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jeudi 27 février 2025

Histoire sans paroles (55)


Dans La connerie, un moteur de l'histoire, extrait du recueil Histoire universelle de la connerie, JF Dortier écrit :

"À Beauvais, l’évêque décide de construire la plus haute tour de toute la chrétienté : "Nous construirons une flèche si haute, qu’une fois terminée, ceux qui la verront penseront que nous étions fous." [en réalité cette citation, répétée par tant de sites qui parlent de Beauvais, est apocryphe. Elle n'existe dans aucune source d'époque et fleure bon la sensiblerie romantique] Terminée en 1569, la flèche de la cathédrale atteignait 153 mètres de haut. Elle n’est restée debout que quatre ans. Le jour de l’Ascension [1573], à la sortie de la messe, on entend un grondement : en quelques secondes, la flèche et le clocher [qu'elle surmontait] s’effondrent. Elle ne fut jamais reconstruite."

Pour mémoire, la voute du chœur de ladite cathédrale, terminée en 1272, encore aujourd'hui la plus haute parmi les cathédrales gothiques, à 48,5 mètres, s'était en partie effondrée en 1284 (voir quelques images de l'intérieur de l'infirme après 750 ans. Âmes sensibles s'abstenir).

Mise à jour le 18.05.2025 : de gros travaux initialisés en 2022 aboutiront, dit-on, à la suppression totale des énormes poutres de soutènement vers 2027.

lundi 3 février 2025

Ce monde est disparu (17)

Pinel de Grandchamp, Orientale au chasse-mouche, huile sur toile 92x74cm. 
(52 000€ hors frais le 22.01.2025 chez De Baecque)
 

Louis Émile Pinel de Grandchamp, aspirant à être artiste, placé comme secrétaire à 30 ans auprès d’un haut fonctionnaire de l’empire ottoman - on ne sait par quelle mondanité - fera entre 1850 et 1865, sans génie mais avec un certain succès, le portrait peint des sultans, vice-rois, beys, personnalités et monuments des grandes cours orientales, de Constantinople au Caire en passant par Tunis. 

De retour en France il épuisera le reste de sa notoriété jusqu’en 1894 à remâcher ses souvenirs et les enjoliver dans le style plat et commun de la plupart de ces peintres qui ont séjourné en Orient encouragés par l’Empire et l’attrait de l’exotisme, et qu’on qualifie d'orientalistes. 


Parfois, rarement, se présente sur le marché de l’art quelque tableau que Pinel a manifestement soigné plus particulièrement que sa production courante.

C’était le cas chez De Baecque, le 22 janvier dernier, de ce portrait grandeur nature de femme orientale au chasse-mouche, aux lignes délicates et à l’éclairage raffiné, disparu contre 6 fois l’estimation moyenne, environ 70 000$ mérités, frais compris (notre illustration). 


C’était le joyau du contenu (par ailleurs médiocre) d’un appartement de l’avenue Foch, déclarait la maison de vente pour tenter de faire mousser l’ensemble (30% des lots restèrent invendus). 

Le portrait faisait l’affiche du catalogue. Son titre, "Odalisque à l’éventail", au relents d’esclavage et de harem, ne peux pas être dû au peintre, qui savait distinguer un éventail d’un chasse-mouche.

 

Et l’histoire n’aurait pas grand intérêt s’il ne rôdait autour de ce tableau un double fantomatique. 


Le 29 janvier 2021 était passé en vente publique, sous le même nom dOdalisque à l’éventail, un portrait de femme orientale au chasse-mouche signé Pinel de Grandchamp, petit tableau de 35,5 par 27 centimètres, avenant mais au style assez banal et sans relief.

Il réapparaissait fin 2024 (ou peut-être avant), rebaptisé "La Belle Orientale" sur le site de la galerie Segoura Fine Art, antiquaire reconnu du marché Biron, aux puces de Saint-Ouen. 

À ce moment était annoncée la vente du 22 janvier chez De Baecque, où on découvrait donc l’autre odalisque à l’éventail, sans doute inconnue auparavant, copie presque conforme de la belle orientale, mais incomparable dans ses dimensions, ses qualités et son réalisme (le visage, la main gauche, la cassette, les ombres). 

Quel tableau a été le modèle de l’autre ?

