jeudi 3 juin 2021

Le retour de Margot l’engagée

 
Détail d’une gravure de Jacques Callot (Tentation de saint Antoine - 1ère planche. Voir ici le tirage de la BNF) qui fait partie de quelques œuvres du cabinet des dessins du musée des beaux-arts de Nancy dont mad meg (*) a entrelardé son énorme exposition (la moitié de son œuvre ?). Callot gravait le monde du 17ème siècle, qui ne peut plus nous inquiéter. 
Mad meg dessine le monde d'aujourd’hui, avec le même génie. Le lectorat de Ce Glob ne supporterait peut-être pas de reconnaitre son présent à la vue de ses gigantesques pandémoniums à la plume, et risquerait des dommages mentaux. Libre à lui d’aller examiner à ses risques et périls le site fabuleux de mad meg. Nous ne prendrons pas le risque d’en reproduire ici les maléfices.

2020 était pour mad meg une année particulière, et sans doute majeure. Elle venait de vendre son plus grand dessin au Musée des beaux-arts de Nancy (pas seulement grand par son format de 8,7 x 1,5 mètres), et était devenue commissaire (le terme la ferait rigoler) de sa propre exposition, dans le même musée, qui devait se tenir du 10 octobre au 31 janvier 2021, place Stanislas.

Mais 2020 fut en même temps une année particulière pour les musées, à cause d’une épidémie plus mauvaise qu’habituellement qui a entrainé une panique disproportionnée des gouvernements ahuris et désorganisés. Ils ont imaginé que le virus en voulait particulièrement aux visiteurs clairsemés des musées de province. L’exposition, qui avait déjà attendu pour ouvrir la fin d’un premier confinement de 7 mois, était suspendue au bout de trois semaines.
Or aucune des expositions qui comptaient alors (Peinture danoise, Altdorfer, Koudelka), interrompues le 29 octobre 2020, n’a repris avec la réouverture des musées en France depuis le 19 mai 2021.

Sauf mad meg, qui est de retour à Nancy jusqu’au 27 juin 2021 ! 
 
Comment a-t-elle fait ?
Les incantations de sœurcellerie qu’elle a dessinées sur des parchemins de chèvre judicieusement dispersés dans l’exposition y sont certainement pour quelque chose.
Peut-être aura-t-elle usé de ses tarots pipés (qui ne sont pas pour rien dans la nomination d’une femme à la tête du musée du Louvre), ou menacé de manger les dirigeants du musée, cuisinés et assaisonnés.

Il reste à peine un mois pour aller le découvrir à Nancy.

 

(*) On avait présenté mad meg en juillet 19 à l’occasion de l’exposition HEY#4, puis parlé de son immense Cène achetée par Nancy, en aout 20, et annoncé son exposition en octobre 20. On retrouvera le principal de son œuvre sur son site inouï et unique. On trouvera de l’intérêt à suivre ses fréquentes participations au blog communautaire Seenthis.net et à feuilleter son blog de recherche de documentation et de conception de son immense projet depuis 2013, l’École d’Athena (d’après l’École d’Athènes de Raphaël).


vendredi 28 mai 2021

Mystère de l’Extrême-Orient

De notre correspondant très loin…

La physique du 20ème siècle a découvert qu’on ne peut pas connaitre à la fois la position précise et les paramètres de mouvement d’une particule, parce que la matière se comporte aussi comme une onde, et que plus on connait l’une, moins on en sait sur les autres, et inversement. Or tout être humain est composé d’une quantité innombrable de particules.
Dans ces conditions comment parvenir à compter précisément le nombre d’habitants de la Chine ?

D’un côté, le Financial Times, qui sait tout sur le monde parce que ses ordinateurs sont équipés de Windows 98, déclare qu’aujourd’hui la population chinoise décline, pour la première fois depuis 60 ans, depuis la célèbre politique économique de Mao-Zedong, le « Grand bond », qui avait entrainé, on s’en souvient, une telle famine que le seul grand bond fut pendant quelques années celui de la mortalité.

De l’autre côté, le directeur du bureau des statistiques de Chine, froissé (1), annonce une augmentation de plus de 5% en 10 ans (70 millions), et rétorque que le Parti contrôle encore 18% de la population de la planète, mais admet que l’âge moyen du Chinois augmente un peu et qu’il faudra donc augmenter l’âge du départ à la retraite.

(1) Aucun gouvernement n’est prêt à accepter une baisse de sa population. Ça serait inconvenant. On soupçonnerait l’incompétence. Au lieu de se laisser porter par la spirale étourdissante de la consommation il faudrait se prendre la tête avec des questions rasantes sur la gestion des ressources.
   
Qui croire ? Quelles vérifications pourraient convaincre ?

Des esprits mal préparés aux subtilités de la science ont objecté qu’on ne peut pas comparer des êtres humains, notamment chinois, à des particules élémentaires.
Qu’ils se détrompent. Le citoyen chinois se comporte précisément comme une particule et peut parfaitement, par ses propriétés ondulatoires, se trouver au même instant à plusieurs endroits à la fois. 
On en trouvera la preuve incontestable sur le site de BigPixel, vitrine d’un savoir-faire chinois, qui vante sous une apparence touristique sa science en matière de caméras de surveillance des citoyens (2). Vous y constaterez par exemple qu’à Shangaï, ville la plus peuplée du pays, sur une seule prise de vue dont on imagine qu’elle a été vérifiée par les autorités, on trouve déjà un grand nombre de doublons (en illustration ci-dessous un échantillon de doublons proches, présents sur la photo du site).
 
(2) Ceux qui en vivent insistent pour qu’on remplace l’expression « caméras de surveillance » par « caméras de sécurité ou de protection » tant il est vrai que l’apport essentiel de ces caméras est, d’après eux, une augmentation sensible de la sécurité du citoyen. 
Prenons Atlanta, ville la plus sécurisée des États-Unis, avec près de 10 000 caméras pour 500 000 habitants. Elle vient de vivre le 16 mars 2021 le meurtre de 8 personnes de la communauté asiatique dans 3 attentats consécutifs. « Les caméras indiquent - dit la police - qu’il est hautement probable que le même tireur soit impliqué dans les 3 attentats ». On ne saurait apporter éléments d’information plus décisifs pour la protection des citoyens.
 

 
 
Il conviendra donc d’abord d’identifier tous les doublons, y compris distants l’un de l’autre, et d’en établir le pourcentage parmi la totalité des habitants enregistrés par cette caméra, puis de corriger le biais en soustrayant ce pourcentage du total. 
Il ne restera qu’à multiplier le résultat par le nombre de caméras de surveillance protection du pays pour obtenir une estimation consolidée de sa population. Le B-A-BA de la physique statistique en somme.

