mardi 29 septembre 2015

La vie des cimetières (66)

 Le cimetière de Ronesque-le-Roc (suite et fin) en couleurs


Du cimetière on aperçoit, au nord, fierté de l'Auvergne, la pyramide parfaite du Puy Griou, qui du haut de ses 1690 mètres éclipse celle du Louvre à Paris et celles du plateau de Gizeh en Égypte.

 
 
 
 

La vie des cimetières (65)

Topographie de Ronesque-le-Roc

35 kilomètres à l'est d'Aurillac, on arrivera par le nord, sur la route D459, on traversera Cros-de-Ronesque, et après 5 kilomètres, avant le hameau de Ronesque on prendra à gauche au panneau marron « Site de Ronesque ».
Dans les hauteurs, derrière quelques toits épars, on verra alors apparaitre la pointe d'un modeste clocher, la chapelle de Ronesque, érigée sur « le roc ».

C’est un plateau de basalte qui a résisté à l'érosion tandis que les monts du Cantal alentour s'arrondissaient lentement, comme une larme figée et aplanie de 300 mètres sur 200 à 770 mètres d’altitude.
La roche est si dure qu'on n'y a posé qu'un minuscule cimetière d'une trentaine de places, complet depuis longtemps, et une chapelle bâtie en 1888 sur les restes d'un édifice religieux installé là au quinzième siècle, dit-on.

Le hameau est en contrebas de 100 mètres. On ne sait pas très bien si des êtres y vivent. On ne les voit pas, peut-être plus rares encore que les habitants du cimetière sur le roc.


 Le cimetière de Ronesque-le-Roc en gris

 
 
 
 

samedi 5 septembre 2015

Histoire sans paroles (19)

Un coin de Ronda, ville d’Andalousie, fameuse pour son édification au bord d’un précipice de 170 mètres et pour ses arènes séculaires, capitale spirituelle des divertissements taurins sanguinaires.

vendredi 4 septembre 2015

Le château en chantier

El Cortijo Jurado, l'hacienda enchantée avant qu'elle soit repeinte en rose.

À Campanillas, banlieue de Malaga, en Andalousie, se dessinait encore récemment au milieu des échangeurs autoroutiers, au bout des pistes de l'aéroport, la silhouette isolée d’une opulente hacienda abandonnée, El Cortijo Jurado. Un projet d'hôtel de luxe avait laissé à ses pieds une série de constructions interrompues par la crise économique.

Petite fierté locale pleine de courants d'air, de passages secrets, de fantômes, d'atroces tortures et d’enlèvements de jeunes vierges, l’hacienda faisait le bonheur des journaux régionaux en manque d’actualité et des associations de désespérés en quête de phénomènes paranormaux.
Les cinéastes en herbe y expérimentaient leur premiers films de genre assaisonnés de violents bruits soudains, de mouvements de caméra erratiques et de musiques de films d’horreur. On trouve encore par dizaines leurs productions puériles sur les sites contributifs.

Et puis après des années de rebondissements juridiques, le propriétaire faisait récemment refaire les toitures et peindre en rose l’immense carcasse vide. Le prix de vente en était multiplié par 10, soit 16 millions d’euros.
Aujourd’hui 4 septembre l’annonce vient d’être retirée du site de l’agence immobilière.
 

dimanche 30 août 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (7)

Un des ours du petit diverticule à l'est de l’entrée de la grotte Chauvet originale, tracé d’un geste assuré à l’ocre rouge.

Le 18 décembre 1994, un certain M. Chauvet et deux amis, spéléologues, découvrent au lieu-dit de la Combe d’Arc sur une falaise qui longe la rivière Ardèche l’entrée obstruée de ce qui s’est révélé être l’une des plus riches grottes ornées de l’art paléolithique européen.

Le style des œuvres y est globalement moins raffiné que dans les grottes d’Altamira ou de Lascaux, mais les techniques et les figures de style en sont étonnamment proches bien qu'éloignées de 10 à 15 000 ans, d’après les datations (encore très discutées) du charbon de bois qui les aurait tracées.

D’éminents scientifiques de divers ministères eurent alors le privilège d’étudier longuement et scrupuleusement la grotte. Ils décidèrent en toute impartialité, pour protéger la caverne, que le public ne devrait jamais avoir le droit de visite, à l’exception des mêmes scientifiques, des découvreurs de la grotte, des « Officiels », et de leurs familles et amis.

Puis s'ensuivirent, comme il est naturel autour des plus grandes réalisations de l’Humanité, vingt années de petitesses administratives et de mesquineries judiciaires à propos de l’exploitation commerciale du nom du site, de la propriété de la terre et des droits de l’image sur les œuvres pariétales.

Et comme le public, indifférent aux questions d’authenticité, est toujours prêt à affluer aveuglément à tout événement qui l’éloigne de son ennui ordinaire, on décida de créer une copie, deux kilomètres au nord de l’original.
Ce fut rondement fait en trois ans, avec de la dynamite et beaucoup de béton (voir le documentaire Les génies de la grotte Chauvet).
Le résultat n’est pas un véritable facsimilé car pour respecter l’enveloppe budgétaire les surfaces artistiquement ou paléontologiquement sans intérêt ont été ignorées et les 8500 mètres carrés au sol de la grotte ont été ainsi concentrés sur 3000 mètres carrés.