Le petit, la belle orientale, est sans doute une étude préparatoire, reportée ensuite sur le grand par mise au carreau. Ce dernier mesure 92 par 74 centimètres, 7 fois la surface du petit, mais leurs proportions coïncident exactement (voir l’image animée ci-contre). Le soin plus ou moins consacré aux détails vient de la différence de dimensions. 

Mais le petit pourrait aussi n’être qu’une copie, éventuellement par une autre main. 
Une étude physique approfondie des deux tableaux (avec radiographie) déciderait de leur chronologie. 
 

La Belle Orientale est toujours en vente, "en stock" sur le site de l’antiquaire. Elle a certainement été fort revalorisée par l’envolée des enchères sur sa belle parente, l’Odalisque à l’éventail.

Mise à jour 3 juin 2025 : "L'odalisque à l'éventail", le grand format vendu le 22.01.2025 chez De Baecque, est aujourd'hui sur le marché de l'art, chez Ary Jan sous le nom de "Beauté orientale au sineklik", dont le prix est bien entendu discret. Sineklik signifie en turc "tapette" ou "moustiquaire". 

vendredi 17 janvier 2025

La petite industrie des lumières

Avertissement : on sait - voir cette chronique de 2018 - que la loi interdit, au moins en Europe, de reproduire librement les tableaux de René Magritte jusqu’au 31.12.2037. On trouve même des biographies pingres du peintre qui ne montrent pas le moindre tableau. Ceci expliquera la qualité disparate des reproductions en lien dans la présente chronique.


L'exceptionnelle exposition de 7 versions de l'Empire des lumières au MoMA de San Francisco lors de la rétrospective Magritte, "la 5ème saison" en 2018


Représenter aussi platement que possible des choses banales dans des situations singulières, énigmatiques voire paradoxales, était le truc de René Magritte. Il peignait des idées, et leur attribuait à dessein des titres déroutants.

En 1949 il réalisait le premier tableau d’une longue série autour d’une idée pittoresque (ce qui n’était pas rare de sa part), auquel Nougé, patron des surréalistes belges, attribua le nom d’Empire des lumières (le peintre parle parfois de Royaume de la lumière dans certains entretiens). Il avait déjà esquissé quelques fois ce thème avant 1949. 
L’idée originale était de juxtaposer le jour et la nuit sur un même tableau. 

L’Encyclopédie tente de trouver l’origine de l’idée chez un certain nombre d’autres peintres, sans être réellement probante. Amateur averti des techniques photographiques, peut-être Magritte avait-il simplement été marqué par les images réalisées avec le procédé Kodachrome, tout juste arrivé des Amériques. Sous la forme de diapositives, il reproduisait les couleurs vives et les détails lisibles dans les hautes lumières comme dans les ombres profondes, quasiment comme l’œil humain, et les photos prises aux crépuscules rendaient souvent les ciels clairs et les lumières vives dans l’obscurité comme sur les tableaux de Magritte.  

L’idée eut un succès immédiat et les demandes affluèrent, au point qu’en 1953 et 54 le peintre réalisait trois versions très semblables d’un même grand format promis par étourderie à trois riches clients.
Une de ces versions vient de connaitre une apothéose avec l'enchère faramineuse de 121 millions de dollars (voir le tableau ci-dessous)
Magritte n'abandonnera jamais l'idée et l’exploitera jusqu’à sa mort en 1967. 

L’Encyclopédie compte 27 versions de l'Empire des lumières, 17 à l'huile et 10 gouaches, reprenant sans doute le dénombrement du catalogue raisonné de Magritte par David Sylvester en 6 volumes (1992-2012), ce que nous n’avons pas pu vérifier, l’objet se négociant entre 1000€ (dépareillé et incomplet) et 2500$ à 3200$ dans les meilleures épiceries, pour un poids de 25kg.

Le tableau en illustration ci-dessous, pastiche grossier mais évocateur si vous clignez bien les yeux, dissimule habilement toutes les données recueilles sur cette fameuse série de l’Empire des lumières, et contient des liens internes vers les images, ou externes vers les musées ou les sites d’enchères. 
Cliquer sur l’image en rendra les données lisibles mais n’activera pas les liens. Pour cela il suffira d’ouvrir le même document ici au format PDF sur votre navigateur, ou de le télécharger aux formats CSV, Excel et Numbers [ce dernier mis à jour 12.05.2025]. 
Il présente sans doute des erreurs ou des manques. N'hésitez pas à le signaler dans les commentaires, le tableau sera mis à jour en conséquence.