Ici, nous serons cependant confrontés à un obstacle substantiel, car personne ne s’accorde non plus sur le nombre de caméras de surveillance protection installées en Chine dans le cadre du projet de gestion du crédit social des citoyens. Elles ne sont pourtant pas dissimulées (sans doute parce que la technique ne le permet pas encore).
Le chiffre le plus courant, mais qui date un peu, parle de 200 millions, certaines sources relativement fiables n’hésitent pas à affirmer 400 millions et bientôt 600, jusqu’à soupçonner un objectif de 2,76 milliards, soit 2 caméras par Chinois.
Mais ce sont des conjectures, personne n’est allé les compter, ce qui serait pourtant la méthode scientifique pertinente.

On parle toutefois d’un artiste chinois, Deng Yufeng, qui, par des repérages méticuleux, a fait un inventaire précis des caméras de certaines rues de Pékin (Béijing), modèles, localisations, orientations, angles de vue, et organisé des itinéraires touristiques narquois (c’est un artiste), où le jeu consistait à effectuer le parcours en évitant le plus grand nombre possible de caméras, et en tournant le dos aux autres, pour ne pas être repéré ni reconnu.
Inutile de préciser qu’à ce jeu nombre de citoyens ont été identifiés - pas toujours les vrais coupables, on ne dira jamais assez les conséquences dramatiques du port du masque sanitaire - et ont perdu, pour comportement incivil, des dizaines de points de crédit et certains droits sociaux.
Il devient illusoire, dans ces conditions, de penser se fier à des recensements de caméras aussi précaires.

On réalisera finalement que le dénombrement d’une population par le moyen des caméras est une opération sans limite, sisyphéenne diraient certains dictionnaires, car le nombre et la puissance des caméras paraissent augmenter plus vite que le nombre d’habitants, sans que l’on ait pour autant les moyens de justifier chacun des chiffres de cette comparaison.

Ainsi la Chine restera un mystère. Et ça n’est pas dû au Chinois. Hors de son pays, on s’aperçoit que c’est un être humain. Mais en Chine, les règles de la biologie et de la sociologie ne sont plus les mêmes.

On balaiera aisément les accusations de xénophobie que ne manqueront pas d’éveiller ces constats. Ces dérèglements sont générés par les relations malsaines qui lient les détenteurs d’un pouvoir et ceux sur lesquels il s’exerce. La chose est banale, elle a été pointée depuis longtemps par Étienne de la Boétie, et si la Chine parait emblématique, c’est que son système est en avance sur les autres nations, dont les gouvernements lui envient les méthodes et l’efficacité.

Par exemple on peut sourire, en France, des désaccords systématiques entre les autorités et les intéressés sur le décompte des participants à une manifestation, ou à une réunion politique. Or les deux chiffres sont à chaque fois exacts.
C’est que les lois de la physique y ont déjà entamé leur lente dérive, et qu’il suffirait d’un rien, pour que les chiffres de la pandémie soient annoncés officiellement en omettant de les relativiser, pour que l’état d’urgence sanitaire soit négocié en échange d’autres mesures liberticides avec la gratitude des soumis, pour qu’une loi répressive sur la « sécurité globale » soit entérinée par des députés en vacance…

vendredi 21 mai 2021

Histoire sans paroles (40)


Paris, les berges de l’ile de la Cité, quai des orfèvres.
C’est un peu ici, disent des historiens, qu’est née la France, quand le colonisateur romain montra au Gaulois comment utiliser la chèvre tripode pour lui construire un temple dédié à Jupiter, dieu des dieux.
Au fil des siècles, le temple disparaitra quand s’installeront sur l'ile et dans le désordre chronologique, le Palais de justice, les principaux tribunaux du pays, dont celui de Commerce, la cathédrale Notre-Dame, la Sainte Chapelle pour servir d'écrin à l’une des 6 ou 7 couronnes d’épines certifiées que le crucifié aurait portées durant son calvaire, et la Préfecture de police, un temps au 36 quai des orfèvres.
Que manquait-il pour faire une nation ?
L’armée ? Inutile pour un petit bastion protégé naturellement. Ah, le pouvoir législatif peut-être ? En a-t-elle réellement besoin ? Elle s’en passe bien actuellement. Non, la France aurait pu s’arrêter là, aux frontières de l’ile de la Cité, ne pas franchir le fleuve et laisser tout le reste en paix.

 

lundi 17 mai 2021

Fairepart

Paysage bucolique de la Meuse, vu de Mandres-en-Barrois. À l'horizon, le Bois Lejuc, futur tombeau promis à un avenir rayonnant et une renommée durable.

Quand on ne peut pas détruire définitivement ses déchets, il faut bien les entreposer quelque part. Le problème, avec les pires déchets de l’industrie nucléaire, c’est qu’ils diffusent une radioactivité qui détériore les cellules des êtres vivants et qui dure si longtemps qu’à l’échelle d’une civilisation on peut parler d’éternité.

Habituellement les problèmes concernant l’éternité et l’infini, quand ils ne sont pas escamotés par les religieux, sont confiés à des philosophes ou à de grands scientifiques dont on trouve le nom dans les dictionnaires. Mais là, par un de ces trucs dont l’administration a le secret, la tâche a été confiée à de modestes bureaucrates, assistés par la police et l’armée, car on est dans un domaine soumis au « secret défense ». On constatera qu’il ne fait pas bon s’y opposer.

Après avoir durant des décennies rejeté leurs poubelles en pleine mer, ou en avoir truffé des mines abandonnées qui fuyaient de partout, ils ont cette fois choisi la solution de l’ensevelissement sous terre, parce que la balance bénéfices-risques leur parait être aujourd’hui la meilleure. En vérité il n’y a que des risques et pas vraiment de bénéfice, sinon celui de réduire un peu les risques. Leur projet s’appelle Cigeo.
 
Après un laborieux semblant de consultation populaire et à l’aide d’un appui financier important, une région déshéritée et très éloignée des centres de décision a été choisie, qui sera le tombeau des déchets radioactifs de l’Europe. C’est le Bois Lejuc, entre Bure et Mandres-en-Barrois, en Lorraine. Pendant quelques décennies un défilé continu de camions sous surveillance y convoiera des déchets nucléaires qui seront versés dans un grand puits. Puis on fermera le couvercle, peut-être vers la fin du 21ème siècle. 
Comme l’Assemblée nationale a demandé la réversibilité du processus, on ne pourra pas emmurer toutes les personnes qui auront participé au projet, comme cela se fait couramment pour les grands secrets d’État, sépultures de pharaons ou de dictateurs, puisqu’il faudrait alors leur laisser une porte pour ressortir, ce qui serait contreproductif.

Considérant qu’on n’y enterrera pas seulement des déchets nucléaires mais aussi la démocratie - qui était déjà bien malade avant la prise de pouvoir en France d’un monarque omniscient et omnipotent et la répression sanglante des protestations populaires par de notoires psychopathes - les opposants au projet nous convient à apporter une poignée de terre, ou une fleur, à la cérémonie.