Les copistes des œuvres graphiques disent avoir « reproduit les gestes originaux avec les matériaux de l’époque - notamment l’ocre et le charbon de bois - et sacrifié ainsi un peu de l'exactitude au profit de la dynamique et du souffle qui anime les figures ». Ils insistent en se qualifiant de faussaires plutôt que copistes (« Les génies de la grotte Chauvet » à 7’30 et revue Science et avenir 819, mai 2015, p.11).
On le constatera sur le site internet de la réplique. Parcimonieux, il mêle discrètement quelques rares reproductions des parois de la copie, appelée « Caverne du pont d’Arc », à des parois originales furtivement sous-titrées « Grotte Chauvet Pont d’Arc ». On remarquera peut-être sur les copies l’application avec laquelle les faussaires contemporains ont imité le style de leurs lointains confrères de la préhistoire. Cela donne à leurs traits un aspect un peu sec, que le temps se chargera certainement d’user et d’adoucir.

Le public peut visiter la copie depuis le 25 avril 2015.
La presse unanime a poli pour l’occasion l’artillerie des superlatifs, à l’exception d’un journaliste anglais dans The Guardian qui s’exclame « Qui paierait pour aller voir un faux Rembrandt ? »
Question éternelle. Manifestement beaucoup de monde, répondent les premiers chiffres de fréquentation, pour l’instant le double des estimations, environ 60 000 visiteurs par mois (pour mémoire les découvreurs touchent 3% de la recette).

Pourtant la réplique se visite au pas de course, dit-on, en 50 minutes dans la pénombre, l’humidité et le brouhaha, derrière un guide obligatoire, à raison d'un groupe de 28 toutes les 4 minutes. La durée de chaque station est rigoureusement chronométrée après quoi son et lumière sont coupés.
Et pour qu’il n’en reste aucun souvenir toute photographie y est strictement prohibée, ou peut-être pour ne pas permettre la comparaison avec le site original, ou pour accélérer ce flux lucratif et vendre plus de cartes postales, ou pour respecter les droits d’auteur des artistes préhistoriques, qui sait ?

Finalement on a maintenant une grotte Chauvet nommée caverne, certes un peu rétrécie et surpeuplée mais avec tout le confort moderne, parking, toilettes et boutique de souvenirs.
L’amateur exigeant aura peut-être intérêt à visiter le superbe site virtuel officiel de la grotte originale qui lui procurera des heures d’une admiration moins frelatée.
 

dimanche 16 août 2015

La vie des cimetières (64)

Milan cimetière monumental, soldat indisposé vers sect. 9-13, 11.05.2008


À l’occasion des grandes guerres il importe aux nations que leurs représentants en première ligne se sentent soutenus par l’affection conjuguée de leur famille et de leur patrie.

Alors pour faciliter les échanges épistolaires et éviter la déconvenue des lettres censurées qui ne parviendront jamais à leurs destinataires, l’administration des postes a imaginé la carte postale préremplie en franchise militaire.

Carte postale préremplie, 1914-1918


On remarque à la lecture de leur contenu normalisé que l’expression « carte en franchise » est à prendre ici uniquement dans le sens d’une exemption de timbre.

Ainsi peut-on mourir pour son pays en toute sérénité, l’esprit en paix. Une missive prometteuse est en route vers les personnes aimées.


Milan cimetière monumental, soldat mort vers sect. 9-13, 11.05.2008

Milan cimetière monumental, soldat mort vers sect. 9-13, 11.05.2008

samedi 8 août 2015

Histoire sans paroles (18)

Ronda, 17 juillet 2012.

À l'adresse des personnes qui approuvent la loi opportuniste adoptée en juillet par l'Assemblée Nationale et qui autorise une surveillance généralisée des échanges entre citoyens (loi Renseignement), rappelons cette pensée d'Edward Snowden « Soutenir que vous êtes indifférents au droit à la vie privée parce que vous n’avez rien à cacher revient à dire que vous vous contrefichez de la liberté d’expression parce que vous n’avez rien à dire. »
 

samedi 25 juillet 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (6)


Certainement, l’affaire a été relayée à profusion par la presse, mais quand un fonctionnaire et artiste chinois met sa fonction et son habileté au service de l’amélioration d’une quantité de chefs-d’œuvre de la peinture chinoise, Ce Glob est Plat, promoteur du concept, se doit de le relater.

De 2004 à 2006, un archiviste de haut rang de l’Académie des beaux-arts de Canton (Guangzhou) a remplacé, dans les galeries de l’école, 143 peintures et calligraphies de grands maitres chinois par des copies de sa main, tandis qu’il négociait les originaux sur le marché de l’art par l’intermédiaire d’une maison d’enchères très officielle.
Puis il plaçait ses gains dans l’immobilier et la peinture. Qui lui reprocherait ces placements judicieux ?

Et puis en 2014, un spécialiste identifiait dans une vente le sceau de l’Académie des beaux-arts sur une œuvre mise aux enchères.
Le fautif a reconnu ses méfaits, 125 originaux vendus. Il s’est un peu défendu en prétendant y avoir été incité lors de sa prise de fonctions, quand il a remarqué que la pratique était déjà bien installée à l’Académie qui exposait déjà des faux.

Hélas s’il est bon que les œuvres du passé, qui fatiguent et se détériorent, soient régulièrement renouvelées par de fraiches copies, ça ne devrait jamais être au détriment de la qualité, ce qui semble malheureusement être le cas ici.
Car parmi les faux qui lui sont reprochés, le faussaire affirme qu’il y a déjà, après quelques années seulement, des copies de ses propres copies, et qu’il reconnait à leur médiocre qualité, ce qui le navre.

On raconte que c’est chose fréquente en Chine et que les musées regorgent de faux. Le musée de Jibaozhai, par exemple, aurait été fermé en 2013 parce que la grande majorité de ses milliers d’objets étaient des copies.
Ces choses-là se passent toujours aux antipodes.
Cependant on le dit aussi, dans une mesure plus modeste, d’autres musées de première grandeur, de l’Art Institute de Chicago au Centre Pompidou de Paris qui faillit acheter trois faux Mondrian en 1978.

