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lundi 28 juillet 2025

Van Eyck au Louvre, une expérience

Cette photo du panneau de Jan van Eyck tel qu’il est exposé au Louvre depuis sa restauration a été corrigée pour refléter le mieux possible l’impression ressentie sur place, notamment la luminosité et les couleurs, mais n'y cherchez pas les détails, vous savez maintenant où les trouver en taille réelle et en gigapixels. 



La décision

 
S’il économise depuis des décennies sur la maintenance du bâtiment, des canalisations, des ascenseurs, des sanitaires, et sur le personnel de surveillance - d’où un nombre toujours plus important de salles régulièrement fermées - le musée du Louvre est animé depuis une dizaine d’année par une frénésie de restaurations où il se dépense sans compter. On le pensait paralysé par la peur de la bavure, figé à jamais dans ses alignements de tableaux enténébrées, et on le découvre téméraire, s’attaquant aux défis les plus risqués, aux œuvres les plus sensibles, restaurant même des tableaux de l’intouchable Léonard de Vinci.

À l’exception évidemment de la Joconde, qui ne sera jamais restaurée et conservera définitivement ce teint bilieux au fond de son bocal, par crainte de perdre d’un coup les 20 000 visiteurs par jour (ou 30 000 selon les sources) qui ne viennent que pour l’entrapercevoir sur l’écran de leur téléphone.

D’où lui vient cette témérité ? L’évolution des techniques, des procédures, l’exemple des grands musées étrangers, l’arrivée d’Aglaé l'accélérateur de particules enterré sous le bâtiment ? 
Peu importe, elle a éveillé, pour qui avait renoncé aux visites devenues insupportables, suffisamment de désir pour accepter d’endurer encore une fois l’expérience épouvantable de la visite au Louvre. Car comment résister à contempler, presque dans l’état où ils ont été vus par le peintre, des chefs-d’œuvre comme le seul Van Eyck visible en France, le portrait d’Anne de Clèves par Holbein, le Gilles (ou Pierrot) de Watteau, et même la Nef des fous de Bosch, tous restaurés entre 2022 et 2024 ?  

Ne parlons pas des grandes machines de Delacroix que le Louvre lessive en série, si mal peints qu’ils devraient être restaurés en permanence.

Après des mois d’hésitation, vous vous décidez. Pour assurer la réussite de l’expérience, vous vous limitez aux 4 tableaux cités plus haut et ajoutez 2 friandises optionnelles que vous souhaitez revoir, disons l’Astronome de Vermeer et le portrait de madame Lenoir de Duplessis.  
 
La planification

Viennent alors la préparation de l’itinéraire et la détermination de la date de visite. C’est l’étape déterminante de l’opération. Vous devrez vous munir d’un accès à internet (obligatoire pour la réservation), d’un écran confortable, puis, sur le site du musée, du Plan d’ouverture des salles, et, sur le site du catalogue des Collections du Louvre, de la page consacrée à chacun des tableaux élus, où vous trouverez, pour chaque œuvre, le numéro de la salle où elle parait, que vous conserverez pour optimiser votre itinéraire. Sélectionner le lien sur ce numéro vous conduira à sa position sur le plan général du musée (aile et niveau).

Hélas le Plan d’ouverture des salles n’est pas un plan d’ouverture des salles. Il indique seulement l’ouverture ou non des secteurs qui regroupent les grandes périodes de l’histoire de l’art, et il n’existe aucun lien logique entre le numéro de salle et le secteur ; ainsi on ne vous dit pas "la salle 818 - où le catalogue situe le panneau de Van Eyck - est ouverte" ; on vous dit que le secteur intitulé "Peintures, Europe du Nord 1400-1650" est ouvert ; à vous de savoir que Van Eyck était un peintre d’Europe du nord actif sur cette période.
L’exercice devient délicat si vous cherchez un tableau d’un peintre suisse actif dans la 1ère moitié du 17ème siècle, Samuel Hoffman par exemple. Vous le supposez rangé dans le secteur Europe du Nord (puisque les autres choix ne sont que France ou Italie), mais vous hésitez entre "Europe du Nord 1400-1650" et "Europe du Nord 1600-1850", d’abord parce que le tableau date des années 1640, donc potentiellement dans les deux secteurs (oui, les périodes se chevauchent !) et surtout parce que le premier secteur est fermé le mercredi et ouvert le jeudi, quand c’est l’inverse pour le second. 
Si vous jérémiez on vous répliquera "Réservez votre entrée pour le dimanche, les deux secteurs sont ouverts, il reste sans doute quelques places disponibles." 