Elle se déroulera au tribunal de Bar-le-Duc, les 1, 2 et 3 juin prochains. Sept dissidents seront jugés pour « association de malfaiteurs ». Ça n’est pas une blague, le journal Libération, qui a lu le dossier judiciaire, parle d’une « procédure titanesque employant les ressources de la lutte antiterroristes pour faire taire une poignée d’opposants au projet » (Lisez ici le dossier complet de Reporterre).
 
Notez que le tribunal est situé en face de l’église Saint-Étienne qui héberge le fameux transi de Ligier Richier, effrayante prémonition. Profitez-en pour faire un peu de tourisme.

Si vous ne pouvez pas assister aux funérailles (le providentiel état d’urgence permanent limitera peut-être ce genre de déplacement), vous pouvez tenter d’impressionner la justice en signant une pétition en ligne, soutenue déjà par nombre d’éminentes personnalités.
Elle réclame, au-delà de la légitime relaxe des militants courageux, l’abandon du projet Cigeo. Est-ce bien judicieux ?  
Incontestablement, le projet est pharaonique, dans tous les sens de l’épithète, notamment parce qu’on cherche à cacher les déchets de notre inconséquence dans un endroit inaccessible même aux forces de la nature, alors qu’on sait que les tombeaux des pharaons, qui avaient le même objectif et déployaient des moyens similaires, ont quasiment tous été aussitôt pillés.
 
Mais que faire des déchets si le projet est abandonné ?
On n’aura pas l’ingénuité de suggérer la reprise du projet en respectant cette fois une démarche réellement démocratique. Cela ferait rire tout le monde et provoquerait immanquablement des plaisanteries dans le style « Enterre-les sous les jardins du palais de l’Élysée ! », ce qui serait irréaliste car comme chacun le sait maintenant, le palais de l’Élysée n’est plus tout à fait là où il se trouve.

Laissons donc la question en suspens quelques temps, le calendrier du projet le permet, mais notez bien les coordonnées de l’endroit, car bientôt les cartographies officielles afficheront ostensiblement que la zone n’existe pas, et terminons avec un sujet qui paraitra peut-être plus léger dans ce dossier sensible.

Vous l’aurez remarqué, la pétition, relayée par 9 médias en ligne, pratique l’écriture inclusive, très modérément, par-ci par-là seulement (9 mots sur 606). Louable tentative qui l’honore mais qui lève le voile sur une inégalité flagrante entre les médias en ligne.

En effet seuls 2 des 9 médias - osons moucharder, il s’agit de Libération et de Médiapart - ont été en possession, pour imprimer la pétition, de ces fameux points médians [·] qui ont fait la sinistre réputation de ce mode d’écriture. Les 7 autres médias, plus humbles, n’ont eu à leur disposition que des points communs, banals, indistincts, quelconques [.].
Il faudra bien un jour aussi rechercher l’origine de ces inégalités qui ternissent un peu, malgré tout, l’éclat de notre république.

 

Post-scriptum
Ah, au fait, puisqu’on en parle, des réactions nucléaires font surchauffer graduellement depuis 4 ou 5 ans la marmite de la gigantesque enceinte de protection qui couvre le réacteur en miettes n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine. Incapables d’envoyer le moindre engin qui survivrait aux radiations, les scientifiques ne savent pas ce qu’il s’y passe. Mais ça ne serait pas trop grave, disent-ils.


samedi 8 mai 2021

Investir sous le coronavirus, épisode 5

Un des plus beaux détails de la vue de Marrakech peinte par Churchill en 1943.

Le Journal des Arts.fr - L’ŒIL, comparant la production artistique des trois plus célèbres peintres politiciens, George W. Bush, Adolf Hitler et Winston Churchill, affirmait en 2014 que les tableaux du dernier sont « moins naïfs » que ceux du premier et « moins amateurs » que ceux du deuxième. Nous ne contesterons pas ce jugement de valeur qui relève de l’expertise d’une revue spécialisée, et qui est si difficile à prononcer lorsqu’il s’agit de départager trois styles si proches des sommets de la médiocrité.

D’aucuns diront que le bilan humain (ou inhumain) de ces politiciens peut altérer la neutralité du jugement artistique sur leur peinture. Indiscutablement, les 60 à 80 millions de morts causés directement par la folie du deuxième ou les croisades mercantiles militaires et mortifères du premier, en Irak notamment, ne peuvent être comparés aux quelques déclarations publiques excessives du dernier, dues à l’emportement dans l’action et certainement regrettées ensuite. 
En effet Churchill, dont certaines effigies de bronze ont été outragées pour ce motif, n’était probablement pas fondamentalement raciste. Mais derrière le peintre il y avait un politicien, et qui pouvait parfois laisser aller ses propos, par électoralisme, ou simplement pour le plaisir d’un bon mot accompagné d’un cigare et d’un verre de bourbon. Héros, il n’en était pas moins homme.

Et ce n’est pas dénigrer la préférence esthétique du Journal des Arts que de soupçonner qu’elle était peut-être biaisée par les succès déjà croissants des œuvres de Sir Winston auprès des investisseurs en peinture, préférence couronnée par la vente record, le 1er mars dernier chez Christie’s, d’une vue de Marrakech peinte à l’huile et au pédigrée attendrissant. 
 
En janvier 1943, en pleine guerre mondiale, le président américain Roosevelt et Churchill alors premier ministre anglais se rencontrent au Maroc pour décider du sort des pays ennemis. Ils font un petit détour touristique par Marrakech. Churchill y peint un paysage qu’il enverra peu après, une fois sec, à Roosevelt en cadeau d'anniversaire. Touchant, non ?
 
Et ça n’est pas fini. Ledit tableau, sur le marché de l’art en 2011, était alors offert par un acteur américain célèbre à une starlette très populaire, qui, une fois le couple divorcé, le mettait en vente chez Christie’s le 1er mars.
Bel investissement ! Acquis sans doute à l'époque pour 1 à 2 millions de dollars, il vient de dépasser les 10 millions 10 ans après.

samedi 1 mai 2021

Graff sous graffitis

Les artistes de notre temps côtoient journellement sans trembler les plus profonds gouffres de la pensée, dans lesquels les profanes, vous et moi, verserions au moindre faux pas.

C’est la mésaventure qui vient de surprendre un couple d’amateurs d’art ignorants, quand la police de Séoul (Corée du sud) l’interpela, après l’avoir identifié sur l’enregistrement des caméras de surveillance d’une galerie de peinture qui exposait des œuvres de graffeurs (*).
(*) Artistes révoltés auteurs d’un art de rue illégal et fugace, sous la forme de fresques murales (graffs), mais qui n’a plus rien d’éphémère depuis qu’il se fait en atelier, s’expose dans les galeries chics et se vend chez Sotheby’s ou Christie's.

Le couple ne nia pas l’acte de vandalisme reproché. La scène enregistrée était sans équivoque.