Personne n’est parfait.
   

dimanche 19 juillet 2015

Renseignements

Art rupestre, Regards par Jean Faucheur, fort d’Aubervilliers, juillet 2014

Il y a bien longtemps que les murs ont des oreilles.

Déjà en 1694, le dictionnaire de l’Académie françoise nous mettait en garde. Depuis les murs ont été équipés de tous les organes utiles à la surveillance généralisée.
On sait que nos rues sont envahies d’yeux.
Il parait que tous les sondages, payés par les intéressés, démontrent qu’une confortable majorité de la population, qui n’a rien à se reprocher et qui a très peur du terrorisme tel qu’il est exalté dans la Presse, est favorable à ces mesures d’espionnage généralisé. Il suffit d'appeler cela « protection ».

La Boétie également nous avait prévenus, en 1548 dans son Discours de la servitude volontaire « Quel est ce vice horrible, de voir un nombre infini d’hommes, non seulement obéir, mais servir, non pas être gouvernés, mais être tyrannisés ? »
Jean Faucheur, artiste de rue, aura beau affubler de sourires rassurants tous ces yeux qui nous scrutent, il est trop tard.

Nous sommes les seuls responsables de notre propre servitude.
   

Mise à jour : Le 24 juillet 2015, tout est consommé. Les instances censées contrôler la constitutionnalité de la loi Renseignement promue par un gouvernement socialiste se sont déculottées. La France, pays des libertés, peut donc impunément surveiller massivement le contenu des échanges et le comportement sur Internet de tous ses concitoyens, sans demander d'autorisation à quiconque, sans contre-pouvoir, comme dans les bonnes vieilles démocraties populaires de Chine et de Corée du nord. 
Il est temps pour tous de s'équiper d'un réseau privé virtuel (VPN), à l'étranger, c'est un abonnement de quelques euros par mois.

dimanche 12 juillet 2015

Les poissons, c'est le mal !

Pieter Brueghel l’ancien, la chute des anges rebelles, 1562, détail (Bruxelles Musée des beaux-arts)

L’Internet frissonne depuis quelques jours d’un scandale de l’iconoclasme. Et c’est le commandant Cousteau, référence aquatique des protecteurs de la nature, record de la longévité parmi les idoles des Français, qui est profané.
Il est sali par un certain Gérard Mordillat, personne au louche passé communiste (il aurait à 4 ans admiré Staline et à 7 ans soutenu l’écrasement de l’insurrection hongroise à Budapest), et surtout écrivain membre de l’équipe des « Papous dans la tête » de la radio France Culture, une collection de personnages sans moralité dès qu’il s’agit de faire un jeu de mots, tous les dimanches à partir de 12h45 (les samedis à 20h depuis le 2 septembre 2017).

Mordillat vient de revoir le film culte de tous les admirateurs de la nature depuis 60 ans, « Le monde du silence », réalisé par Louis Malle et Cousteau. Rappelons que c’est un documentaire, couvert de récompenses, qui a sensibilisé plusieurs générations à la mer et ses merveilles, et suscité des vocations planétaires.

Et Mordillat en fait une chronique de 5 minutes dans l’émission « Là-bas si j’y suis » du 11 juin 2015. Il a surtout ressenti un profonde nausée devant la majorité des scènes du film (il le démontre par des extraits) et se dit stupéfait de l’aveuglement des spectateurs de l’époque (dont lui-même), car il n’y a rien dans ce film que des manières de conquistadors envers les animaux marins, des plaisanteries douteuses, des harcèlements, jusqu’au massacre méthodique (1).
On peut résumer l’atmosphère du film à cette déclaration de Cousteau qui commente l’explosion d’un massif de coraux à la dynamite par des biologistes « C’est un acte de vandalisme mais c’est la seule méthode qui permette de faire le recensement de toutes les espèces vivantes ». C’est juste, pour compter les vivants il vaut mieux qu’ils soient morts.

Depuis, Mordillat est largement couvert de mépris et d’injures dans les commentaires des sites qui ont relayé sa chronique. On le qualifie d’inconnu minable, il ferait sa propre publicité en déboulonnant la statue d'un géant qui a ouvert les yeux des générations sur la fragilité de la planète, à quoi un commentaire ironise « C’est bien connu, l’océan va beaucoup mieux depuis qu’il a été exploré par Cousteau ».

Il faut dire que les arguments opposés à Mordillat ne semblent pas très sérieux.
Par exemple on lui affirme que la vision et le comportement de Cousteau ont beaucoup évolué depuis le film. Pourtant la relation d’un incident dans la baie du Saint-Laurent en 1999 montre que les méthodes de colonisateur de l’équipe Cousteau sont restées les mêmes à 45 ans de distance.

On objecte également à Mordillat que les mentalités ont changé et qu’on ne peut pas juger aujourd’hui des pratiques d’il y a 60 ans qui n’étaient pas choquantes alors.
Pourtant il n’est pas le premier à s’être indigné de la gloire d’un film si barbare. En 2011 un roboratif blog sur le cinéma (hélas éteint depuis 3 ans), Mauvaises langues, en avait fait une longue critique désabusée et définitive. Et déjà, en 1995, un article saignant de M.D Lelièvre dans Libération « L'homme qui grenouille » avait étrillé le film et crucifié l'explorateur.
Et on pourrait remonter le temps, on trouvera toujours des spectateurs horrifiés, comme il y a toujours eu des adversaires de la torture, de la corrida, de l’esclavage ou de la peine de mort, et de l’autre côté des partisans des mêmes plaisirs, armés de bonnes intentions.

Finalement il ne s’agit pas de juger une époque révolue, chose sans intérêt, mais de déconseiller au lecteur sensible une œuvre par ailleurs tant louée qu’elle pourrait lui faire croire que de telles mœurs sont naturelles, et de l’alerter sur un film qui aurait mieux fait de rester dans le monde du silence.