 

mercredi 18 septembre 2024

Ce monde est disparu (15)

Du Puigaudeau, Feu d'artifice et kiosque à musique sur le Grand Canal (c.1905)
hst. 100x81cm, marché de l'art. 

À la vue de cette illustration, vous vous dites déjà "Ça y est, la carte postale de Venise maintenant ! La prochaine fois on aura droit à une portée de chatons.N’exagérons pas, mais on ne peut pas toujours parler seulement des artistes qui fréquentent salons à la mode et salles de vente prestigieuses. L’auteur de cette sympathique carte postale est Ferdinand Loyen du Puigaudeau, peintre breton, ou presque. 

Il fut, à l’ouest de la France, près de Nantes, ce qu’Henri Le Sidaner était au nord, en Picardie, à la même époque, de 1890 à 1930, impressionniste tardif pour le style, et pour l’inspiration fasciné par la lumière des crépuscules.
Pour le reste il était son exact contraire ; quand Henri entretenait l'embonpoint naissant du propriétaire dans son grand jardin de Gerberoy, entouré de familiers et d’hydrangéas en fleurs, Ferdinand cuvait dans son manoir en location, au Croisic, dépressif et alcoolique conclut l'article de l’Encyclopédie.

Tous deux exclusivement paysagistes, Le Sidaner et Du Puigaudeau ne pouvaient ignorer le cliché des clichés depuis deux siècles, Venise.
Le Sidaner y passera, après un court séjour en 1892, les deux hivers de 1905 et 1906 et en fera quelques dizaines de tableaux, dont en 1907 "Venise, la sérénade", l’un de ses plus grands (2,5m²), et à date le plus cher (2,1M$). Le succès venu il y retournera et y aura même une salle d’exposition officielle à la Biennale de 1914.
Du Puigaudeau passera 5 mois à Venise, de l’été à l’hiver 1904, en rapportera des dizaines d’esquisses, quelques moyens formats et des ennuis d'argent. Ce tableau en illustrationqui doit disparaitre en vente chez Nice Enchères le 26 septembre prochain, large d’un mètre, soigneusement élaboréa certainement été réalisée de retour en Brière, vers 1905.

C’est un beau Du Puigaudeau classique, un peu doucereux, certainement. L’estimation de 30 à 40 000€ parait faible, une autre imposante vue du Grand canal, où il a également réuni tous les sujets bateaux vénitiens, est partie contre 129 000€ en 2015.

Anecdote, le kiosque à musique illuminé, à droite de l’église San Giorgio Maggiore, cabote sur le Grand Canal dans d’autres tableaux de Du Puigaudeau, ici à la pointe de la Dogana, et ici près de l’église de la Salute. Les notices, étourdies, disent que c’est un manège, certainement parce que le peintre a représenté ainsi beaucoup de manèges dans les fêtes foraines nocturnes de Pont-Aven. Mais on voit mal, vu les forces impliquées, un carrousel tourner autour d’un axe qui flotterait sans être solidement arrimé à la terre ferme, et puis le peintre a soigneusement représenté des musiciens assis - on distingue le manche d’une contrebasse - autour du chef d’orchestre, qui lève même les deux bras pour attirer leur attention sur la version de la Salute.

Du Puigaudeau mourra démuni en 1930. Le Sidaner riche et décoré en 1939. Il avait passé quelques mois en Bretagne, en 1922, pour réaliser une série de tableaux. Au Croisic il était hébergé dans un hôtel avec vue sur le port, à quelques centaines de mètres du manoir de Kervaudu où vivait et peignait alors Du Puigaudeau. On n'a pas trouvé de trace d’une rencontre.

Mise à jour le 3.10.2024 : comme pressenti, le tableau disparaissait à 3 fois l'estimation haute, soit 112 500€.

samedi 15 juillet 2023

Vrel, enfin !

Profitant d’un court congé estival à Paris, persuadé encore que votre pays est une démocratie, vous sortez de la boutique de l’Assemblée nationale, les bras chargés d’emplettes, quand, prenant par la rue de Lille, vous êtes arrêté par cette affiche inopinée. Son titre doublement racoleur vous rappelle vaguement l’insistance de l’auteur de Ce Glob est Plat, depuis plus de 10 ans, sur ce peintre quelconque : sa "découverte" en 2012 avec l’exposition par la Fondation Custodia et l’Institut néerlandais du tableau d’une "vieille femme assise en équilibre faisant signe à un enfant derrière une fenêtre d’intérieur", le succès surprenant aux enchères en 2013 du tableau d’une "femme assise lisant au milieu d’une pièce observée par un enfant derrière une fenêtre d’intérieur" (près de 2,5M$), puis en 2021 l’annulation pour cause de pandémie d’une exposition monographique tant espérée, et enfin l’édition du catalogue raisonné du peintre.