Reconstitution : devant un large tableau d’une quarantaine de mètres carrés couvert de superbes éclaboussures multicolores, à la façon du Jackson Pollock des années 1950, mais en plus guilleret, une silhouette s’empare d’un pinceau, parmi d’autres abandonnés au pied de la toile, le trempe dans un des pots de peinture ouverts proches, et en asperge timidement le centre du tableau de vert émeraude, puis recule pour évaluer et prendre une photo du résultat, tandis qu'une silhouette complice complète calmement le forfait, et repose innocemment le pinceau sur le sol. (voir illustration ci-dessous « Sans titre © JonOne (et Anonymes) », qui alterne l'œuvre avant et après le crime).


Pour justifier cet acte inqualifiable le couple déclara qu’il leur avait semblé évident que les ustensiles de peintre laissés sur place devant ce mur couvert de taches si gaies et fraiches étaient une invitation à participer à la création d'une œuvre d’art publique improvisée.  

Le débonnaire couple savait-il qu’une galerie en vue de la capitale n’expose pas de nos jours le pastiche d’une œuvre du siècle dernier sans une distanciation radicale, sans une audace intellectuelle qui la distinguera ? Et en l’occurrence l’inspiration était dans la présence du matériel de peintre de rue abandonné sur place, comme après un flagrant délit.  

La police, complaisante, relâcha le couple graffiteur jugeant le forfait involontaire et sans intention de nuire.

Décontenancé, JonOne, l’artiste étasunien offensé, qui a fait sa renommée en peignant sur des trains ou des murs de propriétés privées à Paris, et collabore aujourd’hui avec de grandes marques françaises, aurait déclaré à la presse « L’art devrait être religieux, vous ne peignez pas sur une église ».
Il se trouve surtout confronté à un dilemme.
Son œuvre, qu’il avait voulue un hommage à Pollock et que la presse généreuse en zéros estime à 400 000$, attire désormais une foule d’amateurs de selfies. Alors il hésite à faire nettoyer les taches tant qu’elles stimulent sa renommée, et s’oriente probablement - dit un responsable de l’exhibition - vers une remise en état (pour 9000$ couverts par l'assurance) à la fin de l’exposition, quand l’effervescence médiatique sera retombée et que les réseaux sociaux hostiles à la restauration seront passés à autre chose.  

Depuis l’évènement la galerie a installé autour du tableau et du matériel du peintre une clôture basse, dénaturant certes un peu le concept de l’artiste, mais matérialisant plus efficacement cette frontière fondamentale que tout le monde ne perçoit hélas pas immédiatement, et c’est le rôle pédagogique de l’art d’en faire prendre conscience, entre les idées et les choses.
 
Chroniques sur le même thème : Léonard et la tasse volante (15.08.2009), J'écris ton nom (28.02.2013), Améliorons les chefs-d'œuvre (08.11.2015), La déchéance de Gerhard Richter (18.05.2018)

dimanche 25 avril 2021

Vous reprendrez bien un peu de plutonium ?

Alors que les pages « Sport et culture » des médias sont sous assistance respiratoire depuis plus d’un an, éclipsées par les sujets médicaux, profitons de cet engouement pour parler « Sociologie et salubrité publique ».

Tous les ans au printemps reviennent en mémoire les pétales de cerisier flottant comme des cendres sur les ruines de la région de Fukushima, au Japon. On aura dit ici-même beaucoup de bêtises depuis 2011 sur le drame de la centrale de Fukushima, alors que les autorités nucléaires mondiales, guidées par l’infaillible expertise française, claironnent qu’on peut fêter fièrement son 10ème anniversaire, parce qu’elle n’a quasiment pas fait de morts, et parce qu’elle nous aura appris tant de choses sur la résilience (1) de notre espèce, et sur les méthodes de gestion d’un désastre humain, expérimentées ici dans le vif.

(1) Très en vogue depuis une vingtaine d’année, ce mot savant, venu de la physique de la résistance des matériaux aux chocs violents, signifie simplement que la population s’est malgré tout adaptée à un taux élevé de contamination radioactive éparpillée un peu partout, et a su jusqu’à présent et en grande majorité en réchapper. On dit alors que la population est résiliente [comprendre résignée].
  
Dans la riante vallée de la Loire près de Gien, la centrale de Dampierre fête 41 ans sans accident nucléaire (connu). Gougueule Street view, à la demande récente du gouvernement français, assure avec une vraisemblance très relative que la centrale n’existe pas, où peut-être veut-on seulement cacher par pudeur les stigmates de la vétusté qui défigurent sans doute déjà le site.
 
Qu’avons nous appris depuis Fukushima ?
 
Relisons les grands articles de Cécile Anasuma-Brice, sociologue vivant au Japon, ou les rapports d’associations spécialisées comme l’ACRO, qui vient de publier un bilan chiffré (à lire seulement si vous êtes atteints d’un optimisme à toute épreuve, ou si vous avez perdu tout espoir dans l’Humanité).

Nous avons appris qu’au lieu de définir la zone sanitaire d’évacuation de la population en fonction du risque de contamination, il était plus pertinent de la définir en fonction du risque économique de gestion de la catastrophe. Quand l’évacuation devient ruineuse, il est plus simple d’augmenter sur le papier la quantité d’irradiation acceptable pour un humain, ce qui réduit automatiquement les dimensions de la zone à évacuer.
Grâce à Fukushima, la norme internationale a ainsi été multipliée par 20 (et 100 en cas d’accident nucléaire). On notera que la variabilité locale et temporelle de la radioactivité, dans un paysage, est si importante - il suffit parfois de se déplacer de quelques mètres - que toute mesure fiable est impossible, laissant ainsi une bonne latitude aux statistiques des organes de contrôle.

Nous avons également appris qu’après avoir amoncelé la terre radioactive dans des millions de sacs de plastique éparpillés sur le territoire (qu’on utilise maintenant dans la voirie - ils se sont mis à fuir) et avoir constaté que les ruissellements de la montagne et des forêts défaisaient en permanence le travail de décontamination, il était plus efficace de se focaliser sur la diffusion de l’information.
Il a suffi de supprimer petit à petit, dans les lieux publics, l’affichage en temps réel du niveau de radioactivité, de lancer une campagne d’information sur les bienfaits du retour sans risque des habitants (avec néanmoins de strictes consignes sanitaires sur les produits à ne pas consommer et les lieux à éviter), et de promettre la reprise économique de la région en y organisant par exemple certaines épreuves des jeux olympiques (idée qui semble abandonnée depuis).

Nous avons appris qu’une simple astuce administrative pouvait faire revenir dans la région une population incrédule et rétive, ce qu’a fait le Japon en 2017, en interrompant les subventions au logement attribuées depuis 2011 aux exilés, mais en l’accompagnant de programmes pédagogiques destinés à leur apprendre à « gérer le quotidien dans un environnement contaminé ».