Mise à jour du 31 décembre 2021 : depuis quelques années quelqu’un de bien intentionné a bloqué le film et les commentaires sur Youtube en France. Mais l'adresse URL du film ne change pas. Le lien de la note (1) conduit bien vers la 46ème minute du film, si vous avez eu la bonne idée d'utiliser un VPN et de lui demander de vous situer hors de France.

***
(1) Attardons-nous par exemple sur la scène des cachalots (46’40’’). L’équipage, qui s’ennuie depuis des jours, repère des cachalots, les rattrape, essaie d’en harponner puis les poursuit. Les animaux sont peu méfiants. Une manœuvre du bateau (48’45’’) le fait heurter un adulte qu’il blesse. L’étrave du bateau est faussée. À l’appel de détresse du blessé arrivent de partout des groupes de cachalots. Au lieu de couper les moteurs et de laisser fuir les animaux Cousteau veut les poursuivre encore. Un bébé cachalot de 6 mètres est alors déchiqueté par les hélices du bateau (50’00’’). Le moteur stoppe automatiquement. Cousteau demande de le relancer. On abrège les souffrances du cachalot à coups de harpons inutiles, puis d’une balle dans la tête (52’13’’). La mer est rouge vif.

L’histoire n’est pas terminée. Suit une envolée d’amour de la nature qui finira en massacre de requins à coups de massue sur le pont du navire, commenté ainsi par Cousteau « Rien ne peut retenir une haine ancestrale » (56’08’’). Sommet d’intelligence humaine cette scène à certainement justifié la palme d’or du festival de Cannes décernée au reportage en 1956 par un jury qui s'est peut-être cru dans une habile fiction.

Pieter Brueghel l’ancien, la chute des anges rebelles, 1562, détail (Bruxelles Musée des beaux-arts)

samedi 4 juillet 2015

La vie des cimetières (63)



Tout le monde n’est pas enterré dans ces parkings à tombes que sont les cimetières. Certains restes sont au-dessus des lois. Mais pour cela il faut particulièrement se faire remarquer de son vivant.
Bernat de Vilamarí le second, comte de Capaccio, était de ces bienheureux.

De son vivant héritier très fortuné, il mettait navires et galères au service belliqueux des couronnes d’Aragon et de Naples, notamment contre le Turc.

À sa mort en 1516, en remerciement, il était sculpté à Naples, gisant nonchalamment accoudé sur le couvercle de son cercueil, affublé d'une armure de marbre et du sourire béat d’un sommeil sans nuage.
Puis on installa son tombeau monumental vers 1518 sous le porche d’accès à l’atrium de la basilique de Montserrat, près de Barcelone. Ses os arrivèrent un peu plus tard.

Hélas l’estime et l’adoration sont inconstantes. Désaffecté, déplacé, profané, détruit en 1811, ne restaient que quelques fragments lors de la reconstitution du mausolée en 1956.

Gravé sur sa tombe, un aphorisme latin « Vixit Ut Semper Viveret », que Gougueule traduit aléatoirement par « Lorsque qui ait jamais vécu », signifierait grosso modo, « Il est devenu poussière, mais il est toujours présent dans nos pensées, ne serait-ce que parce qu’il faut le dépoussiérer régulièrement par respect du touriste. »
   

dimanche 28 juin 2015

Histoire sans paroles (17)

Jardins du Généralife, Alhambra de Grenade, Andalousie
 
Jardin abandonné d'un palais à Viznar près de Grenade,
huile sur toile de Santiago Rusiñol, 1895
(Grenade, Alhambra, palais de Charles Quint, musée des beaux-arts)

lundi 22 juin 2015

Rembrandt, le retour

Rembrandt, David joue de la harpe pour le roi Saül (La Haye, Mauritshuis)

Comme Caravage ou Corot, Rembrandt est un des peintres phares qui ont modelé notre vision du monde et que la postérité a généreusement crédités de tableaux produits par d’autres, suiveurs et imitateurs anonymes.
Et puis, avec le temps, l’analyse scientifique des peintures progressant avec l'évolution des techniques, on observe l’érosion lente du catalogue de leurs œuvres indiscutables.

Les plus anciens se souviendront peut-être du grand nettoyage qu'avait subi le catalogue des œuvres attribuées à Rembrandt à la fin des années 1960, sous l'autorité d'Horst Gerson, expert incontesté. Le nombre de tableaux authentiques était alors passé d'environ 600 à 420. Une fonte d'un tiers qui avait causé chez les collectionneurs et les admirateurs du peintre de grandes déceptions, des banqueroutes, voire pire.
Puis d'autres catalogues d’autres experts suivirent qui réduisirent encore le décompte.

On pensait le phénomène irrémédiablement à sens unique, mais le musée Mauritshuis de La Haye présente aujourd’hui et jusqu'au 13 septembre, en vedette d’une exposition intitulée « Rembrandt ? L’affaire Saül et David », un tableau qui, au contraire, revient d’un séjour de 45 ans dans les enfers de l’anonymat.
Acheté sur le marché de l’art comme Rembrandt authentique par Abraham Bredius en 1898, offert au musée et unanimement admiré, il était banni par Gerson en 1969. Il faut dire que son examen détaillé révélait une toile rapiécée comme une vieille chaussette, à l’aide notamment d’un morceau de portrait de religieuse par un imitateur d‘Antoon Van Dyck, recouvert de peinture brune.

Dernier épisode, le tableau vient d’être consciencieusement restauré par le Mauritshuis et son exposition couronne 8 années d’une étude approfondie. Histoire de créer un peu de rumeur médiatique la publicité de l'exposition laisse un léger mystère sur l'attribution à Rembrandt, mais la lecture attentive du site du musée lève tout doute sur les conclusions du groupe d’experts internationaux qu’il a réunis.