Vous l’aurez compris, cette étape demande un peu de concentration et beaucoup de temps à perdre. Alors limitez votre visite à quelques œuvres. En s’arrêtant aux 4 tableaux récemment restaurés visés ici, vous constaterez déjà, en excluant les irrespirables weekends surpeuplés et la saison touristique, qu’ils ne peuvent être vus, en une seule visite, que les vendredis (et même pas en nocturne), et que l’itinéraire, en papillonnant un peu, occupera pleinement votre visite.  

L’expérience

Vous réservez donc votre visite pour un vendredi matin dès 9 heures, ou au moins dans la matinée, afin de pouvoir contempler sereinement vos favoris ; les écoles française et d’Europe du nord du 15ème au 18ème siècles sont toujours calmes et quasi désertes en semaine, le matin, et les files d’attente très nettement réduites.

Pour éviter de parcourir un nombre épuisant de kilomètres, vous aurez sans faute optimisé les étapes de votre itinéraire sur le plan du musée ; il est immense et les salles dont les numéros se suivent ne se suivent pas nécessairement sur le plan ; il n’est pas rare, sur place, de ne jamais retrouver, sans l’aide du personnel surveillant, la salle qui suit ou précède numériquement celle où vous vous trouvez.  

Une fois dans le musée, vous serez harcelés par les impondérables : un ascenseur rétif, des toilettes en travaux, une personne de surveillance qui ajoute, en vous indiquant la direction d'une salle : "elle est probablement fermée, il est tôt, la personne n’est pas arrivée."
Vous y serez psychologiquement préparés, parce que vous aurez lu dans la téméraire enquête de M. Rykner qu'au Louvre, ça n’est pas parce qu’une salle est ouverte sur le plan qu’elle l’est dans la réalité, qu’un coup de chaleur intempestif (dans une salle à la climatisation déficiente), ou des travaux imprévus (souvent fictifs), ou un manque inattendu (mais chronique) de personnel, ne sont pas évènements si rares.

Malgré tout vous noterez, après avoir essuyé toutes ces épreuves, que votre sentiment devant ces merveilles est indicible, que la lumière est belle, que votre vêtement clair se reflète parfaitement dans les vitres dites "anti-reflets" qui protègent les œuvres, que votre appareil photo n’arrivera jamais à reproduire ce que vous voyez, et que la science de Van Eyck, en réalité sa magie, ne sera jamais dépassée.   

(et que la qualité des reproductions dans le catalogue des collections du musée est encore plus honteuse que vous ne le pensiez, pire que des photos de touriste) 

Enfin vous remarquerez que l’Astronome de Vermeer n’était pas là, exilé pour de longs mois dans une exposition au Mucem de Marseille, alors qu'on avait refusé de le prêter à la monumentale rétrospective d'Amsterdam en 2023, que madame Lenoir, qui pourtant a toujours été d’une exemplaire fidélité, n’était pas au rendez-vous, conviée jusqu’à l’automne à une rétrospective Duplessis à Carpentras, et que vous auriez dû préparer un peu plus soigneusement votre visite.

dimanche 16 mars 2025

Dublin l’inaccessible (1 de 3)


AVANT-PROPOS : 

Les Irlandais ne sont pas rancuniers. Ils exposent à Dublin, dans le plus grand de leurs musées, la National Gallery of Ireland, un tableau représentant le soldat Cromwell s’appropriant les pouvoirs du roi Charles 1er, qu’il fera bientôt raccourcir, sur plus de 4 mètres carrés. Quelques mois après cette scène (peinte près de deux siècles plus tard par l’irlandais Daniel Maclise), le nouveau patron de l’Angleterre, un peu rigoriste et désireux d’embêter quelques catholiques irlandais, éliminait par mégarde, et par les armes, entre un quart et un tiers de la population de l’Irlande, plus efficace que la peste dans ses meilleures années. L’image ne flatte pas le soudard, c’est entendu, mais des portraits de Staline trônent-ils encore dans les musées des capitales soumises par l’ancienne Union soviétique ? Après tout, peut-être.