Par curiosité vous achetez un billet. La Fondation Custodia, avec le Mauritshuis de La Haye, a reconstitué une partie de la grande exposition annulée en 2021. De Vrel, une salle est consacrée aux vues de rues animées (8) et aux études de personnages (3), et une autre salle aux scènes d’intérieur, d’église (1) et de pièces animées de femmes et d’enfants (10) ; 22 tableaux sur les 50 actuellement attribués à Vrel.
Vous constatez que Vrel peignait des petits panneaux très sombres, couverts depuis d’un épais vernis, inondés de reflets brillants accentuant tous les défauts du bois, et le plus souvent recouverts d’une vitre qui réfléchit l’image mouvante des spectateurs dans les pièces trop éclairées. Toute photo satisfaisante est impossible.
 

On vous a promis un précurseur de Vermeer, mais vous n’y trouvez pas de luxueux clavecin, de tapis multicolore, pas de bleu, de rouge vif, de jaune citron, seulement une large gamme de bruns, de l’orange éteint à la terre d’ombre presque noire. Vrel serait plutôt le précurseur de Vilhelm Hammershøi, une sorte de Vermeer du pauvre aux tableaux peuplés de personnages qu’on ne voit que de dos, ou de fantômes brouillés derrière des carreaux de verre.

Puis vous réalisez que toutes les images vues jusqu'à présent, même sur le site des musées - à l’exception notable du catalogue raisonné du peintre édité chez Hirmer - restituent très mal la beauté des bruns et de la pénombre des tableaux de Vrel. Les reproductions sont systématiquement surexposées et les couleurs exagérément avivées. Elles font ressortir certaines faiblesses du dessin qui en réalité n'existent pas dans le demi-jour du monde sans soleil de Jacobus Vrel.
 

dimanche 11 juin 2023

Ce monde est disparu (4)


Le solstice d’été, le jour le plus long de l’année, approche, pas en Tasmanie bien sûr, où ce sera le plus court, mais dans les salles de ventes parisiennes, notamment. 
Cette année c’est le 21 juin, et les experts du cabinet Turquin et la maison Tajan en profiteront pour mettre en lumière une étonnante découverte ; il fera encore jour, entre 20h et 21h, quand ils présenteront aux enchères un nouveau tableau nocturne de Georges de La Tour ! Les experts, à quelques détails subtils, affirment qu'il représenterait un certain Jacques, saint de son état.

C’est entendu, il n’est sans doute pas de la main de Georges, c’est peut-être une copie du fils, il présente des détails un peu faibles, le bougeoir caché, la transparence du livre, un léger maniérisme, une préciosité qu’on attribue, comme pour les toiles de Nancy, Le Mans ou Nantes (*), à un hypothétique atelier dont on ne sait absolument rien - on n’ose pas imaginer une baisse de qualité de la main du maitre - mais on y trouve des traits superbes, le dessin des plis de la robe éclairés par la bougie, les mains... Et puis c’est un thème nouveau à ajouter à la courte iconographie de La Tour, et une couleur inattendue, ce rose soutenu, ou rose crevette vaguement corail, saumon peut-être, voire Pantone+ CMYK P37-xxU à P41-xxU, bref, disons rose orangé. 

(*La médiocrité de ces 3 reproductions est désolante, mais il semble qu’en la matière la félicité, en France, soit inaccessible : les photos des La Tour exilés dans les musées américains sont admirables mais les modèles sont très rarement visibles, quand les images fournies par les musées français sont lamentables mais on peut plus facilement visiter les originaux (quoique le nouvel éclairage artificiel rosâtre avec lequel le musée de Nantes irradie ses peintures du 17ème siècle depuis peu, donc ses trois La Tour - alors que la pesante peinture académique du 19ème y bénéficie des grandes baies de lumière naturelle - rend désormais cette visite déplaisante).