Enfin nous savons maintenant que les mauvaises nouvelles, quand elles sont prévues de longue date et inévitables, gagnent à être ressassées dès le début et progressivement, pour une bonne acceptation par les populations. Prenons l’exemple des immenses réservoirs d’eau contaminée pour le refroidissement des réacteurs en fusion, qu’on a additionnés jour après jour jusqu’à ce qu’il y en ait 1000, et plus de place autour de la centrale. La population et les pays voisins ont eu le temps de comprendre, sinon d’accepter, qu’on ne se débarrasserait de ce milliard de litres d’eau, qui risquent de se répandre dans les terres par accident, fuites, tremblement de terre (2), qu’en les jetant à la mer, où ils se dilueront dans une proportion si faible que les poissons les plus rebelles ne protesteront même pas, affirment les experts de la société d’électricité (3).

(2) Arguments spécieux, le véritable motif étant que cette vidange doit laisser la place libre aux milliards de litres suivants, et ce pendant au moins un siècle, disent les pessimistes.
(3) À propos d'information du public sur les rejets, rappelons le 2ème accident nucléaire français, à Saint-Laurent-des-Eaux, le 13.03.80, avec début de fusion du cœur du réacteur et rejets radioactifs [lire le rapport ministériel de 2016], notamment de plutonium dans la Loire, pendant 5 ans sans que les riverains n'en aient étés clairement informés « C'était pour ne pas créer de panique. Il faut être responsable ! » se défend le président d’honneur d’Électricité De France en 2015 dans le reportage Nucléaire la politique du mensonge.

En résumé, nous aurons retenu qu’en changeant de point de vue et en analysant la situation non plus sous un angle défaitiste, mais avec sang-froid et rigueur, tout problème a sa solution économique.
D’ailleurs le gouvernement français, toujours prompt à mettre en œuvre les préceptes innovants, vient de décider la prolongation de 10 ans de la « durée de vie » de son parc de centrales, répondant ainsi aux propos alarmistes du responsable de l’ASN en 2013 (4) par une maitrise désinhibée du risque nucléaire.

(4) Le président de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN), P.F. Chevet, déclarait à l’Assemblée nationale le 30.05.2013 « Nous disons clairement, depuis un certain temps déjà, pas seulement à la suite de Fukushima, que l’accident est possible en France, et qu’il faut donc se préparer à ce type de situation, y compris à des crises importantes et longues. »

mardi 20 avril 2021

Histoire sans paroles (39)


« Il s'enfonce donc dans la mer, au nord-ouest de l'Islande, et découvre une région qu'il décrira comme la plus étrange et inquiétante du monde. Ce n'est plus de la terre, ni de l'eau, ni de l'air, c'est du brouillard, de la neige fondue, on y trouve des îles flottantes, blanches et bleues. L'Artemis avance entre les icebergs et Pythéas s'engage dans ce qu'il appelle le poumon marin, un mélange impalpable de terre, d'eau et d'air […] Il poursuit sa progression, jusqu'à ce que l'Artemis heurte une ile de glace. Alors, le savant et courageux Pythéas n'ose aller plus avant. »
Alain Bombard, Les grands navigateurs
(sur Pythéas le massaliote, vers 325 avant notre ère)
 

mercredi 14 avril 2021

Salvator Mundi, le retour du zombi

Détail du portrait du Salvator Mundi en cours de restauration par Mme Modestini vers 2005-2006

 
Encore un épisode des tribulations du tableau le plus cher du monde !
 
Cette fois les scénaristes de la série sont en forme, ils ont même un peu fumé la moquette et proposent deux rebondissements simultanés et contradictoires dont les spectateurs ne pourront qu’attendre dans la fébrilité une éventuelle résolution. 

Ce portrait de Jésus, attribué à Léonard de Vinci par ceux qui tirent bénéfice de l’attribution, et boudé par les autres, ce visage flou et fantomatique de diseuse de bonne aventure derrière ses fumigations, ce spectre désossé comme un zombi et qui perd un peu de chair à chaque réapparition, dont on sent malgré le mot FIN qu’il bouge encore et renaitra plus décomposé dans un prochain épisode, ce chef-d’œuvre donc de la renaissance avec une minuscule vient de faire l’objet d’un documentaire récapitulatif de 95 minutes par Antoine Vitkine, diffusé en clair sur le site de France.tv du 13 avril au 12 juin 2021, « Salvator Mundi : la stupéfiante affaire du dernier Vinci ».

Pour qui connait déjà le dossier, le reportage apporte l’éclaircissement de certaines rumeurs vagues, quelques détails savoureux, et une révélation déterminante. Pour qui ne connait pas l’histoire, et pour éviter de renvoyer aux chroniques de Ce Glob qui en ont parlé depuis 2017, voici un résumé des épisodes précédents, qu’on retrouvera richement illustrés à l’écran :
 
1958 : une médiocre effigie du Christ à la boule de cristal, attribuée à Boltraffio, un élève très doué de Léonard de Vinci, est vendue aux enchères 45 livres sterling (équivalant à 1000$ d’aujourd’hui)
 
2005-2007 : le tableau acheté 1100$ est très largement restauré, voire totalement repeint dans l’esprit de Léonard, disent nombre de spécialistes dont une bonne part ne l’ont jamais vu qu’en photographie
 
2007-2010 : la maison d’enchères Christie’s entame une lourde opération de lobbying auprès de quelques experts pour qu’ils l’attribuent à Léonard de Vinci
 
2011 : la National Gallery de Londres (après une réunion informelle et sans trace avec 5 experts qui n’ont pour la plupart pas réellement confirmé) expose le tableau dans le cadre d’une grande rétrospective et l’attribue à Léonard, au mépris de toute déontologie puisqu’il se trouve alors sur le marché de l’art (ce que la National Gallery dit naïvement ne pas avoir su)
 
2012 : malgré ce pédigrée tout frais, les musées et milliardaires sollicités déclinent poliment l’offre
 
2013 : un milliardaire russe douteux, associé à un intermédiaire louche, achète le tableau 127 millions de dollars, et fait un procès à l’associé quand il apprend par la presse que l'escroc s’est réservé une commission de 35% du montant
 
2017 : après une monumentale campagne publicitaire, Christie’s vend le tableau du russe, qu'elle appelle « le dernier Léonard de Vinci », au tout nouveau petit Staline de l’Arabie saoudite (initiales MBS), pour 450 millions de dollars (2,5 fois le précédent record de Picasso en ventes publiques)
 
2018-2019 : le tableau, qu’on pensait voir exposé bientôt au Louvre Abu Dhabi, disparait de la circulation.
 
En réalité, le documentaire nous apprend que pendant que le président français négociait à l'Élysée de lucratifs contrats militaro-culturels avec MBS, le tableau était examiné en secret par la haute technicité des laboratoires du musée du Louvre.
 
Et ici se situe une des branches de l’intrigue scénaristique.
 
Un rapport d’examen aurait alors été rédigé par le musée, mais interdit de diffusion, parce que l’éthique du Louvre commanderait qu’il ne publie rien sur une œuvre qu’il n’expose pas.
Toutefois le reportage nous dévoile, dans la pénombre, la silhouette masquée d’un personnage très haut placé dans la hiérarchie de la République, qui en connait les conclusions, et qui affirme qu’elles excluent l’attribution à Léonard, ou seulement de très loin, et qu’il ne pourra pas être question dans ces conditions de satisfaire le caprice de MBS d’exposer son tableau à côté de la Joconde, à égalité d’authenticité, lors de la grande célébration par le Louvre en 2019 du cinq-centenaire de la mort de Léonard.
On sait depuis que le tableau n’a pas été montré en 2019.
 