Et après tout, peu importe.
Rappelons aux amateurs décontenancés par la valse des étiquettes qu'un tableau n'est pas beau parce qu'il est de Rembrandt, d'ailleurs il en a raté un certain nombre, mais c'est parce qu'un bon nombre de tableaux d'un Monsieur Rembrandt sont des merveilles de clair-obscur et de profondeur humaine qu'il est un peintre influent et inoubliable.
   

dimanche 14 juin 2015

Nuages (36)




Bruxelles avant l'orage, Place de l'Albertine et Hôtel de ville, 5 juin 2015.

mercredi 10 juin 2015

Sale temps sur Moulinsart ?

Le château de Cheverny, amputé des deux bras par Hergé en 1944, retouché en 2005 par Christophe Finot, et en 2015 par Photoshop.

Depuis plus de 20 ans, le nouveau mari de la veuve d’Hergé règne en maitre sur l’héritage, au nom de la société Moulinsart. La moindre association de fans qui souhaite utiliser sans but commercial quelques vignettes d’albums de Tintin doit engraisser le despote sous peine de poursuite judiciaire.

Or une bande de 680 passionnés, « Hergé Genootschap » (l’Association Hergé), a toujours refusé d’honorer cette taxation. Attaquée en justice par Moulinsart l’association a déniché pour sa défense un contrat du 9 avril 1942 où Hergé cède l’ensemble des droits de publication de ses albums dessinés à la société d'édition Casterman, et ce en toutes langues.

La justice néerlandaise vient par conséquent de rejeter la demande de Moulinsart concluant qu’elle n’aurait aucun droit sur la publication des textes et images extraits des aventures de Tintin dans l’exercice du droit de citation.
Ainsi depuis 32 ans, les héritiers d’Hergé auraient usurpé des droits patrimoniaux, illégalement interdit des publications et indument encaissé des bénéfices à la place de la société Casterman.
Mais il semble évident que tous le savaient, et que Casterman qui vit déjà grassement d’Hergé a volontiers abandonné aux héritiers la tâche ingrate des poursuites judiciaires et les gains mineurs en regard de la manne qu’est la publication mondiale des albums de Tintin.

Alors, amateurs du petit personnage insipide, ne vous réjouissez que très modérément, car si la chose se confirme il y a gros à parier que Casterman poursuivra la politique agressive de Moulinsart.

Et si la décision de la justice néerlandaise (semblable à certaines en France) procure une petite satisfaction théorique, il faudra toujours attendre l’an 2054 que l’œuvre d’Hergé revienne au domaine public. Et probablement plus encore, car d'ici là les bénéficiaires des droits d'auteur auront tout le temps d'obtenir de l'incorruptible législateur, comme dans un passé récent, une prolongation de la durée de protection de leur rente.
   

jeudi 28 mai 2015

Histoire sans paroles (16)

19 chaises dans le jardin des Tuileries, Paris 1er.

lundi 25 mai 2015

La bougie du centenaire

Georges de La Tour, détail de la Femme à la puce, vers 1638, 
musée lorrain de Nancy.


« Même en mettant plein d'engrais, 
pour un chêne centenaire, il faut cent ans. »
J.M. Gourio, Recueil de brèves de comptoir.

Un centenaire est une chose véritablement importante. Il se célèbre bien entendu tous les cent ans à grand bruit et avec force promotion dans toute la presse et les médias audiovisuels. Comme tout anniversaire majeur il relance opportunément la prodigalité assoupie du client.
Il ne fonctionne évidemment que dans les civilisations qui ont adopté le calcul décimal. Mais qui ne l'a pas adopté de nos jours, de gré ou de force ?

Tous les centenaires ne sont pas systématiquement fêtés. Il en est qui tardent à respecter la régularité que requiert la plus élémentaire des convenances. Ainsi, les crues centennales de la Seine qui devraient commémorer les inondations funestes de 1911 à Paris se font encore attendre.

Mais n'ergotons pas et réjouissons-nous, car c'est aujourd'hui le centenaire de la publication par Hermann Voss, historien d'art, dans une obscure revue allemande (Archiv für Kunstgeschichte, 2ème année, fascicule 3-4, 1915), d'un article d'une page qui associait pour la première fois à un même nom inconnu des documents épars, des signatures et quelques tableaux dispersés; un nom qui allait dès lors devenir l'un des plus considérés de la peinture et de l'art occidental, Georges de La Tour.
 

vendredi 15 mai 2015

Snowden, héros à lunettes

Le 6 avril dernier à l’aube, installé clandestinement par une poignée d’admirateurs industrieux, le buste d’Edward Snowden trônait sur un piédestal vacant du cimetière mémorial des martyrs morts pour l’indépendance, dans le parc de Fort Greene à New York.

Le monde entier connait Edward Snowden, traitre pour son pays depuis qu’il a dévoilé les preuves d’une surveillance paranoïaque généralisée de toutes les communications de la planète par une agence américaine, la NSA, et montré qu’elle se fournissait automatiquement en informations et conversations privées auprès de ces manipulateurs de données personnelles que nous alimentons en permanence, Apple, FaceBook, Google, Microsoft, Skype, et tant d’autres, banques et opérateurs de télécommunication.

La journaliste Laura Poitras qui a la confiance de Snowden a fait de ces divulgations un documentaire de 2 heures, passionnant et inquiétant comme un film d’Hitchcock, « Citizenfour ».
L’homme ne ressemble pas tout à fait au superhéros qui sauve systématiquement la planète dans la plupart des films américains. Il porte des lunettes et parait scrupuleux, responsable et modeste alors que son pays est prêt à tout pour le capturer et l’annihiler.