Dans l’histoire du peintre cette découverte n’est certes pas un séisme comme le fut celle de l’incontestable Jean-Baptiste en 1993 (au musée de Vic-sur-Seille), et malgré l’exclamation promotionnelle de M. Turquin "[ce tableau] modifie la compréhension que nous avions du grand peintre lorrain", il ne fera sans doute pas l’objet d’une préemption de l’État, alors que l’estimation autour de 135 000$, modeste, le permettrait. 

C’est tout de même une chose rare et de grande qualité qui rappelle que des retrouvailles sont encore possibles. Depuis 100 ans, après un oubli total de trois siècles, presque 80 œuvres ont été retrouvées, dont une bonne moitié attribuable à La Tour avec certitude.
Et le bon monsieur Cuzin, anciennement conservateur des peintures du Louvre, qui vient de publier en 2021 sur La Tour une somme que la publicité dit superbe mais qu’on ne peut pas même voir dans les librairies de province tant il est cher, devra encore revoir ses calculs.

L’évènement astronomique sera visible pendant 5 jours à l’Espace Tajan, 37 rue des Mathurins, Paris 8, du 16.06 au 20.06 (sauf dimanche), de 10h à 18h, et de 10h à 15h le jour du solstice et de la re-disparition du tableau, on ne sait vers où. 
Venez nombreux.

Mise à jour le 22.06.2023 : Pas de grande bataille mais toutefois une enchère de 427 000$, 3 fois les estimations, soit 561 000$ avec commission et taxes. Est-il disparu définitivement ?

lundi 9 mai 2022

Le paysage de Fitz-Henry Lane

Lane F.H, Coffin's beach, 1862 (Boston MFA)

Les Étasuniens sont bienheureux. ils ont, jalousement consignés dans leurs vastes musées, les plus grands peintres paysagistes du 19ème siècle, A. Bierstadt, A.T. Bricher, F.E Church, S.R. Gifford, W.S. Haseltine, M.J. Heade, W. Homer, G. Inness, J.F. Kensett, F.H. Lane… Arrêtons-nous au L. 
Ils les ont classés, après leur décès, dans "l’École de la rivière Hudson" parce qu’ils pratiquaient le paysage essentiellement aux alentours de l’Hudson, entre Boston et New York, mais la plupart ne se connaissaient même pas. Et il ne faut pas la confondre avec "l’École luministe américaine", qui regroupe un sous-ensemble des peintres de l’Hudson river school. À moins que ce soit l’inverse. De toute manière ils ne se fréquentaient pas non plus.

D’ailleurs qui les connait en Europe ? L’Amérique est possessive. La dernière fois qu’elle a montré sérieusement aux Français la richesse de son 19ème siècle (élargi), c’était au Grand palais de Paris en 1984, l’exposition Un nouveau monde, chefs-d’œuvre de la peinture américaine 1760-1910 : 115 parmi ses plus précieuses peintures. 
Un beau geste ! Un bouleversement ! Madame X par Sargent, le Renard dans la neige de Homer, les horizons marins de F.H. Lane (alors Fitz Hugh, aujourd’hui Fitz-Henry), épurés, précis, presque naïfs, les paysages de Kensett, aux couleurs si délicates qu’on ne peux même pas les reproduire. La France alors découvrait l’Amérique.

On objectera que leurs paysages sont trop grandioses parfois, au point que, pour ne pas souffrir de la comparaison, leur cinéma inventera dans la foulée le procédé Technicolor.
Mais c’est parce que leur pays est colossal, cascades, geysers, cyclones, concrétions, déserts, tout y est démesuré. Et la vallée de la Mort ! Le soleil peut y cuire une omelette, parait-il ! Tandis que sur la plage de Trouville, on mâchonne nos œufs durs en regardant Eugène Boudin poser ses petites touches rouges et bleues sur un fond gris, les pieds pataugeant dans le sable.

Si elle ne prête pas beaucoup ses paysages peints, l’Amérique en fait des catalogues. 
Le musée de Cape Ann à Gloucester dans le Massachusetts, où F.H. Lane a vécu presque toute sa vie, et qui possède une belle série de ses œuvres, vient de rendre public un site consacré à son catalogue raisonné
Il documente précisément, pathologiquement, l’univers de Lane, le sujet unique de ses tableaux, la côte autour de Gloucester, le port et les navires, l’emplacement exact du peintre quand il a réalisé telle vue, le descriptif technique de la goélette représentée, le plan de sa voilure, et quelques études captivantes, comme ce dossier sur 4 facsimilés peints par Lane et son élève très douée, Mary Blood Mellen.