Le musée irlandais expose incontestablement beaucoup d’autres choses passionnantes, des œuvres des peintres européens les plus fameux, Velázquez, Rembrandt, Vermeer, Goya, Caravage, et nombre de curiosités méconnues, de raretés.  
Sur le site du musée, le catalogue des 13 481 objets conservés est bien fait, les fonctions de recherche riches et les filtres simples d’emploi. Tout serait parfait s’il n’y avait le problème des images : beaucoup sont manquantes, ou en noir et blanc, ou médiocres, ou datées ; la fonction de zoom est déficiente sur la majorité des reproductions ; enfin, même quand le site est en ligne, la base de donnée des collections est fréquemment, quasi quotidiennement, inaccessible ! 
Sinon tout va bien.
Ah si, aucun téléchargement n’est autorisé. C’est d’autant plus frustrant que le site contient des reproductions (masquées) de qualité très acceptable (3000 pixels) mais qu’il n’est pas capable d'afficher correctement et que seules certaines extensions pour navigateurs sur internet [Download all images], ou certains sites dédiés [Image Extractor], sont capables de télécharger. Mais leur mode d’emploi est laborieux.

Aussi exposerons-nous ici-même, dans de bien meilleures conditions que sur le site du musée, dans une balade à Dublin en trois épisodes, un florilège de quelques tableaux parmi les plus intéressants et originaux de la National Gallery of Ireland (et cette série reposera un peu la rédaction du blog, et le lectorat)Chaque image sera légèrement commentée et un lien conduira au descriptif détaillé sur le site du musée (ce lien pourra parfois faillir, vu l’administration erratique du site irlandais). 

 ***

BALADE DANS LA GALERIE NATIONALE D'IRLANDE


Chapitre 1 : Les peintres fameux

À voir Chapitre 2 : Les peintres qui méritent mieux. 

À voir Chapitre 3 : Les curiosités.



Georges de La Tour : Découverte du corps de saint Alexis (vers 1650, 143cm). Serait une bonne copie d’un (merveilleux) original perdu de La Tour, peut-être de la main de son fils Étienne. Une autre belle copie connue est au musée de Nancy, fermé pour travaux, donc invisible pour des années (et dont les reproductions disponibles ont toujours été lamentables).


VelázquezServante en cuisine (1618, 118cm). L’Art Institute de Chicago détient une copie quasiment conforme de ce tableau, également attribuée à Velázquez, mais sans la fenêtre avec la scène du Christ et des apôtres, à gauche, découverte et restaurée en 1933 sur la version de Dublin. Chicago dans sa description, très informée, souligne que la servante est une esclave africaine et précise que le peintre était esclavagiste (enslaver), comme tout Séville à l’époque.


Goya : Le songe (vers 1800, 76cm). Encore un tableau troublant de Goya. Il est vrai que c’était un peu sa spécialité.


Caillebotte : Canal près de Naples (vers 1872, 60cm). Il y a quelques années Caillebotte aurait été dans la catégorie des peintres "qui méritent mieux". On l’a redécouvert depuis, même au musée d’Orsay, au point de le servir maintenant à toutes les sauces. C'est entre le banal et l’inopiné qu'il excellait.


Vermeer : Femme rédigeant une lettre (1670, 71cm). Dans ses scènes de genre, Vermeer semble tenter de nous raconter une histoire, mais rarement jusqu'au bout. Ici une servante attend qu'une lettre soit rédigée, on ne sait pas pourquoi le matériel à cacheter est au sol, en évidence. Et à côté, est-ce une lettre froissée ? On n'oubliera pas sa liseuse du musée de Dresde dont le nettoyage récent a gâché définitivement tout le mystère en révélant au mur un gros angelot gonflable censé personnifier l’amour. 
Le musée de Dublin avait prêté ce Vermeer et ses deux splendides Gabriel Metsu pour l’exposition "Vermeer et la peinture de genre", au Louvre, puis à Dublin et Washington, en 2017
.


Caravage : Arrestation du Christ (1602, 170cm). Tableau découvert en 1990 à Dublin à 3 minutes de la National Gallery. C'est peut-être l’original. Quelques copies étaient connues, dont une volée au musée d'Odessa en Ukraine en 2008, revendiquée comme l'originale, et actuellement à Berlin pour restauration et affaire judiciaire. La plupart des photos sur internet, dont celle du musée, sont catastrophiques.

samedi 15 juillet 2023

Vrel, enfin !