Les pièces du puzzle se rejoignent enfin et la conclusion de l’histoire devient morale : le tableau, vaguement inspiré par Léonard, n’est pas de sa main, et la République, qui a aussi une éthique, ne peut pas se discréditer en satisfaisant toutes les lubies d’un prince saoudien (tant qu’il continue tout de même à se fournir en armements pour détruire son voisin péninsulaire).

Cependant, les scénaristes pensaient qu’il restait dans cette affaire suffisamment de potentialités dramatiques pour dévoiler l'endroit où l'intrigue pourrait prendre une autre voie. Ce qu’ils firent à la veille de la diffusion du documentaire de Vitkine.
 
Le 31 mars, un billet déconcertant dans The Art Newspaper, puis les 9 et 13 avril, 2 longs articles libres d’accès de M. Rykner dans la Tribune de l’Art, et enfin le 11 avril un article du New York Times, révélaient que le rapport d’examen du tableau avait réellement fait l’objet de l’édition, par Hazan et le Louvre, d’un livret de 46 pages très illustré, mis en vente, et retiré de la boutique du Louvre dès les premières heures, suite au refus par MBS de prêter le tableau s’il n’était pas exposé selon ses désirs.
Et au moins un exemplaire du rapport aurait été vendu et aurait circulé... Rocambolesque, non ?
 
La péripétie ne ferait pas un rebondissement bien palpitant si ces trois sources n’étaient unanimes et formelles dans leur lecture de l'analyse du musée et de ses résultats : le laboratoire du Louvre conclut son rapport sans hésiter en faveur de l’attribution du tableau à la main de Léonard, et en apporte de solides preuves !

Depuis, M. Vitkine a confirmé avec assurance l’authenticité des témoignages de son documentaire, qui attribuent le tableau à l'atelier, ajoutant qu’il en sait plus qu’il ne peut en dire pour la sécurité de ses sources, et M. Rykner, qui de son côté ne peut raisonnablement pas supposer que le rapport du Louvre est un faux, s’égare un peu, et l’admet, en hypothèses hasardeuses.

Alors qui tire les ficelles de toutes ces marionnettes ? Peut-être les scénaristes de Netflix, dont on dit qu’ils sont hautement qualifiés. Il n’est pas certain qu’on le découvrira dans la prochaine saison de la série. Depuis Ésope, le fabuliste, on ne tue plus la poule aux œufs d’or.
   

jeudi 8 avril 2021

Reims à distance

Théodore Frère, Noce arabe au Caire, 1866 (Reims, musée des beaux-arts)

 
Présenter le catalogue en ligne des 13 000 œuvres du musée des beaux-arts de la ville de Reims quelques jours seulement après celui des 480 000 objets du Louvre de Paris est sans doute un peu cruel.

Fermé physiquement jusqu’en 2024 pour une complète refonte et l’augmentation des surfaces d’exposition, le musée rémois a inauguré son catalogue en ligne en décembre 2020. Il prévoit de présenter 100 000 objets des musées de Reims d’ici 2025.
Les critères de recherche dans la base sont nombreux mais le résultat est classé selon un seul critère non modifiable assez déroutant, peut-être aléatoire.
12 œuvres sont consultables dans le mode démesuré dit gigapixels.

Dans le domaine de la peinture, peu de têtes d’affiche, deux Monet, mais beaucoup de peintres français intéressants et talentueux des années 1830-1960, Penguilly, Dinet, Cazin, Harpignies, Blanche, Corot, Henri-Martin, Maufra, Daumier, Friant, Chaplin, Foujita et Théodore Frère, dont la magnifique et exceptionnelle toile de 3 mètres carrés, « Noce arabe au Caire » (illustration), longtemps délabrée et invisible a été restaurée en 2013.
Puis une longue série de peintures (390) de Paul Lepage montrant Reims vers 1920, détruite à 60% par quatre années de bombardements.
Enfin une mention spéciale pour l'allégorie loufoque d’Albert Maignan, « La Fortune passe », où l’incarnation de la richesse et du hasard, le bandeau relevé, presque nue sur son petit vélo de cirque doré, sème des pièces d’or de sa corne d’abondance sur les escaliers de la Bourse de commerce en narguant les spéculateurs indifférents et évitant au passage une veuve éplorée, vers 1895.

Ce qui rend cruelle la comparaison du musée champenois avec celui du Louvre, c’est qu’une majorité des illustrations du catalogue de Reims peuvent être téléchargées en haute qualité (5000 pixels), et sont libres de droits, y compris pour un usage commercial (Open data), toutes qualités absentes du site du riche musée parisien.
   

dimanche 4 avril 2021

Le Louvre fait sa révolution néolithique

Détail d’une Vierge de Domenico Ghirlandaio, ou de Sebastiano Mainardi (non exposé) : tel que reproduit dans la base Joconde (dans le petit encadré en haut à droite), le même détail dans la nouvelle base du Louvre (encadré intermédiaire), et l’image en haute qualité, comme on la trouverait sur le site des grands musée étasuniens ou hollandais.
  

La semaine dernière, le plus grand musée de l’Univers, le Louvre de Paris, a presque quitté la préhistoire, ou au moins effectué sa révolution néolithique. Il vient d’ouvrir un énième site présentant sur internet l’intégralité de la base de données de ses collections (480 000 œuvres).

Pourquoi en avoir fait un site séparé de celui du musée, qui vous demandera de saisir une deuxième fois votre requête si vous avez par étourderie, ignorants que vous êtes, pensé qu’il fallait chercher une œuvre du Louvre justement sur le site du musée du Louvre ? Allons, avec un peu d’habitude et avant la prochaine nouvelle version vous aurez trouvé, en petits caractères au fond de la page d’accueil du site du musée, le lien vers celui des collections.

Et une fois devant ce nouveau catalogue des collections, vous devrez admettre que le Louvre vient de franchir une étape considérable. La présentation des informations, les outils de recherche, les critères et filtres, tout y est limpide, épuré et efficace.
Les experts, naturellement, y trouveront à redire, comme M. Rykner qui y a déjà décelé des erreurs, des absences, des oublis, des régressions, mais aurait-on encore besoin d’experts si le monde était parfait ? (1)

Reste la délicate question des illustrations.

Beaucoup d’œuvres ne sont pas illustrées, sans qu’on puisse savoir dans quelle proportion puisque le critère de tri « œuvre illustrée » a été opportunément oublié. En revanche celles qui le sont le sont parfois richement, pour les plus importantes, et les images peuvent toutes être téléchargées, ce qui n’a l’air de rien mais constitue un bouleversement en France (2).