Tout est en anglais, mais les principaux navigateurs sur internet traduisent aujourd’hui de façon transparente vers le français. Les reproductions des tableaux sont correctes, parfois bonnes.


Lane F.H. florilège de paysages. Le détail de chaque tableau se trouve dans le catalogue raisonné.

samedi 19 mars 2022

Fin d'un monde


Ce tableau de Canaletto, vue architecturale d’une ville portuaire imaginaire sous un portique et une lanterne, ne serait pas de Canaletto. Les catalogues de l’œuvre du peintre et le Chicago Art Institute, musée qui le détient (avec un pendant), l’attribuent à un suiveur anonyme, sans justifier cet avis, ou parfois l’ignorent. C’est toutefois une reprise, à la fois très fidèle pour certaines parties, et totalement réinventée pour d’autres, d’une gravure incontestée de Canaletto. Est-ce qu’un copiste aurait pris ces libertés ? Et on y retrouve le plus beau style du peintre, les nuances nacrées des coloris et ses touches cursives et liquides traçant les effets de la lumière sur les détails ensoleillés.


Du temps de Canaletto, Venise déclinait déjà. Ses tableaux, si détaillés, en témoignent ; les murs se fissurent, se couvrent de moisissures, l’humidité ronge. La cité n’est plus qu’un décor mélancolique encadré d’or dans les salons ou les souvenirs de riches touristes anglais.

Tout aura été tenté pour sauver Venise, jusqu’au projet titanesque, au 21ème siècle, de stopper les hautes eaux en fermant la lagune pour empêcher l’eau d’entrer, projet fourni avec les détournements, manigances politiques et malversations diverses qui siéent
Mais ces efforts sont inutiles. On ne peut rien contre l’eau, qui ne connait pas d’obstacle. C’est à cause de l’insouciance de la liaison des atomes d’hydrogène dans les molécules d’eau, dit la chimie, qui a réponse à tout.

Et puis le niveau global des mers monte irrémédiablement. Année après année les prévisions s’aggravent. 50 centimètres avant la fin du siècle. Le deuxième volet du dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) l’affirme. Mais qui lit les rapports du GIEC ?
Au moins le secrétaire général des Nations-Unies, puisque l’organisme dépend de son administration. Et sa dernière lecture l’a bouleversé. Il n’a pu se retenir de l’annoncer dans une poignante déclaration de 99 secondes, le 28 février 2022.

Personne ne l’a écouté, ou si peu. C’est son problème, au secrétaire général de la planète Terre, tout le monde se fout de ses recommandations. Alors forcément ça le navre, quand ses centaines de climatologues lui annoncent qu’on a passé un point de non retour, et qu’on atteindra inévitablement un minimum de réchauffement de 1,5° en 2030, 2° en 2050 et 3° en 2100, escorté de toutes les catastrophes naturelles collatérales, et en tenant compte pourtant des promesses des États (qui ne seront jamais tenues).

Quand l’assiduité de ses riches clients anglais mollissait, Canaletto trompait parfois son ennui sur des gravures ou de petits tableaux d'architectures disparates, des caprices dont il avait découvert l’idée à Rome chez Codazzi et Panini. Il mêlait des vestiges de toute époque et de tout lieu, arches, temples romains, palais vénitiens, en un point imaginaire où seraient venues s’engloutir l’une après l’autre toutes les civilisations de la Terre.

Dans ses cauchemars Monsieur le secrétaire général de la Planète erre sans doute parmi ces ruines.


Canaletto, vue architecturale d’une ville portuaire imaginaire sous un portique et une lanterne (gravure)

samedi 25 décembre 2021

« Petit pan de mur jaune »

À l’exception d’opérations de prestige, le financement des musées a depuis tant d’années disparu des préoccupations des pouvoirs que leurs administrateurs, désignés par les mêmes pouvoirs, s’épuisent à la recherche de moyens pour les maintenir à flot.
Symptôme de cet abandon, tous les dirigeants de la planète en chœur ont interdit l’accès des musées, même déserts, aux personnes non vaccinées contre le coronavirus, même porteuses d’une preuve de test négatif (comme c’est le cas en Suisse et bientôt en France) pendant que les foules, vaccinées ou non, s’entassent joyeusement dans les transports en commun sans le moindre laissez-passer.