Aujourd’hui, deux ans après ses révélations, Snowden est encore vivant, toujours exilé en Russie, et il ne se fait pas d’illusions. Las, il a déclaré « On fait un scandale international quand on apprend que les communications d’un chef d’état sont écoutées, mais rien ne bouge quand on sait que ses 80 millions de concitoyens sont également surveillés ».

Envieux, le gouvernement français, qui a compris qu’une large majorité de ses administrés (les deux tiers dit-on) est inconsciente des risques de la cybersurveillance, tente de mettre en place sans précaution un système analogue de contrôle systématisé de la vie privée, à l’échelle du pays. Ça s’appelle la loi « Renseignements » et le 5 mai une accablante majorité des députés de l’Assemblée Nationale lui a accordé sa bénédiction.

Bientôt Snowden fera un faux pas. On l’enterrera clandestinement, sans fanfare, tandis que l’espèce humaine impassible continuera lentement la marche vers sa véritable destinée d’animal de boucherie, décrite par Orwell en 1949, déjà testée à grande échelle par Lénine, Staline, Hitler, Mao, Pol Pot au 20ème siècle, et magistralement aboutie depuis 67 ans en Corée du nord, pour le seul profit d’une lignée de dégénérés, la famille Kim.

Le 6 avril dernier, autour de midi, le buste d’Edward Snowden était déjà bâché par les autorités du parc de Fort Greene, puis plus tard enlevé furtivement.

Il reste quelques photographies de ce regrettable incident.


vendredi 8 mai 2015

Gruyaert (et Roy Andersson)

Un point de vue sur la rétrospective Harry Gruyaert à la Maison européenne de la photographie. On aperçoit au fond la photo « Maroc Ouarzazate 1985 ».

Si vous goutez le monde de Roy Andersson, ce rare cinéaste suédois dont les personnages mènent avec application une vie quotidienne douloureuse et sans but et ne font que passer lentement devant des décors fades et épurés, alors vous jugerez certainement belles les photographies de Harry Gruyaert.

Sans se connaitre probablement, ils errent dans un même monde, un monde où les humains sont des ombres aux occupations obscures, ou dérisoires. Andersson le récrée entièrement en studio et le baigne de teintes délavées, Gruyaert le trouve en voyageant dans la réalité, avec ses couleurs terreuses ou acidulées, mais c’est finalement le même monde, gris et sans intention.

Le dernier film de Roy Andersson (un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence) passe dans les salles de cinéma depuis deux semaines, après avoir obtenu en septembre 2014 le prestigieux Lion d’or du festival international de Venise.

La Maison européenne de la photographie (Paris 4ème) présente en rétrospective une cinquantaine des plus beaux clichés de Gruyaert. C’est l’un des grands photographes contemporains (regardez en priorité, sur le site de l'agence Magnum, ses séries sur le Maroc).
Et le superbe petit volume bon marché que lui consacre la collection Photo poche chez Actes Sud vient d’être réédité.

Le printemps est décidément florissant cette année. Il fermera le soir du 14 juin, au 7 rue de Fourcy.
   

jeudi 30 avril 2015

Made in China, la suite

L’imposteur chinois du musée de Dulwich a été démasqué.

Doug Fishbone, organisateur et artiste totalement conceptuel, expérimentait depuis le 10 février la substitution d'un tableau original par une copie fabriquée en chine et exposée au milieu des œuvres du musée.
Il en avait fait un jeu de devinette et en attendait un approfondissement du regard du visiteur, une plus grande circonspection du touriste, et des réponses aux questions fondamentales sur l'Art « Qu'arrive-t-il quand un objet est accroché dans un musée ? Qu'est-ce qui définit l'authenticité d'une œuvre ? Qu'est-ce qui lui donne sa valeur ? »

Fishbone vient de dévoiler la vérité dans une émission de télévision people sur BBC one (1). Le faux était un portrait de jeune femme, assez honnêtement imité d'une esquisse brossée un peu vite par Honoré Fragonard vers 1769.

Portrait de jeune femme, par Fragonard, et sa copie par un atelier chinois, exposés actuellement côte à côte au musée de Dulwich. Ah zut, le commentaire du musée qui précisait lequel était l'original et lequel la copie a été égaré. C'est trop bête.

Bilan de l'opération, la fréquentation du musée a été multipliée par 4 pendant ces deux mois et demi. 3000 visiteurs ont tenté d'identifier l'imposteur chinois. Plus de 12% ont réussi. Il était de loin le tableau le plus cité.
Financièrement encourageante, l'expérience n'a cependant pas résolu les grandes interrogations existentielles de l'artiste. Il pense sans doute les éclaircir lors d'un débat public qu'il programme le 16 mai à 10h30, avec quelques éminents experts (2). Le tarif d'entrée sera de 26 euros et le petit déjeuner offert.

Pour conclure, Fishbone a déclaré « Si cela peut avoir laissé dans l'esprit des gens le soupçon que ce qui leur est présenté n'est peut-être pas tout à fait ce qu'il semble, et que nos expériences peuvent être manipulées à notre insu, l'opération aura été bénéfique. »

D'ailleurs, le tableau copié, l'original, est-il réellement de Fragonard ? On y lit nettement à droite la signature de Grimou, bon portraitiste français du début du 18ème siècle, et les lettres « FRago » moins nettes légèrement au dessus. Les experts et les conservateurs du musée, prompts à l'attribuer au plus coté des deux, y voient une facétie de Fragonard pour taquiner les connaisseurs, disent-ils.

Doit-on les croire ?

***
(1) The One Show le 27.04.2015 à 19h20 (autorisée en territoire anglais seulement il vous faudra utiliser un VPN pour voir cette émission en France). 
(2) Notons qu'un des experts invités est Adam Lowe, directeur de Factum Arte, responsable du facsimilé imprimé des Noces de Cana de Véronèse tant admiré à Venise. « Tout se tient » dirait le voisin de palier.  

samedi 25 avril 2015

La vie des cimetières (62)

Paris, promenade dans le cimetière du Père-Lachaise...