Évidemment la diffusion de ces reproductions n’est toujours pas libre de droits, ce qui n’est pas bien grave puisque c’est un copyright illégal (copyfraud), qu’on bafouerait avec joie, mais surtout parce que, malgré un saut qualitatif gigantesque depuis la précédente base Joconde (voir l'illustration), les images restent de petite dimension et de qualité trop moyenne pour qu’on ait envie de les propager à travers la planète.  

En l’état, le site des collections du Louvre est un outil de recherche et de déambulation agréable, et même divertissant. Bien entendu nous ne manquerions pas de prévenir notre maigre lectorat si un jour ce catalogue passait réellement de la préhistoire à l’Histoire.

***
(1) La catégorie « dessins et gravures » est vide alors que le département des arts graphiques affiche 250 000 résultats.
(2) Pour mémoire le musée d’Orsay interdit encore le téléchargement de ses médiocres clichés, que les droits d’auteurs soient prescrits ou non. Les musées de la ville de Paris ne sont sortis de cette préhistoire qu’au début de l’année 2020.

lundi 29 mars 2021

Louis ixe-vé-hihihi

En 1866, l’article CHIFFRE du Grand dictionnaire universel du XIXe (19e) siècle, tome 4 p.98, de Pierre Larousse, raillait les chiffres romains, malgré leur présence dans son titre :

« On voit, d’après cela, quelle complication présentent ces chiffres dans les calculs. Les Romains avaient assurément des règles; mais elles étaient, même pour les opérations les plus simples, d’une effrayante complication […]
La numération romaine […] est si pénible, si embarrassante, si éloignée de la perfection de celle des Arabes […] qu’il faut la laisser aux Trissotins et déterreurs de médailles et faiseurs d’inscriptions […]
Les chiffres romains, si absurdes, n’en restent pas moins usités […] C’est un abus peu grave pour les inscriptions et médailles, à qui un air d’hiéroglyphe ne messied pas, mais bien plus sérieux pour les livres […] destinés à être lus et compris. »

Et il ajoutait que déchiffrer les nombres en romain numérotant les 537 maximes de La Rochefoucauld éditées par Didot occuperait six fois plus de temps que la lecture de l’ouvrage même.
 

Ce qu’il reste du démocrate, du libertaire, du pédagogue Pierre Larousse, au fond de sa tombe au cimetière Montparnasse, doit encore fulminer après 150 ans, parce que cet usage archaïque des chiffres romains n’a guère évolué depuis. Encore aujourd’hui les numéros des chapitres de livre, les actes et les scènes au théâtre, les rois, les dynasties, les siècles, les millénaires ne sont pas représentés par un symbole directement lisible mais figurés par un certain nombre de bâtons, qu’il faut compter comme on compte sur ses doigts.

Et, à la façon des fièvres polémiques qui réveillent épisodiquement quelque académicien sénescent ou un vieil écrivain vicieux quand une réforme menace de simplifier l’orthographe du français, les grands médias italiens viennent de faire une poussée de température parce que le musée Carnavalet, musée de l’histoire de la ville de Paris, a décidé d’écrire le numéro ordinal des siècles en chiffres arabes (d’origine indienne) afin d’être compris de tous les visiteurs, notamment étrangers.
Que les nostalgiques du calcul avec les doigts se rassurent, les monarques seront encore numérotés avec des bâtons, s’est empressé de répondre le musée.

Un grand journal français déclara l’affaire insignifiante, mais en écrivit néanmoins deux grandes tartines bien tièdes, affirmant que la numération romaine apporte élégance, fantaisie, prestige, panache, et fait les « délices de la culture populairen’écrit-on pas Star Wars IX ? »
Voyez-vous Monsieur Larousse, rien n’a changé, c’est toujours l’élite bien éduquée qui définit ce qu’est la culture populaire.

Cette élite ignore peut-être que depuis une vingtaine d’années, avec la disparition du papier, notre nouveau monde informatique, certes volatil mais essentiellement anglo-saxon (même en Asie), ignore impérialement les numérations exotiques.
Les logiciels chargés de trier les données, feuilles de calcul et traitements de texte, qui savent classer par ordre alphabétique ou numérique, rangent les chapitres et les dates romaines comme des lettres, donc dans un ordre numérique fantasque (1, 2, 3, 4, 9, 5, 6, 7…), et les logiciels de lecture vocale de texte ou les assistants pour malvoyants prononcent l’index des monarques avec la même fantaisie, Louis XVIII (18) devenant Louis ixe-vé-hihihi, à la manière du sketch du trio Les inconnus, en 1989, quand ils guillotinaient Louis croix-vé-bâton.

Alors, comme le préconisait le grand Pierre Larousse, laissons les hiéroglyphes aux égyptologues, et considérons ce faux proverbe congolais « Si tu veux bavarder avec tes voisins, utilise déjà les mêmes mots ».
 
***
Illustration : Buste de Pierre Larousse constipé, placé au haut d’un grand pilier sur sa tombe par un sculpteur plein d’humour, qui mériterait qu’on oubliât son nom.

samedi 20 mars 2021

Tableaux singuliers (14)

« Parrhasios, dit-on, proposa la dispute à Zeuxis. Celui-ci apporta des raisins peints avec tant de vérité que des oiseaux vinrent pour les becqueter ; l'autre apporta un rideau si naturellement représenté, que Zeuxis, fier de la sentence des oiseaux, demanda qu'on tirât enfin le rideau, pour voir le tableau. Alors, reconnaissant son illusion, il s'avoua vaincu avec une franchise modeste, attendu qu’il n'avait trompé que des oiseaux, alors que Parrhasios avait trompé un artiste, qui était Zeuxis. »
Pline l’ancien (23-79), Histoire naturelle (livre 35, sur Zeuxis, peintre au 5ème siècle avant notre ère)

Les peintres de trompe-l’œil pensent souvent que l’illusion est d’autant plus crédible que le motif peint est commun, d’où une profusion de pommes, de verres d’eau, de pinceaux, et de diverses choses banales et immobiles qui renseignent avant tout sur le contenu du grenier de l’artiste, de son atelier ou de sa cuisine.

Pour éviter l’ennui devant ces objets répétés à l'infini, quelques peintres plus subtils ajoutent à leurs assemblages des choses insolites, des rébus, ou des points de vue inattendus, dignes quelquefois des géniales inventions de Cornelius Gysbrechts.


Jacques Poirier (Paris 1928-2002), qui a longtemps été illustrateur notamment de livres pour la jeunesse, a consacré ses 20 dernières années au trompe-l’œil virtuose et ironique.
Didier Leplat lui rend hommage dans une galerie de 35 reproductions hélas trop petites pour deviner avec précision les rébus peints et en comprendre les multiples sous-entendus.
Remarquons néanmoins l’exhaustif « J’ai ce qu’il te faut », la triste « Vanité » en bien mauvais état, ou encore le « saint Sébastien » transpercé avec ce que Poirier avait sous la main.