Toutes les méthodes ont été expérimentées par ces gestionnaires désappointés, de l’interdiction de photographier dans leur musée, au circuit de visite obligeant le transit par la boutique de souvenirs, jusqu’à la médiatisation outrancière d’expositions misérables, parfois financées par des mécénats douteux.
On ne s’étonne donc plus de voir les responsables de musée les plus dynamiques se laisser abuser par n’importe quel truc soi-disant infaillible venu d’on ne sait où et censé améliorer la situation de leur établissement.

Une de ces idées miracles, qui commence à faire des ravages dans la présentation des œuvres et sur le confort des visiteurs, concerne les cartels, ces étiquettes explicatives traditionnellement placées près des objets exposés, si possible à hauteur des yeux.
Ces cartels ont tendance, depuis quelque temps, à tomber au sol, au pied de l’œuvre et aux pieds des visiteurs, sans l’aide de courants d’air, ni de la gravitation.

Le musée y gagne de la place sur les murs, et peut resserrer les tableaux et ainsi satisfaire une autre tendance moderne, illusion de transparence, qui est de montrer un maximum des réserves du musée. Surenchère louable quand elles recèlent des trésors (qui devraient plutôt être partagés avec les musées moins dotés), mais débauche vite épuisante quand les cimaises se couvrent de rogatons.

Et les plus zélés des conservateurs en profitent pour muer la petite étiquette discrète, qui situait brièvement l’artiste dans l’espace et le temps, en une véritable encyclopédie. On y retrouve alors toute l’histoire du tableau, du peintre, du musée et de la région, en petits caractères et en 500 mots. 

Ici encore l’exubérance est honorable, mais tous les désagréments en ont-ils été évalués ?

En effet après 45 ans, une large proportion de l’espèce humaine qui fréquente assidument les musées éprouve des difficultés à voir de près et corrige cette altération naturelle par des lunettes adaptées mais qui ne permettent plus de voir vers le bas des petits caractères trop éloignés. Pour lire les cartels au sol, il n’y a plus alors que la génuflexion ou l’accroupissement. 
Toute à l’admiration des cimaises à hauteur de ses yeux, la personne suivante, affectée probablement de la même pathologie, ne verra pas l’obstacle. Il en résultera une scène burlesque qui dérangera le silence recueilli des lieux, déclenchera peut-être l’alarme et alertera les gardiens qui soupçonneront des déprédations.



 
Et puisqu’il faut bien parler de rentabilité, on reproche encore souvent au touriste qui prend 30 secondes pour photographier un tableau de spolier l’esthète, qui attend après lui, d’un temps de contemplation jugé d’une valeur supérieure ; on s’impatiente également, derrière un touriste qui tripote nerveusement l’audioguide et stationne plusieurs minutes devant un tableau sans s’apercevoir que la voix nasillarde qu’il écoute distraitement ne commente pas la même œuvre ; alors que dira-t-on de l’amateur qui passera et repassera entre les visiteurs et les tableaux, et s’arrêtera bien 5 minutes devant chacun pour en lire consciencieusement le cartel ?

Dans l’exemple tout à fait réel de l'illustration ci-dessus, au musée des beaux-arts d’une ville moyenne du centre de la France dont tous les étages, après 5 ans de travaux, ont vu l’ensemble des cartels ainsi gonflés d’information et cloués au sol, l’amateur pointilleux du paragraphe précédent demandera plus d'une demi-heure pour lire les étiquettes et regarder les œuvres de ce coin de mur.
Ceci dit, ça n’est peut-être pas un problème dans un musée de province. Il étaient déjà peu fréquentés avant la crise sanitaire. 

Enfin passons vite sur les questions de lumière. Il faut bien éclairer les pieds des touristes qui passeront désormais une partie de leur visite à regarder leurs chaussures, et régler finement la chose pour que le faisceau lumineux n’y projette pas leur propre ombre et n’interfère pas trop avec l’éclairage destiné aux tableaux.