Profitant d’un court congé estival à Paris, persuadé encore que votre pays est une démocratie, vous sortez de la boutique de l’Assemblée nationale, les bras chargés d’emplettes, quand, prenant par la rue de Lille, vous êtes arrêté par cette affiche inopinée. Son titre doublement racoleur vous rappelle vaguement l’insistance de l’auteur de Ce Glob est Plat, depuis plus de 10 ans, sur ce peintre quelconque : sa "découverte" en 2012 avec l’exposition par la Fondation Custodia et l’Institut néerlandais du tableau d’une "vieille femme assise en équilibre faisant signe à un enfant derrière une fenêtre d’intérieur", le succès surprenant aux enchères en 2013 du tableau d’une "femme assise lisant au milieu d’une pièce observée par un enfant derrière une fenêtre d’intérieur" (près de 2,5M$), puis en 2021 l’annulation pour cause de pandémie d’une exposition monographique tant espérée, et enfin l’édition du catalogue raisonné du peintre.

Par curiosité vous achetez un billet. La Fondation Custodia, avec le Mauritshuis de La Haye, a reconstitué une partie de la grande exposition annulée en 2021. De Vrel, une salle est consacrée aux vues de rues animées (8) et aux études de personnages (3), et une autre salle aux scènes d’intérieur, d’église (1) et de pièces animées de femmes et d’enfants (10) ; 22 tableaux sur les 50 actuellement attribués à Vrel.
Vous constatez que Vrel peignait des petits panneaux très sombres, couverts depuis d’un épais vernis, inondés de reflets brillants accentuant tous les défauts du bois, et le plus souvent recouverts d’une vitre qui réfléchit l’image mouvante des spectateurs dans les pièces trop éclairées. Toute photo satisfaisante est impossible.
 

On vous a promis un précurseur de Vermeer, mais vous n’y trouvez pas de luxueux clavecin, de tapis multicolore, pas de bleu, de rouge vif, de jaune citron, seulement une large gamme de bruns, de l’orange éteint à la terre d’ombre presque noire. Vrel serait plutôt le précurseur de Vilhelm Hammershøi, une sorte de Vermeer du pauvre aux tableaux peuplés de personnages qu’on ne voit que de dos, ou de fantômes brouillés derrière des carreaux de verre.

Puis vous réalisez que toutes les images vues jusqu'à présent, même sur le site des musées - à l’exception notable du catalogue raisonné du peintre édité chez Hirmer - restituent très mal la beauté des bruns et de la pénombre des tableaux de Vrel. Les reproductions sont systématiquement surexposées et les couleurs exagérément avivées. Elles font ressortir certaines faiblesses du dessin qui en réalité n'existent pas dans le demi-jour du monde sans soleil de Jacobus Vrel.
 

vendredi 10 mars 2023

Mais où sont les 9 Vermeer manquants ?

37 moins 28 font 9 pour la plupart des calculatrices sur internet, même pour la fameuse "intelligence artificielle ChatGPT"(*) qui pourtant aligne les erreurs monumentales (nous y reviendrons un jour, en attendant regardez cette excellente étude par Defakator)
Or l’exposition à guichet fermé consacrée à Vermeer actuellement à Amsterdam déclare montrer 28 tableaux attribués à Vermeer, sur un total de 37 dit-on. 4 ou 5 d’entre eux, s’ils sont réellement de sa main, ont certainement été peints dans un état que la morale ou la clémence nous empêche de préciser ici, mais acceptons ce nombre magique de 37

Mais alors, où se trouvent les 9 absents ?

Eh bien la réponse est simple, trop simple peut-être ! Ils ne peuvent pas être aujourd’hui dans les salles si convoitées du Rijksmuseum d’Amsterdam parce qu’ils sont actuellement exposés ici-même, dans Ce Glob, en très haute qualité, dans des conditions d’exposition autrement plus agréables, et sans aucun risque d’infection pandémique, sous l’œil d'ailleurs bienveillant de l’Organisation Mondiale de la Santé. 
Et si cette offre exceptionnelle ne suffisait pas, les plus perspicaces auront constaté qu’un Vermeer volé il y a 33 ans dans le musée Isabella-Stewart-Gardner à Boston (avec 12 autres œuvres dont la seule marine de Rembrandt), et jamais retrouvé depuis, est également dans notre exposition. Reconnaissons qu’il n’est pas dans un état très présentable après 33 ans d’occultation dans de douteuses conditions.

Alors parlez-en autour de vous, levez haut votre pouce quand vous vous trouvez en groupe, dans la rue ou les transports en commun, abonnez-vous à Ce Glob en toute confiance, vous n’y trouverez que des exclusivités présentées dans le respect des idées les plus progressistes et des dernières rectifications de l’orthographe.