Notant les prix (assez représentatifs) atteints la semaine dernière, en vente publique à Lyon chez De Baecque, par deux extraordinaires petits tableaux (20,5 x 16cm) de Poirier, 2800€ et 6000€ hors frais, on s’interrogera sur la rentabilité de la discipline. 
Un trompe-l’œil de dimensions moyennes demande 400 à 500 heures de travail (plusieurs mois) d’une déraisonnable et incessante concentration.    
 
Le tableau en illustration, le plus cher, est intitulé « Jacques Poirier s'excuse de n'avoir pas eu le temps d'exécuter le motif de ce panneau ». C’est le texte manuscrit peint sur la carte de visite peinte sur l'envers du panneau, peint lui-même sur l'endroit.
Y a-t-il plus jubilatoire ?

samedi 13 mars 2021

Investir sous le coronavirus, épisode 4

Carl Moll, Intérieur blanc, 1905, vendu par Freeman's en février 2021.
 
Depuis des siècles nous croisons dans la plus complète indifférence, en bronze sur les places publiques, portraiturés dans les musées, ou inscrits sur les plaques de rue, les hommages officiels que la nation rend à ses personnages historiques. Et nous savons maintenant qu’elle a dépensé des fortunes, en marbre, en bronze, et en honoraires d’artistes inspirés, pour entretenir la mémoire de citoyens parfois peu respectables, voire sanguinaires. Nous le savons parce que les encyclopédies en ligne nous renseignent si facilement. Ainsi l’internet a rendu l’époque soupçonneuse à l’égard du pouvoir et des institutions. C’est bien. Mais il l’a rendue émotive et sentimentale envers les symboles et les manifestations artistiques de ce pouvoir.
On s’informe, on s’indigne, puis on débaptise, on déboulonne, on renverse, on escamote un passé qui nous laissait hier indifférents.

Le marché des œuvres d’art, n’est pas touché par cette sensiblerie.
Le 23 février, à Philadelphie en Pennsylvanie, la maison d’enchères Freeman’s obtenait un double record par la vente d’un beau tableau d’un mètre carré de Carl Moll, « Intérieur blanc 1905 » (illustration).

Carl Moll était un peintre viennois maniaque du format carré (même du mètre carré). Formaliste - il privilégiait dans ses tableaux l’harmonie formelle - il fut un des fondateurs en 1897 du courant artistique sécessionniste viennois, avec le peintre Klimt et l’architecte Hoffmann. C’était un mouvement élitiste qui, sous l’influence des courbes et des enluminures gothiques, prêchait le purisme des formes artistiques et la primauté des arts décoratifs dans tous les domaines, de l’architecture à l’argenterie.
   
Le site de la Fondation Gustav Mahler fait de la vie de Moll une chronologie froide comme un rapport de police, illustrée de quelques photos et tableaux. Y sont inventoriées sa fréquentation des nazis par le mariage de sa fille à un dignitaire du parti en 1933, leur vie raffinée dans la haute société viennoise, le suicide des trois personnes susmentionnées le 13 avril 1945, jour où les Russes envahissaient leur résidence à Vienne, les intrigues successorales de la belle-fille de Moll, Alma Mahler…

On peut voir des tableaux de Moll dans quelques musées de Vienne et ne pas en voir un grand nombre (on parle de 900) dans des collections privées.
Rarement exposée, son œuvre survit dans une sorte de clandestinité que Jane Librizzi, dans son blog « Blue lantern », pense être le résultat, provisoire, de la personnalité détestable de Moll et de ses liens avec les nazis.
Ces choses n’arrêtent pas le marché et éveillent plutôt sa curiosité.
Le 23 février, « Intérieur blanc », alors généreusement estimé à 500 000$, ce qui aurait été un record pour Moll, a été adjugé pour 4,7 millions de dollars le mètre carré, constituant également un record de vente, depuis 2011, pour Freeman’s.  

Il parait que l’acheteur étasunien le prêtera pour l’exposer dans un musée.

vendredi 5 mars 2021

La foire en ligne

Les pissenlits, qu'est-ce que c'est bon!
Avec un œuf mollet et des p'tits lardons,
C'est l'un de ces instants merveilleux
Qui font douter de la non-existence de Dieu.

[…]
Les pissenlits, de toute manière,
Faut s'en délecter tant qu'on est sur la Terre
Plus tard, on les mang'ra par en d'ssous,
Par la racin', mais ça n'a pas l'même goût.

Les Pissenlits (José Artur - Ricet Barrier) 
 
Il y a bien longtemps que vous n’alliez plus visiter la Foire internationale d’Art Contemporain (la FIAC). Elle ne durait que quelques jours par an, à Paris depuis 45 ans, généralement au Grand palais ou au Louvre. Elle réunissait plusieurs centaines de galeries influentes qui exposaient ce qu’elles pensaient être l’art contemporain, et vous finissiez la journée de visite le corps lessivé et l’esprit abruti par des milliers d’œuvres parmi lesquelles vous aviez cherché, souvent en vain, des émotions nouvelles. Et puis les prix étaient loin au-dessus de vos moyens.

L’année dernière, le coronavirus a empêché la FIAC 2020, mais les organisateurs planifient déjà une FIAC 2021 en octobre, dans le « Grand palais éphémère » qui se construit actuellement autour de la statue (pas encore déboulonnée) du maréchal Joffre, au pied de la tour Eiffel. Et ils y envisagent les FIAC suivantes jusqu’en 2026, durant la refonte du Grand palais.
 
Pour faire patienter l’adepte et tâcher de continuer la vente à la manière des commerces non essentiels sur internet, la FIAC a ouvert le 4 et jusqu’au 7 mars une exposition-vente en ligne (c’est absurde de fermer si vite !)
La présentation est bien faite et montre un peu plus d’un millier d’objets qui vous donneront certainement une idée complète et précise de la création contemporaine en vogue. Comme dans la vraie FIAC, les prix sont d’un autre monde, et les surprises rares.

Nous avions préparé l'éloge de « Weed #558 » du sculpteur hyperréaliste Tony Matelli, un impressionnant pied de pissenlit en bronze peint et grandeur naturelle, mais il a été vendu peu avant la publication de ce billet. Il ressemblait beaucoup à cet autre pissenlit de l'artiste. Il est remplacé dans le catalogue par « Weed #556 », mauvaise herbe malingre mais moins chère, 22 000$ (le lien n'est plus accessible puisque la FIAC en ligne est fermée).
On rêverait d’exposer chez soi ces herbes en bronze, dans un coin, à l’angle d’une plinthe, si elles n’étaient hors de prix et ne risquaient d’être un jour arrachées et mises aux ordures par erreur en faisant le ménage.



Détail d’un pastel de Jean-François Millet actuellement au MFA de Boston. Heureusement, le peintre est mort depuis plus de 70 ans et la reproduction de ses pissenlits est donc libre de droits d’auteur, contrairement aux herbes de Matelli, qui n’a pas 50 ans et semble en bonne santé.