Comme dit le proverbe congolais, les bonnes idées ne sont pas toujours les meilleures
Peut-être verrons-nous parfois, au pied d'un tableau, dans une salle reculée d’un musée désert, quelque vieillard ratatiné qui n’aura pas pu se relever d’une génuflexion, à l’image de l’écrivain Bergotte venu mourir devant le petit pan de mur jaune d’un tableau de Vermeer, dans le roman de Marcel Proust.

lundi 19 juillet 2021

Discret changement de propriétaire

 
Le lorrain Georges de La Tour, qui a peint entre 1630 et 1650 une quinzaine des plus importants chefs-d’œuvre de l’histoire de la peinture occidentale (on ne reviendra pas sur ce fait), n’a pas atteint cette plénitude artistique dès son premier tableau. Dans la soixantaine qui lui sont attribués - dont la moitié connus par des copies - on constate une transition au milieu de sa carrière, qui le fait passer de portraits diurnes d’un naturalisme relativement cru, brossés d’un pinceau cursif et virtuose, à des portraits exclusivement nocturnes, dans un monde clos aux lignes sinueuses et aux formes épurées, éclairés seulement de l’intérieur.

L’unité, le trait commun aux deux périodes, c’est que La Tour n’aura peint que des êtres humains. En pied ou en buste, ils emplissent toute la surface du tableau, dans des lieux vides à la limite de l’abstraction, sans le moindre décor, et flanqués de rares objets, emblématiques ou indispensables à l’éclairage de la scène.

Si l’influence des peintres caravagesques d’Utrecht vers 1620-1630, notamment Van Honthorst, a été déterminante sur sa deuxième manière, nocturne, les spécialistes s’interrogent toujours sur l’origine de la touche si libre de sa première période, comme le sera celle de Frans Hals un peu plus tard.

AltSon effigie de l’apôtre André fait partie d’une série aujourd'hui éparpillée de 13 portraits du Christ et des apôtres, peut-être la première commande faite au jeune La Tour vers 1615-1620, devenue collection d’un abbé parisien et envoyée complète à un chanoine d’Albi en 1694.
Il n’en reste que 11, de dimensions et de format proches, d’un style assez inégal, 6 copies et 5 originaux, dont André. 
 
Ayant appartenu à une collection suisse depuis 1991 (histoire et caractéristiques sont longuement décrites sur la page de la vente), ce tableau austère et peu affriolant vient de changer de main sans faire beaucoup de bruit, aux enchères chez Christie’s à Londres le 8 juillet, contre l'équivalent de 6 millions de dollars, incluant les frais.

dimanche 7 février 2021

Luthy, l’art de l’épargne

Au premier regard, les sous-bois et les jardins peints à l’encre noire par Jean-François Luthy éblouissent par leur luminosité, et on croit voir des photographies délibérément surexposées
En s’approchant on réalise que la lumière vient du papier blanc épargné ou à peine voilé, par transparence, comme dans toute peinture délayée à l’eau, l'aquarelle par exemple. Et comme cette technique n’autorise pas le repentir car chaque coup de pinceau dépose une ombre définitive, les taches de lumière et les feuilles ne sont pas jetées au hasard. Elles sont dessinées une à une, d’une main sereine et réfléchie.

Et quand la page contient des milliers de détails, l’impossibilité de remonter le temps devient vite un casse-tête.
Cette technique et sa manière de la pratiquer semblent toutefois être pour l’artiste une discipline de vie, une ascèse. Il le montre par des photographies sur son site, où on le voit peignant sur le motif, parfois au mépris des températures négatives. 
Et il donne l'exemple d'une série de 8 photos prises probablement à la fin de 8 séances d’une journée, en septembre 2004. La feuille de papier mesure 70 centimètres par 50.  


Mais une telle rigueur atteint certainement rapidement des limites matérielles.
On voit bien, sur notre montage animé en illustration, qu’une tache de lumière épargnée au début du processus aura dans la réalité, c'est à dire dans les heures et les jours qui suivent, tout le temps de se déplacer et de disparaitre. Sans compter que cet exemple est une pochade comparée à d’autres dessins au format démesuré ou au feuillage innombrable qui exigent sans doute des semaines de travail. Et telle Lisière, qui mesure 172 centimètres par 98, serait difficilement transportable sur le vélo du peintre.
Dans ce cas Luthy travaille sans doute d'après des photographies, comme tout le monde.

Une exposition personnelle actuelle prend fin dans deux semaines dans une galerie de Genève. Mais qui peut se rendre dans une galerie genevoise actuellement ? Les Genevoix, et encore !
Le site internet est parfait, agréable, complet. Il présente une cinquantaine de peintures en grand format. N’allez pas lire les textes, commentaires creux, concepts fumeux, verbiage inutile, ils ne sont pas de l’artiste. Allez directement au menu Portfolio.

Regardez attentivement, comme l’a fait Luthy. Si possible sur un grand écran. Un peu de la sérénité du peintre vous touchera certainement.