Liste des tableaux exposés ici et provenance de nos aimables prêteurs (les dimensions des images - autour de 5000 pixels - et leur poids variant de 6 à 12 mégaoctets, certains affichages peuvent être un peu lents) :

1 - Art de la peinture (Vienne Kunst Historisches museum) 10,8Mo
2 - Astrologue (ou Astronome, Louvre) 8,1Mo
3 - Femme assoupie (Metropolitan New York) 8Mo
4 - Leçon de musique (Windsor castle, collection royale) 11,8Mo
5 - Portrait de jeune femme (Metropolitan New York) 5,8Mo
6 - Femme au pichet d'eau ou aiguière (Metropolitan New York) 8,7Mo
7 - 2 hommes et une femme au verre de vin et au sourire niais (HAU museum, Brunswick) 6,6Mo
8 - Joueuse de guitare (Kenwood house, collection royale) 3Mo
9 - Le concert (Mafia bostonienne depuis le 18.03.1990) 1,5Mo






(*) Verbatim d'une conversation tendue avec le robot ChatGPT.
Âmes sensibles, surtout ne lisez pas, vous allez être confrontées à votre propre avenir !

Moi : combien font 37 moins 28 ? 
ChatGPT : 37 moins 28 équivaut à 9
Moi : Merci 
ChatGPT : De rien, n'hésitez pas si vous avez d'autres questions ! 
Moi : Alors je vais me permettre, combien font 28 plus 9 ? 
ChatGPT : 28 plus 9 équivaut à 37. 
Moi : Bravo !
ChatGPT : Merci beaucoup ! N'hésitez pas si vous avez d'autres questions.

lundi 20 février 2023

Comptes de faits (6)

"6000 personnes par jour qui se bousculent pour aller voir les Vermeer… À quoi ça ressemble ? Ce sont les mêmes qui vont au salon de l’auto."
Chaval, entretiens avec Pierre Ajame, automne 1966.

Johannes Vermeer, peintre connu et apprécié à Delft de son vivant, était oublié depuis deux siècles et confondu aux peintres plus ou moins anonymes du même genre et de la même région, quand un journaliste plus curieux que les autres le distingua de ses confrères et se mit à le rechercher sans répit dans les collections et les ventes, à convaincre lentement des personnes fortunées et en vue, bientôt suivies par des écrivains, puis par les journaux, et enfin, récemment, par le cinéma populaire. Tout cela prit un bon siècle, mais depuis, le moindre barbouillage supposé de la main de Vermeer est devenu un chef-d’œuvre (pour mémoire on ne reconnait pas un chef-d’œuvre par l'objet même, qui peut être indifférent, mais par un mouvement de foule autour de lui, une onde faite d’humains attirés individuellement vers l'objet parce qu'il le croient aimé par les autres)

Et Taco Dibbits le sait bien. Directeur du Rijksmuseum d'Amsterdam, organisateur depuis 20 ans des expositions les plus courues en Hollande, détenteur d’un record personnel de 4780 visiteurs par jour autour de Rembrandt, il claironnait depuis 2021 qu’il allait exposer en 2023 à Amsterdam quasiment tous les Vermeer connus, et que personne n’en reverrait jamais autant réunis au même endroit.

Taco Dibbits savait probablement qu’en automne 1966, à Paris, l’exposition "Dans la lumière de Vermeer" à l’Orangerie, avec ses 12 Vermeer, avait accueilli (contenu) 6000 visiteurs par jour. 
Taco Dibbits savait certainement que la rétrospective de 1996 au Mauritshuis de La Haye (à 57 kilomètres d’Amsterdam), avec 23 Vermeer, avait supporté 5000 visites par jour et avait été contrainte en catastrophe de se réorganiser avec une salle supplémentaire (25% en surface), dès la première semaine. 
Taco Dibbits savait sans doute qu’en février 2017, le jour de l’ouverture de l’exposition "Vermeer et les maitres de la peinture de genre" au Louvre, les 12 Vermeer exposés avaient attiré 9400 visiteurs dont une bonne partie, munie cependant de droits d’entrée (l’impayable billet unique), avait été refoulée, créant un capharnaüm dont le musée mit des semaines à se remettre et qui reste dans les mémoires comme un des sommets de la logistique muséologique. 

Taco Dibbits savait tout cela en organisant son exposition ultime. Alors il a tout fait pour la fluidité du flux. 
(Précisons que la description qui suit ne prétend pas traduire une exacte réalité qui aurait été constatée sur place, elle n'est faite que de la lecture de la presse en ligne).

