Palais de Paris en rapporte une information incroyable. La plupart des œuvres exposées peuvent être photographiées par le quidam. Le phénomène est rarissime.
Ultime raffinement, les œuvres qu'il est interdit de photographier car soumises à droits d'auteur (1) sont flanquées d'un petit pictogramme noir en bas de la notice qui les accompagne. Il figure un appareil photo barré.

Ainsi, peut-être une des premières fois en France, ce que réclament les défenseurs du domaine public est respecté par un établissement public. Même si ce n'est qu'une éphémère étincelle d'intégrité, et si on ne mesure pas totalement le niveau d'une civilisation à ce genre de détail, le fait mérite d'être cité.

Bien sûr, la mise en place d'un dispositif aussi complexe (ne pas interdire de photographier) est nécessairement chaotique et des erreurs sont commises. Car pour simplifier le casse-tête et éviter de se renseigner sur les droits des tableaux prêtés par des villes étrangères, le musée semble les avoir tous interdits, par défaut.
Ce qui aboutit à des situations déraisonnables ; ainsi le célèbre tableau de Georges De La Tour « La diseuse de bonne aventure » ne peut pas être photographié aujourd'hui à Paris alors qu'il peut être mitraillé sans retenue à New York, au Metropolitan Museum qui l'héberge habituellement. C'est stupide.

(1) On ne rappellera pas ici l'illégalité et l'abus de pouvoir que constitue l'interdiction de photographier même des œuvres encore soumises à des droits d'auteur (c'est la reproduction hors d'un cadre privé qui est interdite par la loi), on en a longuement parlé ici et


Georges De La Tour, La diseuse de bonne aventure, vers 1630
Détail photographié à l'exposition Bohèmes au Grand Palais
au Metropolitan Museum de New York (© 2011 JFP)