L’humanité n’est pas sacrée... Les lois de la physique, de la chimie et de la biologie s’exercent dans un autre champ que celui de la foi, de la morale ou de la politique. La nature n’est ni gaie, ni triste ; ni remplie d’espérance, ni désespérée. Elle anéantira notre espèce en toute innocence.
Yves Paccalet (L’humanité disparaîtra, bon débarras ! 2006) 




Sur le billet au centre est écrit « Ne touche plus aux chapelles ou je ramasse plus les bouteilles des paralysés de France. » 



samedi 18 avril 2015

Le Louvre, un boum de 25% !

Le Louvre, musée superlatif qu’on a toujours chanté sans réserves, arrive encore à nous surprendre.
Près de 10 millions de visiteurs parcourant tous les ans 14 kilomètres de galeries où sont entassées 40 000 œuvres d’art, que pouvait-il inventer de plus pour nous émerveiller ?
Une filiale décentralisée à Livarot ou Saint-Nectaire, une nouvelle aile consacrée à un art délaissé, un kilomètre de vitrines de chefs d’œuvre en canevas ou en bouchons de plastique… Enfin, des prodiges qui le placeraient définitivement au pinacle des institutions de l’Univers.

Eh bien non. Rien de tout cela. Car ce qui va changer c’est le cœur même de l’établissement, son moteur, qui fait les deux tiers de ses ressources propres, en bref, sa billetterie. En effet, le 1er juillet prochain, le billet d’entrée au musée du Louvre augmente de 25% (vingt-cinq pour cent) en passant de 12 à 15 euros et devient un billet unique comprenant l’accès aux collections permanentes et aux expositions temporaires.
L’annonce par l’Agence France Presse, reproduite partout à l'identique, noie soigneusement le poisson en l’entourant de mesurettes insignifiantes, en le comparant à des choses non comparables, et en lui assignant une mission ronflante, la synergie entre les expositions et la collection.
La vente de billets jumelés (collection plus expositions) étant très limitée, de mauvais esprits appelleront cela de la vente forcée plutôt que de la synergie.

De la vente forcée, est-ce possible ?

Pour répondre munissons-nous du dernier rapport d’activités disponible de l’établissement public, celui de l’année 2013. La billetterie y a récolté 61 millions d’euros, 60% des ressources propres du musée. La répartition des 9,2 millions de visiteurs entre collection et expositions y est très lourdement à l’avantage de la première, presque 95%. Une telle distribution rend illusoire (voire hypocrite) le réarrangement des prix des différentes formules de billets.


Résultat, le Louvre haussera donc à compter de juillet le prix du principal billet de 25%, et par conséquent sa recette de billetterie de 24% et ses ressources propres de 15%, pour une grande part au préjudice des touristes étrangers, qui constituent 70% de la totalité des visiteurs et fréquentent très peu les expositions temporaires.

Une bien belle opération, artistique et patriotique (2).

***
(1) En prenant comme valeurs 82% de visites payantes pour les expositions et 62% pour les collections (qui sont les chiffres du rapport p.98), le calcul de la recette présente un écart de 8 millions d’euros probablement dû aux billets à tarif réduit et à l’achat des billets jumelés qui ne sont pas chiffrés dans le rapport. On a donc baissé les taux respectivement à 73% et 54% pour obtenir la recette en billetterie du rapport 2013 (on notera d’ailleurs un écart de 1 million d’euros entre le tableau p.152 et le graphe censé l’illustrer p.151). Puis on a appliqué le même taux aux prévisions pour 2015, sans tenir compte des mesurettes, qui ne peuvent pas influencer sensiblement le résultat.

(2) Quelques chiffres amusants :
Sur 8 visiteurs, le Louvre reçoit 2 français, 1 américain et 1 quart de japonais (ça n’est pas une faute d’orthographe).
D’après le site Louvre pour tous, depuis 2011 le billet est passé de 10 euros à 15, soit une hausse de 50%, et dans le même temps la fréquentation du musée doublait quasiment.

lundi 13 avril 2015

L'art de la reproduction

Véronèse, Noces de Cana, détail.

Tandis que les adorateurs de la vérité attendent dans l'anxiété les conclusions de l'expérimentation de la « copie chinoise de Dulwich », on apprend aujourd'hui, par la revue Télérama, qu'une reproduction imprimée des Noces de Cana a été inaugurée avec force pompe et cérémonial il y a déjà sept ans, au réfectoire du couvent de San Giorgio Maggiore à Venise, et qu’à l’instar des facsimilés des grottes préhistoriques et leurs peintures rupestres, elle y est admirée avec la dévotion qu’on réserve d’habitude aux œuvres originales.

L’histoire remonte au 6 octobre 1653 quand le peintre Paolo Caliari, dit Véronèse, reçoit des moines bénédictins de San Giorgio le paiement d’une immense toile qu’il vient de terminer en 16 mois. Elle couvre le mur du fond du réfectoire, sur 9.90 mètres par 6.66.
Elle représente un repas de noce à Cana où l’un des invités nommé Jésus a fait livrer six jarres de vin qu’on commence à servir aux convives. À 35 ans Véronèse est déjà célèbre pour ses immenses scènes bibliques et architecturales débordant de personnages puissants et colorés.

Puis en 1797, le jeune Bonaparte vainqueur de l’Italie, déjà obsédé par tout ce qui est grand, fait découper la toile en sept morceaux pour la transporter jusqu’au Louvre à Paris où elle est reconstituée.
Elle y est toujours exposée, et les tentatives diplomatiques de restitution à Venise échouent régulièrement.