Quand le Louvre en 2017 avait regroupé 60 tableaux hollandais autour des 12 Vermeer, le Rijksmuseum en 2023 avait seulement 28 Vermeer à répartir dans 9 grandes salles, par thème, certains tableaux, comme la Femme lisant une lettre ou la Femme versant du laitse retrouvant seuls. Les vastes pièces aux murs presque vides en ont pris un aspect de salle d’attente, comme aux guichets de la poste.
Les tableaux ont été éloignés au mieux les uns des autres, les cartels explicatifs éloignés des tableaux et les articles plus longs, analytiques et biographiques, traditionnellement affichés à l’entrée de l'exposition, ont été déplacés près de la sortie. 
Pour éviter qu’on ne s’en approche trop, chaque tableau a été protégé par un arceau de sécurité autorisant "8 à 10 spectateurs simultanés" déclare Taco Dibbits, estimation optimiste, les hollandais ne souffrent peut-être pas du même embonpoint que les visiteurs du Nouveau Monde. 

Enfin la durée de l’exposition a été optimisée : 114 jours en continu, sans fermeture, 8 heures par jour du dimanche au mercredi, et 13 heures sans interruption du jeudi au samedi (avec nocturne donc). 


D’après le site de "Connaissance des Arts" Taco Dibbits pensait alors accorder un total de 350 000 entrées, en moyenne 3000 par jour. En réalité il en a distribué 450 000, soit 4000 par jour, avant de décider la fermeture définitive des guichets, et dès l’inauguration de l'exposition le site de vente de billets affichait complet, mais promettait de faire tous ses efforts pour chercher à offrir plus d’entrées.

Car le musée peut encore, en effet, ajouter 4 nocturnes hebdomadaires (Il est peut-être plus facile de négocier des heures supplémentaires avec le personnel du musée que des jours de rallonge avec les assurances et les musées prêteurs). Il passerait alors de 71 à 91 heures d'ouverture par semaine, une augmentation de 28% qui se répercuterait directement sur le nombre de visiteurs, de sorte que si Taco Dibbits réagit à temps, il pourra pulvériser son propre record d’entrées, dépasser le Graal des 5000 visites par jour, et dès lors prétendre - il est jeune encore - à la direction des musées les plus prestigieux.

Enfin, le nombre de visites n’est pas tout, et le pragmatique directeur s’est couvert, pour pondérer les effets néfastes d'éventuelles circonstances imprévues, en renforçant le prix du billet d’entrée, qui est de 30 euros ! Toutefois, ça ne met le Vermeer qu'à 1,07€, ce qui est en fin de compte assez peu. Pour mémoire les 12 Vermeer du Louvre en 2017 étaient à 17€, soit 1,42€ pièce, et même à ce prix on n’était pas certain de les voir. 

***
Pendant ce temps très à l'ouest, dans les musées des arts de Nantes et de Rennes, les deux plus beaux tableaux du monde (bon d’accord, deux des trois plus beaux), faits de la main d’un peintre du même siècle et au même destin posthume que Vermeer, voient passer, les jours de semaine, quelques dizaines de touristes égarés, parfois moins.
On ne dira bien entendu pas son nom, afin d'éviter que la trentaine de fidèles de Ce Glob ne se trouve à l’origine d’un incontrôlable mouvement de foule.

vendredi 28 octobre 2022

Vénus et le domaine public

Il y a longtemps que nous n’avons parlé de "copyfraud", cet abus de pouvoir des états qui vendent ou louent le domaine public, parce qu’il y avait bien d’autres sujets déprimants à évoquer, et puis parce que depuis quelques années, les sites consacrés à la surveillance des violations du domaine public se sont assoupis, parfois profondément.

La chose offre pourtant encore régulièrement des occasions de rire des gouvernements et autres autorités, ce qui fait du bien au moral. C’est par exemple toujours une des spécialités des institutions italiennes de se ridiculiser en exploitant abusivement leur considérable héritage artistique.
On se souvient de l’Académie de Florence qui poursuivit en justice un voyagiste international, non parce qu’il vendait les tickets d’entrée au musée à un prix exorbitant, mais parce qu’il ne voulait pas en reverser une partie aux prétendus droits de reproduction de la célèbre sculpture de Michel-Ange exposée dans le musée et qui illustrait sa publicité. En dépit des conventions internationales sur le domaine public signées par l’État italien, la justice nationale avait donné raison au musée. Rappelons encore le scandale international de ce marchand d’armes américain qui utilisa l’image de la même sculpture pour la promotion de ses engins de mort, et d’un ministre italien officiellement outragé par cette violation des valeurs morales de son pays, mais en réalité vexé que le marchand ait refusé de payer les mêmes soi-disant droits de reproduction.

L’histoire se répète aujourd’hui, toujours à Florence, décidée à user son patrimoine jusqu’à la corde, et prête aux plus grandes petitesses pour faire parler d’elle, cette fois avec la Naissance de Vénus de Botticelli, au musée des Offices. En 2018 déjà, voyant les succès de l’Académie devant les tribunaux et appuyé par le maire de Florence, le gérant des Offices s'était déclaré prêt à se lancer dans une campagne de poursuites judiciaires, ralentie entretemps par la crise de la pandémie.


Détail de la Naissance de Vénus par Sandro Botticelli
 (Copyfraud Musée des Offices, Florence, Italie).

Or au printemps 2022, la marque de couture Jean-Paul Gaultier sortait une collection de vêtements au tissu largement imprimé avec la mièvre demoiselle nue sortant de sa coquille géante, ainsi qu’avec un détail en sépia du plafond de la chapelle Sixtine au Vatican par Michel-Ange, ou un gros plan sur les "trois grasses" de Rubens, comme le font depuis toujours les fabricants de mode vestimentaire, de boites de chocolats, les marchands de posters et les rayons de souvenirs des boutiques de musée.   

Ayant flairé le bon pigeon, le musée toscan annonçait le 10 octobre son intention de poursuivre la marque en justice, en arrosant toute la presse de sa version des faits : une obscure loi italienne de 2004 (l’article 108 du Code des biens culturels) manifestement en désaccord avec les conventions internationales et les directives européennes interdirait toute reproduction commerciale des œuvres du domaine public italien sans le paiement de royalties, comme le fait la loi française de 2017 - le décret Chambord - qui ne concerne pour l’instant que les bâtiments publics. Inutile de préciser que tout l’internet et les réseaux sociaux s’assoient résolument chaque jour sur cet article 108, mais il est potentiellement plus rentable de cibler une célèbre fabrique d’objets de luxe attentive à son image de marque.
Le musée dit avoir écrit à la contrevenante afin de négocier des "droits de reproduction", mais, sans réponse depuis 6 mois, aurait décidé l'action judiciaire (et d'en faire tout un tintouin).
Toute la presse, dévouée à l’AFP, s’en est émue et a répété à la lettre termes et arguments du musée italien, insistant sur le fait que la marque n’avait pas demandé son autorisation, et sans s’interroger un instant sur le bien-fondé de la réclamation. Seul Télérama s’est posé les bonnes questions et a demandé - sans succès - son point de vue à la maison de couture.

Et après ?

Le droit européen (et international) autorise la libre utilisation par tous des œuvres des domaines publics, même à des fins commerciales, mais certains états ont détourné ce principe en se mitonnant en interne des interprétations personnalisées. C’est le cas, entre autres, de la France avec le décret Chambord, et de l’Italie avec le code des biens culturels. 

Pour l’instant le musée florentin fait tinter toutes les casseroles médiatiques pour intimider la marque et tenter d’obtenir un accord commercial sans avoir à se lancer dans un procès hasardeux. Le vacarme aurait d’ailleurs logiquement dû réveiller un ministre italien, comme en 2014, histoire de donner à la chose une dimension diplomatique. 
La marque (maintenant espagnole), préserve les arguments de sa défense et reste silencieuse, mais semble néanmoins avoir retiré les produits incriminés de son site internet (à confirmer), ce qui pourrait constituer une sorte d’aveu, au moins sur son incertitude quant au dénouement de l’affaire. C’est un peu bête au moment où le musée de Florence fait gratuitement la promotion de ses produits !

En réalité personne n’a vraiment d’intérêt dans une poursuite judiciaire, l’issue en matière de domaine public dans un cadre international en serait incertaine. Jugée par un tribunal italien, ce serait, comme en 2017, en faveur du musée de Florence, alors que la Cour de Justice de l’Union Européenne, de son côté, statuerait sans doute à l’avantage des principes du droit européen, donc de la marque espagnole. 