C’est alors qu’en 2006 une entreprise madrilène spécialisée dans la « conservation des héritages culturels », Factum Arte, armée d’appareillages photographiques et d’imprimantes sophistiqués, de colle, de ficelle, et assistée de beaucoup de main d’œuvre et des autorisations et finances requises, se lança dans la création d’un facsimilé (1) des Noces de Cana.

Et le 11 septembre 2007, l’objet était dévoilé devant les yeux embués d’un parterre d’aristocrates et d’ecclésiastiques. Tous étaient certainement conscients de ne regarder qu’une photographie de luxe, mais la reproduction pharaonique de cette toile gigantesque les émut fort, dit-on.

Comme on le voit, la fausse caverne de Pont d’Arc en Ardèche, la copie chinoise de Dulwich, la réplique espagnole de Venise, sont les indices d’une évolution des mentalités. La valeur émotionnelle souveraine, idolâtre, fétichiste, accordée à l'œuvre originale n’a peut-être plus longtemps à vivre.

***
(1) On distingue généralement copie et facsimilé. Un facsimilé est une reproduction exécutée avec les moyens les plus modernes dans le but d'obtenir un résultat extérieurement identique à l'original. Une copie est fabriquée avec les mêmes moyens que l'original. 
Le facsimilé démontre les capacités de la technologie employée. La copie, parce qu'elle est réalisée à la main, fait la preuve de la virtuosité d'un copieur, et c'est certainement pourquoi elle est mieux placée dans l'échelle des valeurs. Une copie acquiert parfois le statut d'œuvre originale quand les dates de sa réalisation et de celle de son modèle commencent à se confondre dans le temps, comme pour les copies romaines de la statuaire grecque.

dimanche 5 avril 2015

Histoire sans paroles (15)

Puteaux, rue Anatole France, 1er janvier 2002.

dimanche 29 mars 2015

Nuages (35)




Pic escarpé sur les flancs de l'Aiguille Rousse
Alpes savoyardes, près de Peisey.

lundi 23 mars 2015

Ubu président d'établissement public

Il n’y a que le théâtre d’Alfred Jarry et ses frasques ubuesques pour illustrer la bouffonnerie qui vient d’agiter un peu la vase de la culture officielle en France.

Acte 1

L’histoire commence en l’an 2010 dans une petite baronnie près de la Pologne, quand le morbide baron C. qui dirige le musée d’Or-C, constatant que la pompe à Phynance ne suffit plus à la satisfaction de ses besoins démesurés, ordonne l’interdiction absolue de toute photographie dans l’enceinte de son domaine (qui est aussi le Domaine public), histoire de vendre plus de catalogues et de cartes postales.
Insensible aux protestations scandalisées, il est soutenu par le vicomte F. de M.... alors Baudruche de la Culture.

Acte 2

Le brave baron se pavane depuis 4 ans dans son hall de gare, important parmi les touristes soumis, quand tombe l’information scélérate : la nouvelle Fantoche de la Culture vient de publier une directive « Tous photographes » demandant gentiment aux nobles dirigeants des établissements publics culturels de laisser la multitude s’amuser un peu avec ses petits appareils photo médiocres, dans tous ces lieux chargés d’histoire et de dignité.
Mais le baron C. qui s’est accoutumé aux plaisirs et aux douceurs de la domination refuse tout bonnement d’appliquer la directive dans son fief.

Acte 3

Un an plus tard.

La scène 1 se passe le 16 mars 2015 au musée d’Or-C où la gentille Potiche de la Culture inaugure une petite exposition consacrée au peintre Bonnard (1867-1947).
À 22h52 elle arrose les réseaux sociaux de quelques photos de tableaux prises sur place.

Dans la scène 2, la plus intense du mélodrame, le 17 mars à 9h30, Bernard Hasquenoph, pourfendeur des abus muséaux, s’offusque sur le même réseau social « France des privilèges @fleurpellerin fait une photo au @MuseeDOrsay où on l'interdit au peuple. »
Le coup est vilain. La Victime de la Culture s’en relèvera-t-elle ?
Après 18 minutes d’une insoutenable tension, la réponse arrive cinglante, inattendue, « Aucun privilège ! Je ne fais qu'appliquer la charte Tous photographes du @MinistereCC ».
Quelle réplique ! Rappelez-vous l’acte 2, l’instruction aux établissements publics.

Scène 3, la tension s'apaise. L’acte se termine par la procession plaintive des réclamants sur le réseau « Qu’attendez-vous alors pour faire respecter la charte dans ce musée ? »

Épilogue

Le rideau tombe.

Un récitant entre en scène et annonce, comme un faire-part funèbre « le lendemain, 18 mars, au musée d’Or-C, une note interne déclarait tristement qu’à la demande de la Figurante de la Culture, le baron C. avait pris la décision de lever l’interdiction de photographier dans le musée, applicable immédiatement. »
Le récitant est acclamé par une explosion d’applaudissements, de sifflets, de cris de joie, de larmes.

Note du metteur en scène : on remarquera que l’acte 3, par ses péripéties invraisemblables, détonne dans l’harmonie d’ensemble du récit. On accusera l’auteur de prendre beaucoup de libertés avec la réalité. Il est par exemple impensable qu’une Marionnette de la Culture en exercice diffuse vers plus de 200 000 suiveurs des images de tableaux dont la reproduction est interdite par la loi sans autorisation des ayants droit (le peintre Bonnard en effet n’entrera dans le Domaine public qu’en 2018).

Mais enfin, on est au théâtre, alors profitons sans arrière-pensée de ces courts moments de fantaisie.


Verrière de la grande galerie dans le musée du baron C. Le populaire décervelé peut désormais en emporter l'image, pour agrémenter son souvenir.