Attendons la suite, mais signalons à ces cupides florentins que la marque Nestlé, qui à notre connaissance n'a jamais versé le moindre centime au Rijksmuseum d’Amsterdam, a certainement plus fait, par ses yaourts "La laitière", pour la renommée du tableau de Vermeer - qui en est devenu une icône - et du musée hollandais qui l’héberge, que toutes les actions jamais entreprises auparavant pour le promouvoir (que ce soit un bien ou un mal est une autre histoire).

Aux dernières nouvelles le Vatican n’a pas réclamé d’argent à la marque pour la reproduction non autorisée de l’Adam de Michel-Ange, ni le musée du Prado pour les Grâces de Rubens. 

jeudi 13 octobre 2022

Un Vermeer de plus ou de moins

Pour ne pas encore ennuyer le lectorat avec une reproduction du sempiternel Vermeer, voici un détail pas mal non plus par son collègue de l'époque à Delft, Pieter de Hooch, actuellement à la Gemäldegalerie de Berlin.


Examinons aujourd’hui les dernières nouvelles extraites du site Essential Vermeer, dont le nom signifie "le Vermeer de première nécessité", et qui pourchasse à travers la planète tout ce qui concerne ce peintre qui fascine tellement les amateurs que Ce Glob en a parlé deux fois en septembre dernier, et en 2021, et en 2018, 2017…, ce qui est excessif, il faut bien le dire, en regard de sa production si réduite. Mais n’est pas Picasso qui veut, qui bouclait 650 à 700 œuvres quand Vermeer en finissait à peine une. 

Le Louvre, qui n’en détient que deux - l’Astronome ou astrologue, et la Dentelière - n’aura bientôt plus de Vermeer à mettre sous les yeux du touriste, pour une longue période. 
Dans un entrefilet non daté mais probablement de l’été 2022, Essential Vermeer signale que l’Astronome - avec 49 autres œuvres - se trouve actuellement à 7000 km de Paris, au Louvre Abu Dhabi, prêté pour un an sans doute. Il sera donc absent de la rétrospective Vermeer à Amsterdam en 2023, comme il l’avait été de la rétrospective de 1996 à La Haye. 

Le Louvre chérit ses deux Vermeer (jusqu’à un certain montant, bien sûr), et il n’avait pas envisagé de se séparer de sa Dentelière en 2023. Mais il vient, au dernier moment de changer d’avis, d’après Essential Vermeer sur la même page, et aurait promis de la prêter pour la rétrospective, ce qui porterait à 28 sur 34 le nombre de Vermeer alors regroupés à Amsterdam ! Enfin plutôt 28 sur 35, car Essential Vermeer considère que le catalogue du peintre comporte 35 œuvres certaines (et 2 très douteuses), alors que nous en avions annoncé 34, un peu légèrement, le 20 septembre dernier.

On apprend cependant, toujours sur la même page d’Essential Vermeer un peu plus bas, que la National Gallery of Art de Washington (NGA), qui détenait jusqu’à présent 4 tableaux de Vermeer, n’en aurait plus que trois vrais, et un faux ou plutôt "attribué à Vermeer", ce qui est pire qu’un faux dans les degrés de la déchéance, le faux conservant le prestige d’avoir réussi à tromper un temps les experts. 
Le musée annonçait en effet le 7 octobre qu’après deux années d’analyses d’une haute scientificité, au moyen de la "technologie innovatrice de la reflectance hyperspectrale", son 4ème Vermeer, la Jeune fille à la flute, n’en était plus un (définitivement cette fois, car il y avait déjà un doute sur sa paternité), que bien que peint exactement avec les matériaux et la technique des vrais tableaux de Vermeer, il n’était pas réalisé avec le même "niveau d’expertise". Le musée en conclut que c’est l’œuvre d’un proche ou d’un atelier (on ne lui connaissait ni élève ni atelier). Il n’envisage pas l’hypothèse d’une esquisse, d’une ébauche, alors que d’autres tableaux fermement attribués au peintre sont aussi peu finis que cette femme à la flute et au curieux chapeau chinois. 

L'affirmation est courageuse, certainement parce que la NGA est le seul musée américain financé par l’État fédéral. Tout autre musée, financé par des fonds privés, des donations, aurait détecté une foule d’indices justifiant une attribution certaine à Vermeer, histoire de ne pas dévaloriser sa collection. 

Ainsi le nombre de Vermeer vient de repasser à 34. Il suffisait d’attendre. Le décompte des œuvres de Vermeer est une science exigeante, faite d’observations scrupuleuses et de patience.